Ce jeudi, la Cour supérieure, sous la plume de l’honorable Claude Dallaire, a rendu un jugement historique sur le droit à l’autodétermination du peuple québécois.
Résumé de l’affaire de la loi 99
La Loi sur l’exercice des droits fondamentaux et des prérogatives du peuple québécois et de l’État du Québec (RLRQ, c. E-20.1), mieux connue sous l’appellation « loi 99 », fait actuellement l’objet d’une tentative d’invalidation constitutionnelle devant les tribunaux. Ce recours est fondé sur la Loi constitutionnelle de 1982, jamais entérinée par le Québec, faut-il le rappeler. Depuis 2001, la contestation est portée par l’ancien chef du Parti Égalité, Keith Henderson. En 2013, le Procureur général du Canada a décidé d’intervenir dans cette affaire historique, ce qui a mené l’Assemblée nationale à réagir par une motion unanime visant à dénoncer cette immixtion et exiger d’Ottawa qu’il se désiste du dossier, ce qu’il n’a pas fait. La Procureure générale du Québec, conformément à son mandat, apparaît en défense.
Véritable « charte des droits politiques », la loi 99 formalise en droit interne le statut du peuple québécois en codifiant les droits universels à l’autodétermination dont il est titulaire par nature. Par ailleurs, ses dispositions réaffirment certains principes élémentaires de démocratie, notamment la règle classique dite du « 50% + 1 », apparemment mise à mal par la Loi fédérale de clarification, ainsi que l’idée voulant que la légitimité de l’Assemblée nationale repose entièrement sur la volonté du peuple québécois.
En 2016, vu l’importance de ce débat constitutionnel dans le contexte du 150e du Dominion, la Société Saint-Jean-Baptiste (SSJB) de Montréal, fondée en 1834 dans la foulée du mouvement patriote, a résolu d’intervenir dans cette cause judiciaire et constitutionnelle afin de se porter à la défense des dispositions contestées (articles 1 à 5 et 13 de la loi) et de leur portée.
Lors du procès de première instance tenu au mois de mars 2017 en Cour supérieure à Montréal, le Président général et procureur de la SSJB, Me Maxime Laporte, était au nombre des plaideurs qui s’y sont fait entendre. Avec Me Marc Michaud, Me Laporte est associé au cabinet Michaud Santoriello Avocats qui agit entièrement à titre gratuit dans le cadre de cette affaire.
Décision
Ce jeudi 19 avril 2018, l’honorable juge Dallaire a rendu sa décision, confirmant la validité constitutionnelle des dispositions contestées, tel que souhaité par la SSJB. Elle a rejeté toutes les prétentions de monsieur Henderson. La SSJB a également eu gain de cause en ce que le tribunal n’a pas non plus retenu la proposition visant à atténuer la portée de la loi, qui était soutenue par la Procureure générale du Canada. Non seulement cela, elle a de plus qualifié la loi 99 de « loi fondamentale », et s’est inspirée à bien des égards de l’argumentation de Me Laporte dans l’exposé de ses motifs.
Déclaration du Président général de la SSJB, Me Maxime Laporte
« Dans l’histoire de ce pays, rares ont été nos victoires. Hé bien, aujourd’hui, nous, le peuple québécois, nous avons gagné. Nos droits inaliénables, nos fondements démocratiques, notre statut juridique, tels que formellement énoncés par la loi 99, ont été entièrement sauvegardés par la Cour supérieure, cela dans toute leur portée. Et si tout cela a été rendu possible, ç’aura été en bonne partie grâce à nos plaidoiries et à l’intervention de la Société Saint-Jean-Baptiste, cette grande institution citoyenne fondée il y a 184 ans pour l’avancement de nos intérêts nationaux, que j’ai l’honneur de présider et de représenter, aux côtés de mes collègues du cabinet Michaud Santoriello Avocats.
Mais est-ce vraiment là une victoire ? Plutôt, n’aurons-nous fait, au fond, que sauver les meubles, dans ce Canada qui, depuis toujours, multiplie les tentatives de nous neutraliser ?
