Élections

Jeunesse dorée?

Un peuple de paresseux ?


François Legault confond tout : les jeunes et la productivité, la belle vie et le taux de décrochage, l’éducation et le dépassement de soi, les pratiques d’une société et les valeurs… Et de cet amalgame ressort un Québec sans avenir, mais surtout sans rapport avec la réalité.


Que dénonçait au juste le chef de la Coalition avenir Québec, François Legault, quand il a opiné lundi aux propos d’un citoyen de Lambton qui trouvait que les jeunes ne pensaient qu’aux loisirs ? Cela reste nébuleux.

Il prétend dénoncer la société de consommation. Mais alors, peut-il évoquer le modèle asiatique ? Au Japon, à Singapour, en Corée, l’inutile gadget à la mode se vend très bien, merci… La satisfaction immédiate de ses envies est même un travers de toutes les sociétés développées, et une aspiration pour les autres. Et comment lutte-t-on contre une telle société ? En menant… la belle vie ! Pratiquer la simplicité volontaire, résister à la marchandisation du monde, voilà qui demande des efforts et un réel dépassement de soi, comme en souhaite le chef de la CAQ… Pourquoi alors en a-t-il si peur ?
Ce serait en fait la productivité qui l’obsède. Mais il semble confondre celle-ci avec le présentéisme au travail. Les heures que l’on fait parce que, comme cela se pratique en Asie ou dans des centres d’affaires comme Londres ou New York, il faut être vu au bureau à 21 heures le soir puis dès sept heures le lendemain matin.

C’est là une pratique sociale, pas une norme d’efficacité, et encore moins un référent pour la moyenne des travailleurs, et surtout des travailleuses — car dans l’Asie tant vantée par M. Legault, c’est monsieur qui passe sa vie au bureau. Madame, elle, reste au foyer : il faut bien quelqu’un pour élever les enfants et laver les chemises du mari très occupé. Y a-t-il quelqu’un au Québec qui voit là un modèle à suivre ? Continuons plutôt de peaufiner l’aménagement travail-famille pour lequel le Québec — merci aux garderies à 7 $ de Pauline Marois — est un modèle. M. Legault devrait en causer à nos amies d’Asie.
Que par ailleurs les jeunes, dans nos sociétés surmenées, refusent de se tuer à l’ouvrage est un atout économique : l’épuisement de leurs aînés coûte cher aux entreprises et au système de santé. De toute manière, ils sont déjà débordés. Même aux études, ils doivent composer avec les exigences du marché du travail du xxie siècle : flexibilité, polyvalence, disponibilité constante. Et pas de régimes de retraite pour les récompenser.

Il s’agit aussi de valoriser l’éducation, a précisé M. Legault. En quoi il n’a pas tort. L’antiintellectualisme, que notre passé explique, n’est pas mort au Québec. Il nous faudrait plus de littérature, de philosophie, d’histoire de l’art…

Oups, non ! Ce n’est pas non plus de quoi cause le chef de la CAQ. Ce qu’il faut, c’est des ingénieurs ! De ceux que l’Inde et la Chine produisent par dizaines de milliers, ce en quoi l’étudiant asiatique d’ici se distingue. Le supertechnicien est le soldat de la grande bataille économique du XXIe siècle. Il est vrai que la philosophie, quelle horreur, peut mener au carré rouge…

N’empêche, François Legault a raison, le taux de décrochage au Québec est inquiétant. Mais ça n’a rien à voir avec « nos » jeunes. Nous venons d’une société dont l’élite a longtemps bloqué l’école obligatoire, où 50 % des petits Canadiens français décrochaient dès le primaire dans les années 1940, où seulement 14 % finissaient leur 11e année au début des années 1960. C’était hier, et ça laisse des traces. La preuve, c’est que nos modèles de réussite, Guy Laliberté et Céline Dion, sont des décrocheurs. Et nos jeunes garçons quittent l’école parce qu’ils arrivent encore à se faire embaucher sans diplôme. Mais qui blâme les employeurs ?

On ne réglera rien en disant des jeunes qu’ils sont trop consommateurs, rechignent à faire des efforts et n’ont pas le sens des valeurs. Réjouissons-nous plutôt du printemps étudiant qui a démontré le contraire. N’avez-vous pas vu que l’avenir est là, M. Legault?


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