L'auto contre la forêt?

Industrie forestière en crise


Le géant canadien de la forêt, AbitibiBowater, le plus grand producteur de papier journal au monde, s'est mis sous la protection de la loi sur la faillite. Son possible effondrement menace 15 800 emplois, dont 11 000 au Canada. Le Québec, avec 7500 emplois, serait, et de loin, le plus touché.
Québec a donné un petit coup de pouce de 100 millions, mais Ottawa ne semble pas vouloir se porter à son secours, disant craindre qu'une aide, comme des garanties de prêts, soit perçue par les États-Unis comme contraire à l'entente sur le bois d'oeuvre et mène à des représailles.

Cela a suscité, surtout au Québec, une indignation qui a pris la forme suivante. Pourquoi les gouvernements aident-ils GM et Chrysler, mais pas AbitibiBowater, quand on sait que la forêt, avec ses 825 000 emplois, est bien plus importante dans l'économie que l'automobile avec ses 500 000 emplois?
Malgré les apparences, c'est un très mauvais argument. Les deux industries ne se comparent pas. Cela ne veut pas dire qu'il ne faut pas venir en aide à la forêt. Mais il faut le faire pour les bonnes raisons et de la bonne façon.
Tout d'abord, attention aux statistiques. Les chiffres sont gonflés à l'hélium, et englobent les emplois indirects et induits. Il est plus sage de s'en tenir aux emplois directs: 300 000 emplois dans la forêt, 130 000 dans l'automobile.
La structure des industries est très différente. La forêt, c'est deux secteurs, liés mais distincts, les produits du bois et les pâtes et papiers. Certaines activités, comme les portes et fenêtres, peuvent prospérer même si la forêt connaît des problèmes. En outre, c'est une industrie éclatée. Abitibi, la plus importante entreprise, avec ses 11 000 emplois, ne compte même pas 4% du total. Sa disparition serait un choc terrible, mais elle n'emporterait pas l'ensemble du secteur dans sa chute.
L'industrie de l'automobile, par contre, est très concentrée. Au Canada, 75% de la production dépend des trois géants américains. Le sort d'environ la moitié des 130 000 emplois dans la fabrication, l'assemblage et les pièces dépend de GM et de Chrysler.
La logique n'est donc pas la même. Soutenir GM et Chrysler, c'est vraiment sauver l'industrie automobile. Soutenir AbitibiBowater, c'est seulement sauver cette entreprise. On peut aller plus loin. Si on a des milliards, peut-être vaut-il mieux les déployer pour soutenir le secteur forestier dans son ensemble, par la rationalisation, la formation, la réduction du coût de la ressource.
Les perspectives des deux industries sont par ailleurs fort différentes. Du côté de la forêt, le bois, malmené par la récession, a toujours un avenir. Mais le papier journal est menacé par les changements dans la façon dont on s'informe et dont on produit les journaux. Par contre, l'industrie automobile a un potentiel si elle réussit à fabriquer les bons véhicules.
Il y a toutefois une similitude entre Abitibi, Chrysler et GM. Ils ont besoin d'aide parce que ce sont des dinosaures. Les deux géants de l'auto sont victimes de leur incompétence. On peut dire aussi la même chose de l'industrie de la forêt en général et d'Abitibi en particulier, qui n'a pas suffisamment préservé la ressource, qui n'a pas réduit sa dépendance au papier journal, qui n'a pas assez investi, qui n'a pas fait le virage vert.
Cela met d'ailleurs en relief la grande faiblesse de l'argumentaire qui repose sur l'opposition entre la forêt et l'auto. L'aide aux grands de l'automobile n'est pas inconditionnelle. L'administration Obama est en train de pousser GM à la faillite, pour qu'elle se débarrasse de ses activités non rentables. La survie de Chrysler passe par son rachat par Fiat, possible seulement si les travailleurs font d'importantes concessions. Oui, on aide l'auto, mais c'est une aide qui fait mal. Ne l'oublions pas.


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