Les délégués du Parti libéral du Canada se sont donné un nouveau chef samedi dernier. Divisée, la formation politique toute ontarienne a dû attendre quatre tours de scrutin pour parvenir à trouver un leader susceptible d'accommoder ses membres et de refléter l'opinion de la population canadienne.
Les libéraux tentent de redonner à leur parti une prestance nationale depuis qu'ils occupent les banquettes de l'opposition à Ottawa. C'est pourquoi les stratèges du PLC ont décidé de tenir leur congrès à la direction à Montréal, convaincus que l'astuce ramènera les Québécois au bercail.
Les premiers jours de l'assemblée libérale au Palais des congrès de Montréal ont néanmoins rapidement démontré que tout n'était qu'artifice : les débats entre les milliers de délégués ainsi que l'ensemble des discours des prétendants au trône du PLC se sont déroulés dans la langue de Shakespeare. Des représentants des médias présents à l'événement ont machinalement dénoncé le déroulement unilingue du congrès. Une fois « l'indignation protocolaire » respectée, tous sont retournés docilement à leur occupation.
Il n'y a pas de place pour le français dans les partis politiques canadian. Il n'y en a guère plus dans le pays qu'ils souhaitent diriger. Le plus récent sondage de la firme Léger Marketing dévoilé le 28 novembre dernier l'atteste : 77% des Canadiens hors-Québec n'endossent pas la motion de Stephen Harper. Ils ne reconnaissent pas que les Québécois forment une nation, même si le premier ministre du Canada a fortement insisté pour dire que l'attribution de ce titre était cosmétique. Pour eux, seuls les peuples autochtones et les Métis du Canada méritent de recevoir ce statut.
C'est ce consensus canadian que les délégués libéraux ont exprimé à leur congrès. Ils ont en effet ignoré les Québécois à Montréal et se sont assurés que leur nouveau chef en fera autant. Ainsi, le favori de la course au leadership du PLC, Michael Ignatieff, a été écarté de la direction du parti au 4e tour. L'homme s'est aventuré trop loin en proposant de doter le Québec du statut de nation et d'enchâsser le tout dans la Constitution canadienne. C'est à cause de lui qu'un nouveau débat politique se prépare au Canada à ce sujet. Sa ruse électoraliste l'aura ainsi privé des rennes du parti. Il n'y a que ses supporters québécois qui l'auront cru en se rangeant derrière lui durant la course.
Le portrait final qu'offre le congrès à la direction du Parti libéral du Canada est pathétique. C'est Stéphane Dion, un Québécois, qui a été élu par l'Ontario et essentiellement d'autres anglophones du Canada anglais alors que les délégués en provenance du Québec l'ont très largement boudé. Le député de la circonscription de Saint-Laurent-Cartierville a été préféré aux principaux aspirants ontariens qui ne parvenaient pas à faire l'unanimité des apparatchiks de leur province. Ces derniers recherchaient un candidat trudeauiste, capable de rallier l'électorat ontarien. Ainsi, Bob Rae et Michael Ignatieff ne répondaient pas à ces critères de sélection. Restait donc à se rabattre sur quelqu'un d'autre temporairement, le temps de régler les querelles intestines qui font rage à Bay Street. Humilié car persuadé d'avoir enfin laissé derrière lui ses squelettes déficitaires alors qu'il était à la tête de Queen's Park, Bob Rae songe assurément à ne pas prolonger son séjour au Parti libéral. Il a quitté le congrès en coup de vent.
Il fallait voir les mines déconfites qui ornaient les visages des responsables de la machine libérale au Québec lorsque le nom du vainqueur de la course fut divulgué samedi dernier. Les Coderre, Cauchon, Rodriguez, Frulla, Lapierre et Scherrer savent très bien ce qui attend leur parti au Québec à la prochaine campagne électorale fédérale le printemps prochain. Ce n'est pas avec le « père de la loi C-20 » comme chef, celui qui a appuyé du bout des lèvres la motion de Stephen Harper, que le Parti libéral ravira le pouvoir aux conservateurs. Pour ces libéraux, le Québec offrira le spectacle d'une terre brûlée lorsqu'ils analyseront le résultat du prochain scrutin en 2007. Même Pablo Rodriguez aura de la difficulté à se pincer le nez et à voter pour Stéphane Dion en avril prochain.
C'est le prix à payer lorsqu'on accepte d'être traité avec indifférence par 77% de la population d'un pays. Ainsi s'exprime la démocratie : le Canada est une nation qui ne se développera pas selon les valeurs des autres. Ces autres doivent en prendre acte et cesser de rêver. Ainsi, le réveil fut brutal pour plusieurs d'entre eux sur le parquet du Palais des congrès de Montréal le 2 décembre dernier.
Dans son discours de victoire, Stéphane Dion a imploré les Québécois de « cesser leur blocage. » Il a renchéri en avouant candidement être la preuve qu'un Québécois qui s'exprime mal dans la langue anglaise peut quand même parvenir à se hisser à la tête d'un parti canadian et espérer diriger un pays anglophone. Le pauvre à la mémoire bien courte. Il y a eu avant lui un Québécois affublé du même « handicap » qui a occupé les fonctions de premier ministre du Canada. Le Québec subit d'ailleurs encore les séquelles de sa gouverne aux Communes. Pour ce qui est du « blocage » que les Québécois s'infligeraient au sein de la fédération canadienne, Stéphane Dion erre encore : ce sont les mesures adoptées par son parti qui l'ont provoqué, sans plus.
Monsieur Dion sera le premier chef libéral de l'histoire de ce parti à ne pas se faire élire à la tête du Canada depuis 1867, après avoir remporté une course au leadership. Son passage à la direction du PLC ne sera qu'éphémère. Déjà, les bonzes du PLC en Ontario sont affairés à lui trouver un successeur qui pourra séduire la tribu québécoise, véritable épine au pied qui empêche le Canada de fonctionner. Parions que quelques irréductibles fédéralistes du Québec se sont empressés d'offrir leur service pour aider à le dénicher. Justin Trudeau aura sûrement de la visite...
L'élection de Stéphane Dion comme chef du Parti libéral du Canada proclame clairement et résolument que les Québécois qui choisissent le Canada doivent savoir qu'ils l'adoptent dans sa forme actuelle. Il n'est pas question pour le successeur de Paul Martin de leur proposer autre chose que le statu quo : c'est le mandat qu'il a reçu de ceux qui l'ont élu, le même qu'endossent 77% de Canadiens qui croient qu'il n'y a qu'une seule nation au Canada. Plusieurs intégristes fédéralistes du Québec qui acceptent d'être ainsi ignorés -- jusque dans leur métropole -- se rallieront... Mais pas sous la férule d'un des leurs qui éprouvera un malin plaisir à bonifier son plan B, celui d'affaiblir les Québécois en enfonçant son Canada dans leur gorge.
Patrice Boileau
Carignan, le 3 décembre 2006
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