ÉTUDIANTS ÉTRANGERS

L’entente France-Québec, bouée de sauvetage des cégeps en région

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Les pieds dans les plats

Les cégeps d’ici accueilleront cette année plus de 3000 étudiants étrangers, en grande majorité de la France et de ses territoires. Mais, alors que le gouvernement Couillard remet en question l’entente France-Québec, le portrait pourrait radicalement changer, au grand dam des établissements.
« C’est différent ici, ça se voit que c’est l’Amérique », s’emballe Damien Alphy, même s’il est au Québec depuis 12 heures à peine. Attablé au sous-sol de l’Hôtel Best Western près de l’aéroport Trudeau, le jeune homme de l’île de La Réunion explique ses motivations, lui qui vient de parcourir près de 14 000 kilomètres pour aller suivre une formation technique collégiale… à Chicoutimi. « Je viens étudier en réadaptation physique dans une optique de travail. Vu le contexte actuel très difficile pour l’emploi, non seulement à La Réunion, mais en France, c’est une opportunité très intéressante pour les jeunes de pouvoir étudier et travailler ici », a dit le futur cégépien de 19 ans.

Avec lui, une vingtaine de compatriotes de cette petite île de l’océan Indien — ils seront plus d’une centaine à arriver ces jours-ci — qui s’étonnent des « autobus jaunes » et de la gentillesse des gens (et bien sûr de leur accent !). Au total, chaque année, ils sont plus de 3000 étudiants étrangers à venir s’asseoir sur les bancs d’école des cégeps publics et privés de partout au Québec, de l’Abitibi à la Gaspésie. Et ce nombre est en croissance, ayant augmenté d’environ 10 % annuellement au cours des dernières années.

La fin des privilèges

De tous les étudiants internationaux aux études supérieures, les Français sont les plus représentés dans les universités québécoises, mais aussi dans les cégeps. Dans les établissements collégiaux, la majorité (60 %) des étudiants étrangers viennent grâce à l’entente France-Québec, qui permet aux étudiants de la France, y compris à ses ressortissants outre-mer, de payer les mêmes droits de scolarité que les Québécois. Ces étudiants peuvent aussi bénéficier de l’assurance maladie et se doter d’un permis de travail au cégep et hors campus de 20 h maximum, en en faisant la demande au gouvernement fédéral.

Mais depuis que cet accord a été remis en question, les cégeps s’inquiètent. En pleine campagne électorale, le chef du Parti libéral, Philippe Couillard, avait annoncé qu’il la réviserait, surtout à l’université, pour ôter certains privilèges aux ressortissants français et augmenter de plusieurs milliers de dollars leurs droits de scolarité. Maintenant au pouvoir, son gouvernement confirmait au début de l’été qu’il étudiait « divers scénarios ». « C’est sûr que ça touchera les cégeps. On n’est pas allés au fond de ça, car on ne veut pas rouvrir le débat, mais on est inquiets », a déclaré Jean Beauchesne, président-directeur général de la Fédération des cégeps. L’impact serait « catastrophique » pour le collégial, croit pour sa part Nathalie Houde, qui travaille au recrutement et à l’accueil de ces étudiants au Cégep de Jonquière. « Pour nous, c’est une diminution nette de clientèle. Tout ce qu’on a développé depuis dix ans tomberait à l’eau. »

Des étudiants pourtant essentiels

« Ces étudiants nous apportent beaucoup de choses sur plusieurs plans. Sur le plan administratif, il ne faut pas se leurrer, on a des programmes où la clientèle s’est nettement améliorée », fait remarquer Nathalie Houde, laissant entendre que c’est une source de revenus. « Dans certains cas, ça assure la survie de programmes. Et ça donne une dynamique, une couleur qui est intéressante dans les échanges et les valeurs. […] C’est très gagnant ».

Car, dans les cégeps en région, des programmes essentiels comme soins infirmiers, génie mécanique et technique d’éducation à la petite enfance battent de l’aile, en raison de la baisse démographique. Au Cégep de Jonquière, il y a quelques années, la venue d’étudiants étrangers — surtout du Cameroun et de la Nouvelle-Calédonie — avait permis notamment de relancer le programme de génie industriel qui avait été suspendu, faute d’inscription. Le programme de technique en milieux naturels, une exclusivité nationale au Cégep de Saint-Félicien, multiplie les cohortes grâce aux étudiants de l’île de La Réunion, qui sont nombreux à le choisir.

Jean Beauchesne fait également valoir que plusieurs ententes, dont celle permettant de faire venir les étudiants réunionnais, visent à faire immigrer définitivement ces jeunes étudiants et à les employer au terme de leurs formations, ce qui donne un second souffle économique aux régions. Angélique Lauret, une jeune Réunionnaise de 19 ans qui s’est inscrite en analyses biomédicales au Cégep de Chicoutimi cet automne confirme qu’elle est là pour de bon. « Je suis venue au Québec parce que j’ai toujours voulu étudier ailleurs qu’à La Réunion. Il y a aussi le fait qu’après mon diplôme, je suis sûre d’avoir un travail ici. Pas chez moi », dit-elle, rappelant de toute façon que le diplôme québécois n’a pas de valeur dans son pays.

Étudiante en technique d’éducation à l’enfance au Cégep de Jonquière, Laetitita Rosina l’admet d’emblée : sans les bénéfices associés à l’entente, elle ne croit pas qu’elle serait venue au Québec. Elle n’aurait pas pu assumer les droits de scolarité annuels — se chiffrant entre 14 000 et 18 000 $ selon les programmes — pour un étudiant étranger au collégial qui ne fait partie d’aucune entente. « On serait peut-être venus en vacances, mais pas pour les études, a-t-elle dit. C’est sûr que l’aide financière qu’on nous donne nous a aidés. »

M. Beauchesne dit comprendre qu’aux yeux du gouvernement, l’entente n’est pas équitable puisque les Français semblent en profiter beaucoup plus que les Québécois. « Mais pourquoi ne pas la rééquilibrer en incitant plus de Québécois à aller en France ? »


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