L'«effet» Tout le monde en parle

Chronique de Patrice Boileau


Rassurez-vous, je n’ai pas l’intention cette semaine de me transformer en critique d’émissions télévisées. Loin de moi l’idée d’y consacrer les prochaines lignes que vous lirez. Je laisse ces évaluations aux analystes habituels qui consacrent de nombreuses heures au petit écran pour réaliser leur travail.
Pourquoi alors vous causer au sujet de « l’émission phare » de la télévision d’État? Parce qu’elle comble un vide que les leaders souverainistes ne parviennent pas à rassasier depuis la défaite électorale d’avril 2003.
Comment expliquer en effet que l’appui à l’option souverainiste gravite actuellement à plus de 45% chez les Québécois, alors qu’aucune offensive marquante n’a soulevé leur intérêt depuis des mois? On ne peut pas dire que les « célébrations » entourant le 30e anniversaire de l’arrivée du Parti québécois au pouvoir ont provoqué beaucoup d’excitation dans les chaumières cet automne! Avant cela, la victoire d’André Boisclair au congrès à la direction du PQ a été suivie d’une baisse substantielle des appuis dans l’électorat que le parti aujourd’hui peine à rattraper. Ce n’est guère plus reluisant sur la scène fédérale : le Bloc québécois traîne toujours de la patte dans la région de Québec et n’augmente pas son score malgré les décisions impopulaires du gouvernement Harper. Les chefs des deux principales formations souverainistes sont silencieux en ce qui a trait à l’objectif fondamental qui caractérise leur parti : ils préfèrent gérer les dossiers que l’actualité leur amène en espérant le lendemain tirer des médias une manchette approbatrice.
Car aujourd’hui, tout est question de mise en marché et de visibilité auprès de la population pour espérer enclencher quelque chose. Par exemple, la conclusion de la convention du Parti libéral du Canada à Montréal fut hautement médiatisée. Ainsi, l’élection de Stéphane Dion comme chef du PLC fut l’objet d’une minutieuse opération de marketing. Résultat : les libéraux fédéraux ont rétréci l’écart qui les sépare des conservateurs. L’effet durera-t-il? Tout dépendra de la couverture médiatique qu’ils recevront.
Voilà ce qui manque cruellement au camp souverainiste. C’est un secret de polichinelle de dire que l’ensemble des médias parlés et écrits au Québec sont de tendance fédéraliste. Les entrevues et analyses politiques qui parviennent aux oreilles des Québécois favorisent largement l’option fédéraliste. Jusqu’à tout récemment, cette réalité a marqué le comportement de nombreux souverainistes lorsque questionnés sur leur choix politique en public. Ainsi, afficher sa préférence québécoise s’est longtemps accompagnée d’un sentiment de gêne et de malaise. Un peu comme une maladie honteuse qu’il faille cacher. Maintenant, le projet indépendantiste est qualifié d’idée obsolète pour entretenir cet embarras.
L’avènement de l’émission « Tout le monde en parle » à la télévision de Radio-Canada a grandement atténué ce comportement pudique envers la souveraineté. Pour la première fois depuis longtemps, le camp indépendantiste jouit d’une tribune médiatique hebdomadaire de premier plan. Ils sont en effet des millions de Québécois à visionner ce talk-show qui domine les cotes d’écoute télévisuelle depuis sa création. Certes, tous les sujets qui y défilent sont loin d’être glorieux. Néanmoins, lorsque l’animateur a avoué à Bernard Landry, alors fraîchement meurtri par la défaite de 2003, être « loin d’être fatigué d’entendre parler de souveraineté », le ton était donné. Un ton qui n’a depuis jamais changé : l’ensemble des épisodes se déploie toujours en effet sur toile de fond indépendantiste.
Les deux comparses qui animent la « Grande Messe » du dimanche soir, sobriquet qu’emploient souvent les chroniqueurs pour identifier un rendez-vous télévisé très prisé, n’y font aucunement la promotion de l’option souverainiste. Ils réagiraient d’ailleurs fort mal si quelqu’un devait leur prêter ce dessein. Il faut plutôt voir chez eux un comportement nationaliste naturel, à l’instar de tous les animateurs d’autres pays. Ainsi, les clins d’œil favorisant le Québec, les commentaires moqueurs sur le Canada ou d’autres pays qui ont pu être entendus lors d’une télédiffusion, ressemblent à ceux qui pimentent d’autres émissions semblables à travers le monde. Il n’en demeure pas moins qu’assister à tout cela est très rafraîchissant. Surtout que l’auditoire applaudit à tout rompre ces remarques…
L’émission « Tout le monde en parle » effectue un formidable travail de sensibilisation auprès d’une large tranche de la population, celle que les leaders souverainistes parviennent rarement à intéresser. Surtout présentement… La souveraineté ne peut se faire sans le soutien de ces Québécois. Voilà pourquoi il faut se réjouir de pouvoir enfin compter sur cet outil de diffusion de premier ordre. Cette forme de « mise en marché » du projet souverainiste peut heurter des gens qui n’approuvent pas ce qu’ils voient à cette émission. Il faut cependant respecter ceux et celles qui affectionnent ce genre de divertissement : ne sont-ils pas deux millions parfois à se réunir devant le petit écran le dimanche soir? C’est beaucoup de monde qui répandent ensuite la « bonne nouvelle... »
Il est cocasse de voir la société Radio-Canada dépendre d’animateurs souverainistes pour maintenir ses parts de marché télévisuel! Elle ne peut se défaire de ceux qui lui assurent des revenus très lucratifs! Quelle belle revanche après avoir vu trop longtemps des artistes souverainistes affamés, réduits à accepter d’apparaître à des spectacles fédéralistes afin de pouvoir manger, ou consentir à recevoir un prix du gouvernement canadien et régler le loyer avec le cachet qui l’accompagne…
Il est certain que l’émission « Tout le monde en parle » est condamnée à ralentir. Elle ne peut conserver le rythme effréné qu’elle maintient depuis sa création. D’ailleurs, les premiers signes d’essoufflement ont commencé à transparaître. Espérons que les souverainistes pourront compter sur une relève aussi dynamique avant que ce rendez-vous dominical ne disparaisse car, avouons-le, les récents échos en provenance de Québec ne sont pas très bons. Il faut manifestement chercher ailleurs pour expliquer que le projet indépendantiste recueille présentement près de 50% d’appui.
Patrice Boileau





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