L'homme qui parlait trop

L'affaire Gérard Bouchard - accusé d'élitisme et de "séparatisme"...


Vendredi, Gérard Bouchard et Charles Taylor, présidents de la commission sur les accommodements raisonnables et grands intellectuels devant l'univers, répondaient avec impatience aux questions triviales des journalistes.


Crispé et tendu, Gérard Bouchard se faisait cuisiner sur sa déclaration controversée au sujet du grand public incapable de saisir les subtilités de la diversité culturelle.
Ces gens, avait-il expliqué au Devoir le 17 août, ne sont pas des intellectuels. La preuve, ils regardent les nouvelles à TVA et TQS ou, dans le meilleur des cas, à Radio-Canada, et ils affirment que «c'est bien plus simple quand on est tous pareils».
Gérard Bouchard s'était alors posé la question qui tue: comment «déconstruire ce discours»?
Vendredi, M. Bouchard a refusé de s'expliquer. «Cet incident a été suffisamment commenté, a-t-il tranché. Affaire classée!»
Mais les journalistes ont insisté. Charles Taylor s'est alors fâché. On sentait qu'il bouillait d'impatience depuis le début du point de presse, lui, l'intellectuel, obligé de s'abaisser à répondre à la valetaille, alors que de grandes questions épistémologiques sur le sens du mot «ethnie» attendaient ses réponses éclairées.
«Au lieu d'essayer de nous attraper dans des pièges, a-t-il dit avec un brin d'arrogance, on devrait discuter de façon mature.» Et d'ajouter que les questions des journalistes ne volaient pas très haut.
Je ne veux pas décevoir M. Taylor, mais il devra s'y habituer. Les journalistes ne se mettront pas à compulser les derniers essais des philosophes à la mode, et la déconstruction ne fera jamais fureur dans les points de presse.
Gérard Bouchard parle trop. On a l'impression que son idée est faite et que son rapport est déjà écrit. Pourtant, la commission a commencé ses travaux vendredi et elle n'a pas encore amorcé sa tournée du Québec, qui a pour but de recueillir les opinions du bon peuple. Ça promet.
MM. Bouchard et Taylor écouteront-ils vraiment et tiendront-ils compte des opinions exprimées? Le placotage de Gérard Bouchard nuit à la crédibilité de la Commission. Normalement, les présidents ont un devoir de réserve.
Je ne suis pas convaincue que MM. Bouchard et Taylor soient les hommes de la situation. Les accommodements raisonnables touchent deux cordes sensibles: la religion et l'égalité entre les hommes et les femmes.
La plupart des accommodements qui ont fait les manchettes touchent ces deux points explosifs: les musulmanes qui demandent des horaires séparés dans les piscines ou qui revendiquent le droit de porter le niqab à l'université, les juifs qui exigent que les vitres d'un YMCÀ soient givrées pour cacher le corps des femmes en short, les sikhs qui ont obtenu le droit de porter leur couteau à l'école.
La Commission va discuter des demandes des juifs, des musulmans, des sikhs, pour n'en nommer que quelques-uns. Elle va jongler avec la place de la religion dans la société et celle de la femme au Québec.
M. Bouchard est catholique, mais il n'est pas croyant. Il a 63 ans. M. Taylor est catholique pratiquant. Il a 75 ans. Deux hommes, deux catholiques. Pas de femme, pas de jeune, pas de représentant des communautés culturelles.
MM. Bouchard et Taylor seront épaulés par un comité formé de femmes, de juristes et de membres de différentes ethnies. N'empêche, l'image publique de la Commission souffre de cette homogénéité: blanc, mâle, catholique.
Autre point d'inquiétude: la grande tournée du Québec. MM. Taylor et Bouchard craignent comme la peste les dérapages qui peuvent survenir autant à Montréal qu'en Gaspésie ou en Abitibi. Ils ont raison. Le vieux fond xénophobe n'est jamais loin. Il risque de sortir pendant les audiences publiques.
Au départ, la Commission devait se pencher sur les demandes des minorités. Elle devait profiter de ce grand brassage d'idées pour mieux comprendre leurs revendications tout en se questionnant sur les craintes des Québécois de souche.
Aujourd'hui, on ne parle plus que de la majorité qui craint ses minorités. La Commission va examiner l'âme des Québécois, sonder ses insécurités, scruter ses craintes. Cela risque de débouler sur un grand exercice de défoulement collectif. Le «nous» majoritaire contre le «eux» minoritaire.
L'idée de cette vaste consultation vient des deux présidents. «La formule a été retenue à notre insistance, a précisé M. Bouchard vendredi. Nous voulons donner la parole aux citoyens modestes qui n'ont pas les moyens d'écrire des mémoires et qui ont des choses à dire. C'est un acte de foi.»
«Les gens ont prédit que ce serait très houleux, a-t-il ajouté. Je ne crois pas que ce sera le cas.»
Acte de foi, a dit M. Bouchard. Il en aura bien besoin, même s'il n'est pas croyant.


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