Kosovo, une sécession juste ?

DUI - Référendum - Kosovo (17 février 2008), Soudan (janvier 2011)



De Cicéron à Michael Walzer, en passant par Saint-Augustin, de nombreux philosophes ont tenté d'établir une distinction entre les guerres justes et les guerres injustes. Le cas du Kosovo incite à s'interroger pareillement sur la différence entre les sécessions légitimes et les sécessions illégitimes. En acceptant l'indépendance de l'ancienne province serbe, la majorité des Etats de l'Union européenne jugent que ses dirigeants sont dans leur droit. Dans le même temps, en refusant que la décision des Kosovars serve de précédent pour justifier d'autres séparatismes, notamment dans le Caucase, ils respectent d'une manière fort sélective le droit des peuples à l'autodétermination, au risque d'être accusés de pratiquer la politique du deux poids deux mesures.
Comment trancher entre les déclarations d'indépendance qui méritent le soutien des Européens et celles qui appellent leur condamnation ? Pour répondre à cette question, un politologue belge, Bruno Coppieters, professeur à l'Université libre de Bruxelles, a choisi d'appliquer au cas du Kosovo les critères de la guerre juste. Si on retient ce modèle, explique-t-il dans une note publiée par le Centre for European Policy Studies (CEPS), une sécession juste suppose six conditions : la défense d'une juste cause, une chance raisonnable de succès, des intentions droites, une décision prise en dernier ressort, la reconnaissance d'une autorité légitime, le respect de la proportionnalité entre les coûts et les bénéfices.
Une juste cause ? Oui, affirme notre auteur. Les massives violations des droits de l'homme en 1998-1999 ont créé une juste cause pour l'indépendance du Kosovo. Les crimes commis ont été tels qu'ils rendent caduque la protestation de la Serbie contre l'atteinte à sa souveraineté, malgré la chute de Milosevic et l'avènement de la démocratie. Une chance raisonnable de succès ? Sans doute, puisque Pristina s'attendait à une reconnaissance de son indépendance par une grande partie de la communauté internationale et que cette attente n'a pas été déçue.
Des intentions droites ? Il n'y a pas de raison de douter que, d'un côté comme de l'autre, les motivations affichées soient bien celles qui dictent la conduite des deux parties. Le respect de la proportionnalité ? La réponse est moins claire. Sur le plan intérieur, le choix de l'indépendance comporte plus d'avantages que d'inconvénients en garantissant la sécurité de la majorité albanaise, pourvu que les droits des minorités le soient aussi ; sur le plan international, c'est l'inverse, si l'on considère les risques de conflits qu'entraîne la nouvelle situation à la fois dans la région et au-delà.
Une autorité légitime ? Là aussi le jugement est contrasté. Oui, les institutions chargées de gouverner le pays en application du plan Ahtisaari sont représentatives de la population et conformes à l'Etat de droit. Non, la reconnaissance de l'indépendance, faute d'obtenir l'accord de la Serbie et la sanction des Nations unies, n'est pas pleinement légitime. Une décision en dernier ressort ? Ce serait vrai si la recherche d'options moins radicales - un accord aux Nations unies ou le gel de toute décision - avait été épuisée, ce dont l'auteur n'est pas convaincu.
L'indépendance autoproclamée du Kosovo ne remplit donc pas tous les critères d'une sécession juste, même si ses revendications apparaissent plus légitimes, au regard de ces principes, que celles de l'Abkhazie, de l'Ossétie du Sud ou de la partie turque de Chypre. Cela ne signifie pas que les Européens ont tort de reconnaître le nouvel Etat, mais on peut au moins en conclure que la pensée philosophique ne saurait se substituer à la raison diplomatique : ils peuvent aider à clarifier les problèmes, non à les résoudre.
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