LES LEÇONS DE HÉROUXVILLE

L'événement majeur fut la rencontre de deux femmes...

On dirait une répétition, quelques décennies plus tard, du «Vive le Québec libre» historique du général De Gaulle.

Jaziri et la réputation internationale du Québec

Nous sommes dimanche, le 11 février 2007. Un événement majeur se déroule en terre québécoise, plus exactement à Hérouxville. Au cœur de cet événement : une rencontre des femmes musulmanes portant le voile islamique et des résidants d’Hérouxville qui les attendaient de pied ferme.
Dans un mouvement spontané, deux des femmes des groupes en présence, Lise Drouin, l’épouse du conseiller qui a proposé «le code de vie d’Hérouxville», et une femme voilée, du groupe qui vient d’arriver de Montréal, se tiennent côte à côte, collées, et tenant un drapeau du Québec (un bord dans la main de Lise Drouin et l’autre bord dans la main de la femme voilée), elle clament presque à l’unisson «vive le Québec».
Anodine à première vue, cette scène est, me semble-t-il, le plus important message livré aux téléspectateurs du Québec et du monde qui suivent avec intérêt les débats relatifs à l’adoption du «code de vie d’Hérouxville» et la crise identitaire qui secoue le peuple québécois qu’elle a déclenchée. On dirait une répétition, quelques décennies plus tard, du «Vive le Québec libre» historique du général De Gaulle.
L'appropriation de l'identité québécoise
Mieux encore, le plus intéressant dans ce scénario tient de la réaffirmation de l’identité québécoise et de sa réappropriation par un groupe de citoyennes et de citoyens d’origines diverses. Et, le plus charmant de la scène, impliquant deux citoyennes ordinaires et leur entourage, c’est son déplacement de la terrasse de l’hôtel de ville de Montréal (d’où le Général De Gaule a prononcé sa phrase célèbre) au terrain d’une petite municipalité de campagne qui, il y a quelques semaines à peine, était à peine connue.
Il suffirait, pour comprendre l’importance de cet événement, de penser à d’autres lieux, en dehors du Québec, où un tel scénario pourrait être offert en spectacle. Imaginons, un seul instant, un couple de femmes irakiennes, l’une Chiite, l’autre Sunnite, brandissant, en terrain irakien, le drapeau de leur pays tout en clamant «vive l’Irak», ou un couple de femmes bosniaques, l’une Bosniaque, l’autre Serbe, clamant «vive la Bosnie», ou encore un couple de femmes de Jélusalem, l’une Juive, l’autre Palestinienne, brandissant un drapeau israëlien et clamant «vive Israël»!
Guerres absurdes dues à des crises identitaires non résolues
On aurait beau laisser libre cours à notre imagination et la laisser se promener un peu partout sur notre planète déchirée et ensanglantée par des guerres absurdes, dont bon nombre sont engendrées par des crises identitaires non résolues pacifiquement, on retrouverait peu d’endroits où le geste spontané du couple de Québécoises d’Hérouxville du dimanche 11 février 2007 aurait des chances de se répéter.
Qu’y a-t-il de si particulier et de si important dans ce geste? Énormément de choses. Je n’en évoquerais que trois.
Premièrement, ce geste met à l’avant scène les actrices des plus concernées au premier chef, mais auxquelles les mass médias et les représentants des pouvoirs publics n’ont pas encore donné l’importance et la place requises aussi bien dans les débats que dans les interventions consécutives à l’adoption du code de vie d’Hérouxville.
Importance de régler les conflits sociaux
Deuxièmement, il rappelle une autre manière, souvent reléguée aux oubliettes, de résoudre les conflits intergroupes et, plus globalement, les conflits sociaux. Cette manière passe par la rencontre de l’Autre — protagoniste, réel ou présumé —, la communication, la création des lieux de dialogues et de convivialité.
Troisièmement, ce geste met en scène l’une des stratégies gagnantes dans la prévention et la résolution des conflits intergroupes, soit celle qui privilégie le partage de messages d’unité et de paix et leur transmission par la mise en relief des symboles qui les incarnent et la démonstration de l’adhésion collective à ces symboles. Deux des symboles qui ont marqués la scène d’Hérouxville du dimanche 11 février sont, de toute évidence, le drapeau du Québec et les cadeaux échangés lors de la rencontre.
Un code de vie amendé
