Journaux - Le quotidien La Presse en pleine mutation

Le journal de la rue Saint-Jacques devient locataire à la veille d’un virage important vers le tout-numérique

2b425317fa23e961f5d9541560b3892d

Que se cache-t-il derrière les tours de passe-passe financières de l'Empire Power ?

La Presse + se fera avec moins. Alors que le projet de réinvention du média est sur le point d’aboutir sous le nom La Presse +, l’immeuble occupé par le journal dans le Vieux-Montréal a été vendu à une filiale de l’empire Power Corporation selon les informations obtenues par Le Devoir.
Bref, le journal plus que centenaire devient locataire de sa propre maison alors qu’il va se dématérialiser massivement en ligne. La transaction immobilière date de plusieurs semaines.
Power Corporation possède également le quotidien et ses sites Internet. La transaction immobilière survient alors que l’empire voit ses bénéfices fondre de moitié au quatrième trimestre de 2012. Les états financiers déposés la semaine dernière montrent que les dépenses de la filiale médiatique ont coûté très cher. La dépréciation totalise 56 millions de dollars, soit plus de la moitié de la valeur des filiales numériques de l’entreprise.
Le montant de la vente de l’immeuble historique de la rue Saint-Jacques n’est pas connu publiquement pour l’instant. L’immeuble du 7 au 21 de la rue Saint-Jacques, à l’intersection du boulevard Saint-Laurent, est évalué à un peu plus de 4 millions de dollars selon le rôle municipal. Une note signée par la direction de La Presse affirme que la transaction a été « révisée par un comité indépendant du conseil d’administration et a été effectuée à sa juste valeur marchande ».
Sept quotidiens
La Presse appartient à l’éditeur de journaux Gesca qui appartient lui-même au Groupe de communications Square Victoria. Ce bras médiatique de Power Corporation possède six autres quotidiens du Québec, dont Le Soleil, une maison d’édition, une entreprise de production de télé et les entreprises numériques liées à toutes ces entités.
Le mot annonçant la transaction, signé par Guy Crevier, président-directeur général et président de Gesca, a été envoyé jeudi dernier à tous les employés. « À compter d’aujourd’hui, La Presse devient locataire », résume M. Crevier qui ajoute que la transaction n’aura « aucun impact » sur les opérations courantes.
Il a été impossible d’obtenir une explication de la direction ou des syndicats de l’entreprise. Par cette transaction immobilière, en devenant locataire, l’entreprise cherche peut-être tout simplement à activer des mécaniques comptables lui permettant d’économiser de l’impôt.
Néanmoins, des employés s’inquiètent à la perspective que La Presse se dématérialise complètement en devenant une sorte de « coquille vide ». Les fonds de pension au centre de négociations tendues entre l’employeur et les syndicats sont liés à La Presse Ltée, non pas à Gesca ou au Groupe Square Victoria.
Une réunion patronale syndicale est convoquée ce mercredi au Centre des sciences. Le p.-d.g. Crevier y fera le point et tentera de rassurer les troupes qui s’inquiètent du modèle d’affaire en développement.
La grande mutation
Les raisons du transfert de propriété demeurent donc obscures, surtout après des décennies sans tracas et les dernières années de crise de l’industrie médiatique. Par contre, l’immeuble nécessiterait « des rénovations majeures qui seront assumées par le nouveau propriétaire », selon la note diffusée par la direction aux employés. Il y est aussi précisé que « le montant de la transaction contribuera à la réalisation et au développement de La Presse + ».
Ce projet, en développement depuis près de trois ans, doit aboutir le mois prochain. Il vise la mutation complète du journal et de son site Internet, qui deviendront alors un multimédia entièrement repensé pour les écrans fixes ou mobiles. Les employés en parlent comme du « projet iPad ».
À terme, les plans visent l’élimination des versions papier des journaux. Des informations laissent croire que cette mutation touchera d’abord les journaux satellites de Gesca en régions et à Québec, puis finalement le vaisseau amiral de Montréal.
Une fortune a été injectée dans ce renouvellement, environ 40 millions de dollars selon certaines sources. Plus de 150 nouveaux employés, contractuels ou permanents, ont été embauchés depuis le début de la décennie, dont au moins une centaine d’ingénieurs, d’informaticiens et de designers de site travaillant en secret dans de nouveaux locaux aménagés rue Saint-Jacques. La Presse + s’appuie sur le développement de prototypes brevetés que l’entreprise espère ensuite vendre à d’autres médias dans le monde pour faciliter leur propre transition vers le tout-au-Web.
Tendance lourde
L’hypothèse de la revente éventuelle pour délocaliser l’entreprise ne semble pas tenir à court et moyen terme. Le projet iPad a drainé de gros efforts d’investissements et de logistique, y compris des aménagements de locaux par la firme Saucier + Perrotte Architectes.
La tendance lourde du secteur est pourtant à la réduction des effectifs et des espaces de travail. Le Journal de Montréal a quitté son grand immeuble du Plateau Mont-Royal pour de plus petits locaux dans le Vieux-Montréal après le long conflit du tournant de la décennie. The Gazette n’est plus la voisine de La Presse. Le Devoir a vendu sa permanence historique dans le vieux quartier il y a 20 ans, pour devenir locataire.
La Presse a renouvelé les conventions collectives de ses quelque 700 employés le mois dernier. Selon les informations du Devoir, les syndicats et la direction ont notamment convenu de renflouer le régime de pension déficitaire des employés. La direction se serait engagée pour étirer les délais de correction de 10 à 15 ans.
Les documents du registre foncier montrent que l’immeuble de la rue Saint-Jacques est lié à une hypothèque de 60 millions contractée en juin 2011 auprès de Trust Banque Nationale. Cet emprunt pourrait être en partie lié aux investissements nécessaires pour soutenir le très coûteux projet iPad.
Par ailleurs, le même immeuble et l’entreprise qu’elle abrite ont servi à lever une première hypothèque de 200 millions en septembre 2002. Cet autre emprunt découle peut-être de l’acquisition par Gesca-Power des trois quotidiens du groupe Hollinger, Le Droit, Le Quotidien et Le Soleil, ce dernier ayant été payé environ 150 millions au début du siècle.
Le groupe montréalais Power Corporation et sa Financière Power ont dévoilé cette semaine des résultats de fin d’exercice décevants aux yeux des analystes et des investisseurs boursiers. L’action a chuté de presque 3 % à la Bourse de Toronto mercredi.
La direction des communications de Gesca n’a pas répondu à la demande d’entrevue par courriel du Devoir. Le Syndicat des travailleurs de l’information de La Presse n’a pas voulu faire de commentaires.


Laissez un commentaire



Aucun commentaire trouvé

-->