Kyoto: le Canada est en infraction

La première échéance du protocole n'a pas été respectée

17. Actualité archives 2007



Le gouvernement canadien contrevient au protocole de Kyoto depuis une semaine parce qu'il n'a pas mis en place, le 1er janvier, le registre national dans lequel entreprises et gouvernements peuvent enregistrer leurs «crédits d'émissions» de gaz à effet de serre (GES) lorsqu'ils devancent la première échéance légale de réductions, soit dans un an, en janvier 2008.
Le porte-parole d'Environnement Canada, Denis Simard, a indirectement confirmé hier le retard du Canada hier en précisant que «la question du registre sera traitée dans le prochain rapport» à l'ONU, un rapport annuel dans lequel les signataires précisent les efforts réalisés dans la dernière année. M. Simard a confirmé qu'aucun registre national officiel n'était en place et il n'a rien dit qui laisse prévoir qu'un tel registre serait créé à très court terme.
Le rapport sur les efforts du gouvernement canadien en matière de réduction des émissions nationales de GES devait être remis le 1er janvier au Secrétariat qui gère le protocole de Kyoto, à Nairobi. Mais le Canada, a précisé le porte-parole d'Environnement Canada, entend le terminer «au cours des prochaines semaines».
Selon les informations obtenues par Le Devoir, les services juridiques fédéraux ont commencé à l'époque du gouvernement Martin à élaborer un scénario de registre national des émissions, conforme aux dispositions du protocole. Cette opération juridique consiste à définir les critères en vertu desquels le Canada va reconnaître les réductions de gaz à effet de serre que réaliseraient maintenant des entreprises alors qu'elles ne sont pas obligées de le faire. Ces réductions deviennent alors des «crédits» qu'une entreprise fait reconnaître et valider, en les inscrivant au registre national, pour les conserver en vue d'une période de réductions réglementaires ultérieure ou pour les vendre, si c'est plus avantageux pour elle.
Le retard du Canada à réduire ses émissions de GES ne constitue pas, pour l'instant, une infraction formelle au traité international ratifié par le Canada en décembre 2002. En vertu de ses engagements, le Canada doit ramener la moyenne de ses émissions entre 2008 et 2012 à 6 % sous le niveau de 1990. S'il prend du retard dans les premières années, il peut se reprendre avant l'échéance de 2012.
Jusqu'ici, le Canada a soumis ses rapports annuels à l'ONU, quoique parfois avec d'importants retards.
Mais l'échéance du 1er janvier 2007, date à laquelle les parties au protocole doivent avoir mis en place un registre national fonctionnel, est la première qui permette de tester la volonté d'un gouvernement à respecter les exigences du protocole.
Ce registre national des émissions, explique Guy Drouin, vice-président et porte-parole de Réseau-Environnement en matière de changements climatiques, est aux crédits d'émissions de GES ce que le Bureau d'enregistrement est aux actes notariés relatifs aux titres de propriété.
Le registre reconnaît, en les consignant sous l'autorité de l'État, les «crédits» de GES réalisés par des entreprises qui ont décidé de prendre de l'avance dans leur plan de réductions, ce qui est parfois avantageux économiquement si, par exemple, une entreprise entend changer son procédé de production. Une fois reconnus conformes aux critères du protocole, ces crédits peuvent ainsi être stockés, si l'on peut dire, en attendant que l'État mette en place des normes de réduction. L'entreprise pourra aussi les vendre sur le marché international, sur l'important marché déjà en place en Europe et sur celui en gestation aux États-Unis.
«En l'absence d'un registre officiel d'émissions, explique Guy Drouin, il n'est pas intéressant pour une entreprise de passer à l'action maintenant, car, lorsque des normes exigeront d'elle de faire un effort, ce qu'elle a déjà fait risque de ne pas être reconnu. L'absence de ce registre décourage donc les entreprises de devancer les exigences gouvernementales, ce qui serait plutôt bénéfique pour la planète sans que cela coûte un sou au gouvernement. L'absence de registre empêche aussi des entreprises d'ici de financer des réductions à bon prix dans des pays en développement en vertu du mécanisme de développement propre du protocole.»
Faute d'un registre national qui validerait leurs crédits, les entreprises d'ici sont ainsi condamnées à regarder leurs concurrents européens mettre la main sur les meilleures aubaines dans les pays en développement, car les premiers projets lancés sont généralement ceux qui rapportent le plus au meilleur prix.
Du sur-place
Les déclarations du premier ministre Harper, publiées hier dans le Globe & Mail, ont soulevé de vives inquiétudes chez les écologistes et tout particulièrement du côté du Bloc québécois où l'on espère que le gouvernement fédéral va mettre en place un plan pour atteindre les objectifs de Kyoto et cesser de faire du sur-place.
Le premier ministre a en effet déclaré que le Canada augmenterait substantiellement ses émissions d'ici à 2012, malgré son engagement de les réduire. Lui qui déclarait la semaine dernière qu'il avait compris le message des Canadiens dans le dossier de Kyoto a déclaré au Globe que le «Canada dépasserait de 50 % ses objectifs en 2012».
Cette déclaration signifie trois choses, expliquait hier au Devoir le chef du Bloc québécois, Gilles Duceppe.
Cela signifie d'abord que «d'avoir sorti Rona Ambrose de l'Environnement pour confier ce ministère à John Baird ne change en rien la politique du gouvernement Harper sur le fond: il continue de renoncer à faire les efforts qui s'imposent, alors qu'il devrait redoubler d'efforts s'il a vraiment compris le message que lui envoient les électeurs», explique Gille Duceppe.
Cela signifie aussi que le gouvernement Harper reste dans le flou sur un des principaux enjeux de la politique canadienne. «Qu'est-ce que le premier ministre veut dire quand il dit qu'on dépassera de 50 % notre objectif. Est-ce +12 % par rapport à -6 %. Est-ce la moitié du chemin par rapport à notre dépassement de 34 % de la cible de Kyoto? On aurait bien des questions à lui poser si on pouvait le faire au Parlement.»
Enfin, le chef du Bloc estime que le manque de détermination véritable du gouvernement dans ce dossier pourrait faire en sorte que Kyoto deviendra son Waterloo.
S'il est difficile de prédire une union des forces d'opposition aux Communes sur la question du déséquilibre fiscal en raison de l'attitude ambiguë des libéraux et des concessions que le NPD pourrait faire de nouveau sur le budget, estime Gilles Duceppe, le dossier de l'Afghanistan ne lui paraît pas plus propice à une coalition sans faille des votes de l'opposition pour renverser le gouvernement Harper car, du côté du Bloc, dit-il, on n'est pas prêt à exiger un retrait total des forces canadiennes pour laisser la place aux talibans.
Par contre, dit-il, le dossier de Kyoto pourrait rejoindre les positions de principe énoncées jusqu'ici par le NPD, les libéraux et le Bloc. Un dossier à suivre de près, selon lui.


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