->http://www.radio-canada.ca/emissions/samedi_dimanche/2010-2011/chronique.asp?idChronique=120769] À l’émission [«Samedi et rien d’autre» du samedi 2 octobre, Joël Le Bigot a invité Jacques Parizeau
pour qu’il évoque ses souvenirs d’octobre 1970, sur ce qui s’était passé, l’ambiance qui régnait « à l’intérieur du PQ au moment de l’enlèvement de M. Cross». J’ai décidé d’en faire une transcription complète pour les lecteurs de Vigile, en omettant de transcrire certaines des questions de M. Le Bigot.
Daniel Sénéchal
*** M. Parizeau: «D’abord, il faut comprendre qu’au moment de l’enlèvement de Cross, le PQ est tout jeune. Il a été créé en 68. Il a, en avril 1970, il élit ses premiers députés. Sept députés, mais 23% du vote. Ça c’est très important. Parce que, vous fesiez allusion tout à l’heure aux bombes et des mouvements qui se sont dessinés autour de ça pendant, pendant plusieurs années. C’était des événements isolés. Il y avait des partis indépendantistes en 66, par exemple il y a le RIN, qui a présenté des candidats, il y a le RN qui est formé de créditistes souverainistes. Bon, tout ce monde là n’a aucune chance de prendre le pouvoir ou de changer quoi que ça soit de façon profonde et les bombes sont considérées un peu comme des événements isolés. Là en avril 70, tout à coup, un parti susceptible de prendre le pouvoir et séparatiste comme on dit à cette époque là, arrive sur la scène. Ça change beaucoup de choses».
«Mais on ramassait, comment dire, l’esprit de la révolution tranquille, si vous comprenez ce que je veux dire. On ramassait cet esprit là. On vivait de ça. En fait, grâce à la personnalité de René Lévesque aussi et au charisme qu’il avait, il faut bien comprendre que s’il y avait pas eu l’affaire de la Brinks, l’affaire de la Brinks je rappelle pour mémoire ce que ça voulait dire: à un moment donné, des camions de la Brinks quittent Montréal un dimanche matin chargé de toutes espèces de sacs de billets de banque et de titres. L’image apparaît à travers le Québec que l’argent du Québec fout le camp à Toronto. Maintenant, on rirait. Mais à cette époque là l’impact a été terrible sur le point… dans les derniers jours de la campagne électorale où on sentait le vote qui nous filait entre les doigts. On aurait pu prendre 30%».
«Alors. Là, on change, il faut se comprendre, on change complètement de registre. Quelque chose vient d’apparaître au Québec qui menace directement l’unité nationale, dans le sens de canadienne. Avant, c’était des opérations de police ou, des partis politiques qui, des groupuscules comme disait Trudeau. Là, c’est autre chose. Arrivent les événements d’octobre, je vous dit tout de suite que je crois pas à la conspiration. J’ai, je suis remonté moi assez loin, j’étais président de l’exécutif national à ce moment là. Alors, président de l’exécutif national au PQ, c’est un peu le bonhomme chargé de l’intendance puis de la logistique».
«Une chose est claire, on était absolument pas renseigné. C’était un parti nouveau, qui avait accordé de l’importance à l’organisation, à toutes espèces de choses, aux relations… extérieures, aux images, à tout ce qu’on veut, mais pas aux renseignements. On était des bébés dans cette affaire là. Alors, les enlèvements, sont pour nous, comme je pense pour à peu près tout le monde dans la société, un surprise énorme, ça ne s’était jamais fait. C’est un choc. Les bombes, y en avait eu. On, je ne dis pas qu’on s’était habitué aux bombes. Mais, comment dire, les précédents étaient créés si vous comprenez ce que je veux dire. Alors que ça, ça on avait jamais vu ça».
«Depuis le début du PQ, donc depuis deux ans, quelque chose comme ça, Lévesque a fait tout ce qu’il a pu pour maintenir le PQ loin de quelqu’image de violence que ça soit. Et, on va voir le danger tout de suite. C’est clair que l’événement, les enlèvements, ils ont pas été manigancé par le gouvernement fédéral, j’y crois pas un instant. Mais je crois très volontiers que le gouvernement fédéral a saisi cette occasion pour en faire, pour provoquer une crise politique majeure. Je le pense toujours, j’en suis convaincu. Il y a eu de l’infiltration, c’est sûr qu’au fur et à mesure ou les jours ont passé, la police a infiltré les cellules et ils ont, par exemple, commencé à apprendre, pas mal de choses, ça c’est vrai. Mais s’imaginer que le gouvernement fédéral a monté ça, ça, à mon sens , c’est un peu exagéré. On se comprend là, pas mal exagéré.
