L'homme de l'année

JJC - chronique d'une chute annoncée


Dans une société qui valorise la compétitivité au plus haut point, il faut obligatoirement consacrer la personnalité de l'année, comme on choisit le disque ou la voiture de l'année.
Il ne s'agit pas d'évaluer le degré de vertu des candidats potentiels, mais plutôt d'identifier celui ou celle qui a le plus profondément marqué l'année. La Presse canadienne a décerné le titre à Stephen Harper pour une deuxième année consécutive, même s'il a bafoué les institutions politiques canadiennes aussi allègrement que la Convention de Genève sur les prisonniers de guerre. Sans parler de sa parfaite indifférence aux changements climatiques qui menacent la planète.
Le magazine Time a préféré à Barack Obama, choisi l'an dernier, le président de la Réserve fédérale américaine, Ben Bernanke, pour sa bonne gestion de la crise économique. En 2007, le récipiendaire a été Vladimir Poutine. C'est dire à quel point la vertu n'est pas un critère déterminant. En 1938, Time avait même honoré Adolf Hitler.
Chez nous, Jean Charest pourrait sembler un candidat logique, même s'il n'a pas été aussi impressionnant qu'en 2008. Après tout, le Québec s'est mieux tiré de la récession que les autres provinces.
Il y a cependant une grande différence entre MM. Harper et Charest. On peut reprocher bien des choses au premier, mais certainement pas sa passivité, tandis que le second préfère généralement le surf à la véritable action.
La récente conférence de Copenhague constitue un bon exemple. Pour faire bonne impression au Québec, M. Charest a fait quelques sorties contre les positions du gouvernement fédéral. Pourtant, à aucun moment, il n'a réclamé une réunion de la délégation canadienne, dont il faisait théoriquement partie. Ses effets de toge ont peut-être été appréciés ici, mais cela n'a eu aucun résultat concret.
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Gilles Taillon, dont le parcours idéologique a été fascinant depuis l'époque où il était conseiller syndical à la CEQ, a donné une brillante démonstration de l'art de détruire un parti politique en quelques semaines. Pour un militant adéquiste, sa participation à la course au leadership a certainement constitué un tournant, pour ne pas dire un cauchemar.
Selon moi, ce sont toutefois les questions d'éthique et d'intégrité qui ont marqué l'actualité québécoise au cours de l'année 2009, plus encore que l'économie, l'environnement ou la désintégration de l'ADQ.
Il faut reconnaître que le premier ministre a magnifiquement illustré ce qu'un chef de gouvernement ne devrait pas faire. Par exemple, tolérer que ses ministres se placent dans une situation de conflit d'intérêts potentiel, présenter un candidat qui fait l'objet d'une enquête du commissaire au lobbyisme, toucher lui-même une rémunération à la discrétion de son parti en sus de son salaire...
Malgré la multiplication des scandales, M. Charest a également été le seul ou presque à ne pas reconnaître la nécessité de tenir une enquête publique sur la corruption dans l'industrie de la construction, et rien n'indique qu'il pourrait changer d'avis. Il est vrai que M. Harper a démontré qu'on peut très bien alimenter le cynisme de la population et mériter un prix.
Pourtant, au chapitre de l'intégrité, s'il y a un homme qui a marqué l'année, ce n'est pas M. Charest, mais plutôt l'ancien chef de Vision Montréal, Benoit Labonté. La chute de ce politicien jusque-là très ordinaire, voire médiocre, et sa spectaculaire entrevue accordée à Radio-Canada, moins de deux semaines avant l'élection municipale à Montréal, ont frappé les esprits et ouvert la voie à la réélection du maire Tremblay.
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Déjà, la saga des compteurs d'eau, les croisières sur le bateau de Tony Accurso, les explications confuses de Gérald Tremblay, sans oublier les contrats accordés à l'entreprise d'asphaltage du ministre David Whissell, en avaient alarmé plusieurs.
La confession publique de M. Labonté a cependant eu l'effet d'un catalyseur. Il ne s'agissait plus simplement d'entrepreneurs sans scrupules qui s'étaient acoquinés avec quelques politiciens et fonctionnaires véreux, mais d'un problème beaucoup plus profond. À l'entendre, tout le système était pourri jusqu'à la moelle.
Depuis un bon-demi siècle, jamais une campagne municipale n'avait atteint une telle intensité dramatique. Même Louise Harel, dont personne n'avait douté de l'intégrité en vingt-cinq ans de vie politique, a été éclaboussée de façon irrémédiable.
Comment croire qu'elle ignorait tout des squelettes enfermés dans le placard de son principal lieutenant, qu'elle destinait à la présidence du comité exécutif? Le taux de participation anémique à l'élection du 2 novembre a traduit un immense désabusement envers la politique.
À peine quelques jours après que M. Harper a été désigné personnalité de l'année au pays, il était certainement choquant de le voir proroger la session parlementaire à Ottawa, simplement pour éviter d'avoir à rendre des comptes sur le sort des prisonniers afghans.
Il n'est pas tellement plus réjouissant de penser que la personnalité la plus marquante de l'année au Québec est l'homme par lequel le scandale est arrivé, mais il est encore plus désolant de voir les efforts déployés par le gouvernement Charest pour tenter de noyer le poisson.
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mdavid@ledevoir.com


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