La croisade xénophobe d'un village québécois

En janvier, Hérouxville adoptait un code discriminant les musulmans.

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Par Emmanuelle LANGLOIS - Hérouxville envoyée spéciale - Le «code de vie» adopté fin janvier par le village interdisait lapidation et excision. Depuis, tout le Québec avait les yeux fixés sur Hérouxville, un bled de 1 338 habitants, à 160 km au nord-est de Montréal. En adoptant cette résolution, le conseil municipal voulait avertir les immigrants tentés de s'établir dans leur bourgade que la tolérance canadienne avait des limites. Devant les protestations, Hérouxville a retiré la lapidation et l'excision de sa liste, mais a maintenu tout le reste des interdits, comme le port du voile intégral... «Il y avait des gens qui nous avaient dit qu'il y avait des mots prétendument "offusquants", alors on les a enlevés, mais on ne change rien au sens du projet», a déclaré le conseiller municipal André Drouin, à l'origine de l'initiative.
Racisme. Celle-ci intervient en plein débat sur les «accommodements raisonnables». En vertu de la Charte des droits et libertés, tout Québécois présentant des besoins particuliers se voit juridiquement assuré qu'il pourra être satisfait. Les personnes handicapées sont les premières à bénéficier de cette loi. Les communautés immigrées en profitent aussi. Les jeunes sikhs ont ainsi obtenu le droit de porter leur kirpan (un couteau, symbole religieux) à l'école, et les musulmanes qui refusent d'être auscultées par des médecins de sexe masculin dans les hôpitaux sont dirigées vers leurs consoeurs. Une tolérance que certains jugent excessive. Notamment à Hérouxville, qui ne compte qu'une poignée d'immigrés.
«Depuis plusieurs mois, nous entendons parler d'accommodements qui permettent à des femmes de se voir réserver des plages horaires à la piscine pour qu'elles n'y croisent aucun homme ou qui forcent des clubs de gym à installer des vitres teintées pour que la vue de femmes en tenues de sport ne choque pas une communauté religieuse», dénonce André Drouin . Taxé de racisme et de xénophobie, il réfute ces accusations. «Bien sûr, nous avons voulu choquer en parlant de lapidation ou d'excision, mais il était temps que quelqu'un mette ses culottes et regarde plus loin que le bout de son nez. Si on s'adapte à tous les nouveaux immigrants, qu'adviendra-t-il de notre culture québécoise dans dix ou vingt ans ?» insiste-t-il, affirmant être soutenu par toute la population.
Originaire de la Dominique, Gabriel Mitchell est le seul immigrant noir de la commune. Il s'y est établi il y a trente ans avec son épouse et y a élevé ses quatre enfants. Cet ancien professeur, qui a siégé pendant huit ans au conseil municipal, est devenu malgré lui l'immigré de service : «Les conseillers municipaux ont voulu tirer une sonnette d'alarme, explique-t-il. Ils l'ont fait maladroitement, mais ils soulignent une préoccupation que nous avons tous. Le multiculturalisme à la canadienne est une illusion. Il ne faut pas parler de réussite quand on assiste à un non-mélange et à la mise côte à côte de différentes cultures.»
Stéréotypes. Les Hérouxvillois, dans leur majorité, ont foi en leur croisade. «Les Québécois n'ont eu de cesse de courber l'échine. Le poids de l'Eglise les a longtemps poussés à suivre le troupeau sans poser de questions et à tout tolérer. Cette fois, nous avons voulu donner notre opinion», analyse Luce Rivard, membre du Comité d'accueil des nouveaux arrivants d'Hérouxville. Le Congrès islamique canadien et le Forum musulman canadien, eux, ont expliqué que la résolution incitait à la haine et au racisme et propageait des stéréotypes négatifs sur des minorités. Faute d'excuses publiques et du retrait du texte, les deux organismes devraient déposer une plainte devant la Commission des droits de la personne du Québec.
Le débat sur le multiculturalisme canadien est relancé. Le Premier ministre du Québec, Jean Charest, qui avait d'abord qualifié l'affaire de cas isolé, a reconnu jeudi la nécessité de préciser les balises «encadrant» le concept d'accommodement raisonnable. Il a par ailleurs souligné que les pratiques d'accommodements devront toujours être respectueuses des «valeurs communes» des Québécois.


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