À savoir si les différents paliers de gouvernement savaient des choses ou s’ils auraient pu sauver M. Laporte ou M. Cross , M. Parizeau hésite quelque peu avant de répondre: «Moi je, j’peux pas, j’peux pas vous dire, j’ai pas de preuves. J’ai suivi pendant ce temps, un individu, qui, manifestement travaillait pour le gouvernement fédéral, pour une des antennes de renseignement du gouvernement fédéral. On l’a suivi de la CSN, où il avait fait un certain nombre d’analyses et d’études qu’il avait communiqué à Ottawa. La CSN nous avait envoyé son dossier et on l’avait vu monter dans le PQ d’élections, dans les élections de comté là, les scrutins de comté, monter assez haut. Et on avait, à un moment donné, l’impression qu’il était devenu l’agent de liaison entre les deux cellules, au fur et à mesure où les jours passaient. Je n’ai jamais pu avoir de preuves de ça. J’en suis, je suis convaincu qu’à un moment donné, oui, la Gendarmerie royale ou la police ou le gouvernement, ont su. Mais, quand? Trop tard, pour être capable de bouger? J’en sais rien. Il faut comprendre que ces opérations de renseignements, c’est pas instantané, c’est pas parce que vous pesez sur le bouton en disant je veux avoir le renseignement d’ici demain soir que vous l’avez, ça peut prendre une semaine, dix jours, quinze jours pour avoir le renseignement».
«En fait moi, dans mon cas, ce qui m’a le plus frappé, c’est de voir à la suite de la lecture du manifeste du FLQ par Gaétan Montreuil, à Radio-Canada, de voir les réactions autour de moi dans les jours qui ont suivi: ils ont raison les petits gars; ça n’a pas de bon sens que ça continue comme ça; c’est vrai qu’on mange de ce que vous savez depuis assez longtemps. Moi je prends toujours des taxis depuis cinquante ans, le chauffeur de taxi que je prenais me dit, mais monsieur ça n’a pas de bon sens, qu’est-ce que c’est cette affaire là, ils ont raison les petits gars».
«Imaginez qu’ils vont organiser une assemblée au Centre Paul-Sauvé, où il va y avoir trois mille personnes, trois mille personnes! Écoutez, pour…hein, des discours absolument incendiaires. Là, un certain nombre de politiciens vont commencer à, comment dire, à «surfer» là-dessus, à accentuer les choses. Par exemple, le maire Drapeau, Jean Marchand, vont, qui est à ce moment là ben, bien, qui avait été président à la CSN, qui à ce moment là était ministre fédéral à Ottawa, vont commencer à parler d’une insurrection appréhendée, des, des milliers de personnes en armes attendent le signal d’une insurrection. Bon, il y a une atmosphère de folie là qui s’installe dans notre société, on devient tous un peu paranoïaques. Mais, il faut bien comprendre, qu’en l’espace de quelques jours, ça devient très difficile de, comment dire, de ne pas se sentir entouré d’une atmosphère de suspicion et de violence appréhendée. Et là Lévesque va jouer un rôle absolument extraordinaire à ce moment là, de revenir essentiellement à, je ne veux pas de violence, le PQ ne… d’aucune espèce de façon, ne sera pas mêlé à ça. Il est allé très loin… en privé… à l’égard de son entourage, «si l’un d'entre vous est le moindrement tenté par ce genre de choses, il est à la porte»».
«…oui, à partir du moment où Laporte est enlevé, là ça provoque comme une sorte de, de commotion dans l’opinion publique, là on a peur. Et c’est parce que là on a peur qu’on s’est dit quand même deux enlèvements successivement, non, non, c’est trop, trop. Qu’est-ce qui se passe? Et c’est là qu’on va accréditer à cette étape-ci l’idée, d’une, voyons, ils sont très nombreux, ils sont, comment dire, il y a une insurrection qui s’en vient. Et là, vous avez cette assemblée au Centre Paul-Sauvé où des, des discours absolument incendiaires sont faits devant des milliers de personnes. Beaucoup de gens vont avoir une sainte frousse».