Le lundi 12 février 2007, nous apprenions par nos mass médias que la municipalité d’Hérouxville a amendé son code de vie. Quelques petites modifications en apparence, mais suffisantes pour témoigner de la bonne foi des représentants des citoyens d’Hérouxville qui ont procédé aux amendements, durant une séance d’à peine 10 secondes, et calmer les esprits, tant de ceux qui suivaient ou avaient l’intention de suivre leur geste que de ceux qui en étaient offusqués. La rencontre de la veille serait-elle étrangère à cet amendement? Seule l’histoire nous le dira. En attendant, le plus important à retenir est sa signification et le message qu’il envoie au public.
En y regardant de plus près, on constate que la rencontre d’Hérouxville a révélé le vrai visage des Québecois : le visage d’un peuple pacifique, ouvert, chaleureux, raison pour laquelle ceux venus d’ailleurs — qu’on a l’habitude de désigner par l’expression de Néo-Québécois —, du moins la grande majorité d’entre eux, s’y intègrent harmonieusement. Et, si ce visage a pu être montré, c’est grâce à un groupe social auquel les mass médias donnent rarement la parole : le groupe des Québécoises ordinaires, toutes origines confondues.
Droits de parole, droit à l'égalité des sexes
La rencontre d’Hérouxville a aussi montré quelques-uns des piliers de la société québécois, ce qui en fait une société distincte, une nation. Deux de ces piliers méritent d’être mentionnés en l’occurrence. Il s’agit, premièrement, de l’exercice du droit de parole, garanti par la couverture des faits saillants de l’actualité par des journalistes chevronnés : lecteurs de bulletins de nouvelles, reporters, animatrices de tribunes publiques, … et toutes les équipes qui supportent leur travail dans l’ombre des caméras. Il s’agit, ensuite, de l’égalité entre les hommes et les femmes, reconnue comme étant l’un des acquis fondamentaux de la société québécoise, égalité sans laquelle la rencontre d’Hérouxville aurait été impensable.
Ce qu’on peut retenir en fin de compte de la rencontre d’Hérouxville est d’avoir rappelé au public, non seulement l’existence d’un acteur social par lequel passe la résolution pacifique des conflits, les femmes — d’origines diverses en l’occurrence —, mais aussi c’est d’avoir rappelé que la résolution, voire la prévention, de tout conflit ne saurait faire l’économie de la participation active du monde ordinaire dont la force repose, comme le révèle l’histoire des peuples, sur les femmes solides, sans frontières, les «Femmes Nyamhinga».
Femmes sans frontière
Originaire du Rwanda, l’expression de «Femme Nyamhinga» se rapporte à toute femme considérée comme étant une femme sans frontière, une marraine universelle. Il en résulte une reconnaissance à toute femme, digne du qualificatif de Nyamhinga, des atouts nécessaires à l’intervention efficace à la résolution pacifique des conflits intergroupes (voir Mukakayumba, 2003 et 2000, et Mukakayumba et Taylor, 2000).
La mobilisation des femmes pour la résolution des conflits intergroupes et la construction de la paix est, d’après de nombreux observateurs de la scène internationale, ce qui sauvera le monde. Louise Arbour ne l’a-t-elle pas réaffirmé récemment en rappelant à nos mass médias que la défense des droits de l’Homme passe par des gestes simples posés par des femmes ordinaires?
Si ce fait est reconnu, il ne reste plus qu’à donner à celles-ci la place qui leur revient, aussi bien sur les tribunes publiques que dans les interventions visant à proposer au peuple québécois les nouveaux modes du vivre ensemble et les moyens requis pour jouer pleinement leur rôle.
C’est ainsi que, comme le confiait Pierre Légaré, à Christiane Charrette, (Première chaîne de Radio-Canada, lundi, le 12 février 2007), le Québec pourra, non seulement traverser pacifiquement la crise identitaire qui secoue présentement sa société, mais aussi vivre son siècle de Lumières et rendre au monde l’espoir en perte de vitesse.
Références citées :
2003 : MUKAKAYUMBA, E., et autres «Construire la paix avec les femmes Nyamhinga : ouvrir une voie sûre au développement viable», dans 20 ans d’intervention pour le développement local et régional, GRIR, collection développement régional.
2000: MUKAKAYUMBA, E., «Mobiliser les Nyamhinga pour la paix: une initiative courageuse et prometteuse», dans FAFIA’s Newsletter.
2000 : MUKAKAYUMBA, E. & TAYLOR, D. M., «Les Nyamhinga en colère, une ressource inestimée pour la construction de la paix et le développement viable», dans Canadian women studies.
Édith Mukakayumba, Ph.D.,
Mama Baba, Chicoutimi


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