Le bordel afghan

Je ne veux pas broyer du noir, mais je pense que la mort, dimanche, du jeune soldat québécois de 23 ans, Simon Longtin, est absurde. Je n'ose pas écrire inutile.

Afghanistan - le prix du sang


Plantée à la frontière de l'Afghanistan et du Pakistan, je regardais les autos déglinguées qui essayaient de se frayer un passage à coups de klaxon, les charrettes tirées par des ânes, remplies à ras bord de vieux téléviseurs retenus par des bouts de ficelle, les hommes qui se bousculaient pour traverser la frontière à pied et les soldats corrompus qui ne prenaient même pas la peine de se cacher pour soutirer des pots-de-vin.
C'était un matin frileux de février. Perdue au milieu d'un paysage de cailloux et de terre desséchée, j'essayais de comprendre ce va-et-vient échevelé. Incrédule, je me disais: "Mais c'est quoi ce bordel?"
Les talibans, qui font sauter les blindés canadiens avec des bombes artisanales, quittent l'Afghanistan en toute tranquillité pour se réfugier au Pakistan. Ils traversent la frontière, peinards, enveloppés dans leur shalwar kameez et leur turban, comme des milliers d'Afghans. Ben Laden pourrait entrer et sortir du pays 20 fois par jour sans que personne ne l'arrête.
Les talibans s'entraînent au Pakistan, au coeur du pays pachtoune, au milieu des montagnes qui chevauchent les deux pays. Pour eux, la frontière n'existe pas.
Le Pakistan ferme les yeux sur sa frontière poreuse et son président, Pervez Musharraf, serre la main de George Bush en lui promettant un appui indéfectible dans sa lutte contre le terrorisme. Pendant ce temps, l'Afghanistan déploie 6000 soldats - une misère! - pour surveiller les 2500 kilomètres de frontière qui filent à travers les montagnes et le désert.
Le Canada et l'OTAN pensent qu'ils peuvent gagner la guerre contre les talibans, pourtant ils sont incapables de dompter la frontière.
Mon collègue Yves Boisvert écrivait, hier, que la guerre en Afghanistan est légitime, que le Conseil de sécurité de l'ONU l'a approuvée et que l'Afghanistan n'est pas l'Irak. C'est vrai, mais on ne remporte pas une guerre avec des vérités.
Je ne veux pas broyer du noir, mais je pense que la mort, dimanche, du jeune soldat québécois de 23 ans, Simon Longtin, est absurde. Je n'ose pas écrire inutile.
Les Britanniques n'ont pas réussi à dominer les Afghans, les Soviétiques se sont cassé les dents sur ce pays rebelle. On répète que l'Afghanistan est un pays rude, avec ses montagnes infranchissables, son paysage quasi lunaire et ses hommes taillés à la hache, fiers, hostiles à toute domination étrangère. C'est vrai, tellement vrai.
L'OTAN et le Canada ne contrôlent pas la frontière pakistano-afghane. Ils ne contrôlent pas, non plus, le président Hamid Karzaï qui, à son tour, ne contrôle pas ses ministres, ses députés et ses policiers corrompus jusqu'à la moelle.
Les seigneurs de la guerre, qui ont plongé le pays dans le chaos au début des années 90, sont de nouveau au pouvoir, protégés par Karzaï.
Gul Agha Sherzai, Rachid Dostom et Abdul Sayaf, pour n'en nommer que trois, sont des hommes puissants, dangereux, corrompus. Les talibans les avaient chassés du pouvoir au milieu des années 90. Aujourd'hui, Sherzai est gouverneur de la province de Djalalabad, Dostom est chef d'État-major et Sayaf, président de la Commission des affaires internationales. Tous nommés par Karzaï.
À Kaboul, j'ai rencontré le chef de police, M. Dawlatzai. La ville connaît un boom immobilier. "Derrière chaque nouveau bâtiment, il y a un voleur", m'a dit Dawlatzai sans sourciller.
Le président de la Chambre de commerce de Kaboul, M. Farooqi, en a rajouté. Selon lui, 80% de l'aide internationale est détournée. Voici ce qu'il m'a raconté.
"J'ai donné un séminaire pour expliquer aux hommes d'affaires comment rédiger une soumission. Ils m'ont poliment écouté, puis ils m'ont demandé: Pourriez-vous plutôt nous donner un cours sur la façon de verser un pot-de-vin? '"
Selon un ancien ministre, Ramazan Bashardost, "le président Karzaï n'est pas corrompu, mais s'il écarte les chefs de guerre, son gouvernement tombera".
Les Afghans ne sont pas aveugles. Ils voient la corruption, la violence et l'impunité des seigneurs de la guerre qui se remplissent les poches. Certains sont amers et critiquent l'OTAN et le Canada, d'autres s'ennuient des talibans et sont prêts à leur pardonner leur délire religieux pour se débarrasser de la clique des Dostom-Sherzai et autres Sayaf.
Le pays s'enfonce dans la corruption et la violence. Pendant ce temps, l'OTAN et le Canada pourchassent les talibans.


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