C’est une victoire qui ressemble plutôt à un sauvetage, sachant que nous évoluons toujours comme simple province dans ce carcan canadien. Sachant qu’à ce titre nous continuerons inéluctablement à subir les préjudices liés à ce statut. Et sachant qu’à tout bout de champ, comme dans cette affaire de loi 99, nous continuons à faire l’objet d’attaques immorales à l’endroit de notre dignité, de nos droits fondamentaux, jusqu’à notre droit à l’existence ? En l’occurrence, l’attaque que nous avons subie dans ce dossier, justifie à elle seule que nous ayons notre propre pays.
En effet, quel peuple avancé sur cette planète, en ce début de 21e siècle, quel peuple doit encore justifier devant un tribunal de son statut, de ses droits historiques et naturels ; quel peuple doit encore se battre pour faire valoir son droit à vivre, son droit d’avoir vécu et son droit d’être seul propriétaire de son avenir ?
Croyez-le ou non, telle est notre réalité ; telle est la réalité du peuple québécois.
À ceux qui prétendaient que la question nationale était réglée, hé bien vous faites fausse route. À ceux qui prétendaient que le débat constitutionnel était endormi, ce qui se passe actuellement devant les tribunaux attestent du contraire.
Aujourd’hui, le Canada, et au premier chef Justin Trudeau, nous doivent des explications. Lui qui a toujours nié que le Québec jouissait de droits en tant que peuple et nation, que dira-t-il aujourd’hui ? Comment nous expliquera-t-il que ces droits, maintenant reconnus, n’aient jusqu’ici pas été respectés ni reconnus par Ottawa, que ce soit lors du rapatriement unilatéral de 1982 ou de l’adoption de la Loi sur la clarté en l’an 2000. Si nous avons de vrais droits, tel qu’énoncés formellement dans la loi 99 et tel que confirmé par la Cour aujourd’hui, comment se fait-il que ces droits n’apparaissent nulle part dans la Constitution canadienne ? Et dans ce contexte, comment le Premier ministre Couillard peut-il se contenter de vaines discussions constitutionnelles avec le Canada anglais, alors qu’il a pour mandat, lui aussi, de faire gagner réellement le peuple québécois, et donc de faire valoir sans compromis, sans compromis, ce que nous avons de plus précieux, ce qui est inaliénable : notre statut et notre liberté.
Une victoire, donc, mais qui reste fragile, sachant bien évidemment qu’il sera loisible aux parties de saisir la Cour d’appel.
Du reste, la Société Saint-Jean-Baptiste est fière de s’être lancée dans cette aventure.
Elle craignait que la loi 99 ne soit invalidée, comme le demandait le requérant Keith Henderson. Elle ne l’a pas été.
Elle craignait que le tribunal n’atténue la portée des dispositions de la loi, qu’elle ramène les droits qu’elle édicte au rang de droits prétendus ou purement déclaratoires, comme le demandait le Canada. Hé bien ce n’est pas arrivé, puisque le tribunal aura plutôt accrédité, à bien des égards, notre position que nous avons défendue : la loi 99 veut bel et bien dire quelque chose, et ce qu’elle dit est fondamental, sans pour autant excéder le cadre en vigueur.
Je terminerai en citant la juge Dallaire qui a rendu un jugement juste, un jugement courageux et de très, très grande qualité :
« Le contenu de la Loi [fédérale sur la clarté, adoptée quelques mois plus tôt,] a fait bondir les parlementaires québécois, qui y ont tout de suite vu une tentative illégale d’intervention dans la gestion interne des affaires propres à la population du Québec, et une action forte s’imposait afin de remettre le fédéral à sa place.
Cela passait par lui rappeler, noir sur blanc, dans une loi, que le rôle de chacun des acteurs de la fédération est bien défini, qu’il doit tenir pour acquis que la population québécoise pourra toujours initier une démarche sécessionniste, si elle le souhaite, et qu’advenant qu’elle le fasse, qu’elle est assez grande pour le faire seule, sans se faire dicter comment par lui […] » », a déclaré Maxime Laporte.