«Comprenons nous bien, là le fédéral voit le parti qu’il peut tirer de tout ça, pour abattre le PQ, qui est en somme la seule, comme je le disais tout à l’heure, la seule force organisée capable vraiment de faire bouger les choses sur le plan de la souveraineté du Québec. Bon, là l’objectif change complètement. L’épisode de Marc Lalonde allant à Ottawa… à Québec pour faire signer M. Bourassa, ça se comprend, c’est dans la loi ça. L’armée ne peut pas entrer dans une province sans l’accord du… autrement qu’à la demande du gouvernement de cette province».
À savoir si c’est M. Drapeau et M. Bourassa qui ont exigé la loi des mesures de guerre, M. Parizeau réplique: «Je sais que ce n’est pas exact ça, je sais que c’est pas exact parce, en fait M. Lalonde a du littéralement aller à Québec et puis tenir la main de M. Bourassa pour le faire signer. C’est… non, non, là Trudeau prend le contrôle de l’opération. On se comprend, à partir du moment où la loi des mesures de guerre est déclarée, le contrôle des opérations est clairement entre les mains du gouvernement fédéral. Et, la loi des mesures de guerre, là on oublie un peu ce que ça signigie, ça lève toutes les libertés civiles. Un agent de la paix dans l’exercice de ses fonctions ne peut pas être poursuivi. Alors, il va y avoir, d’abord une vague d’arrestations, cinq cents personnes arrêtées, on se comprend, essentiellement des souverainistes, certains syndicalistes et souverainistes en même temps, voyez, sans qu’aucune accusation n’ait jamais été portées contre eux, jamais, pas une. Dans des conditions extrêmement bien choisies. Par exemple, à Trois-Rivières, en pleine nuit, l’armée enlève tous les membre de l’exécutif du PQ. Tous. À Rouyn-Noranda, même chose. Faut être ciblé, faut être très bien renseigné pour faire des opérations comme ça. À d’autres endroits, par exemple Drummondville, aucune arrestation. Mais quelque chose comme 400 perquisitions, habituellement le soir avec les voitures, les gyrophares et puis tout le pataclan, faites essentiellement chez les membres du PQ. Là encore, ils sont parfaitement renseignés. Avez-vous une idée de l’atmosphère dans une ville comme Drummondville rendu, quand vous êtes rendus à 400 perquisitions le soir? Alors, le PQ, comment dire, disparaît. Il y a des gens qui nous disent : mais que c’est que vous avez fait pendant ces jours là? Parce qu’on a, comment dire, Lévesque faisait un certain nombre de déclarations et participait au débat public. Mais nous, qu’est-ce…on cherchait à ramasser puis à rapailler le parti».
«Il y a une histoire absolument charmante à cet égard là qui reste pour moi un de mes plus beaux souvenirs de l’époque. Je reçois, je suis… président de l’exécutif, j’ai un bureau… c’était sur Christophe-Colomb, je pense, bon, je reçois un coup de téléphone. Le vicaire d’une paroisse, à Rouyn-Noranda, qui me dit, ou c’était peut-être Val d’Or, je ne me souviens plus, et qui me dit «dites donc, tout votre monde a l’air d’être arrêté ici par la police. Il y a un jeune homme qui vient d’entrer qui dit qu’il est votre agent de liaison et puis il m’a dit, il m’a donné votre numéro de téléphone parce que, il m’a dit qu’il serait arrêté bientôt. Puis il devait avoir raison parce que quand il est sorti du presbytère, j’ai regardé par la fenêtre, puis une voiture de police l’a arrêté. Alors, écoutez, je me rapporte, il m’a donné votre numéro de téléphone, qu’est-ce que je peux faire pour vous?» Et pendant quinze jours, ce vicaire m’a servi de, à la fois de, il a du chercher les renseignements dont j’avais besoin pour ce qui se passait là-bas, on le savait pas. Puis d’autre part, pouvait… une fois qu’on a réussi à trouver ceux qui restaient dans l’organisation, il avait communiqué les instructions que je lui donnais, ça a été mon agent de liaison avec l’Abitibi pendant quinze jours et au bout de quinze jours, il m’appelle et il me dit «votre monde commence à sortir de prison, peut-être que vous n’avez plus de besoin de moi». Et puis, on ne s’est jamais rencontrés».
«Bien, je pense que, oui, le fédéral a raté son coup. Il devait normalement, avec des moyens pareils, avec une pression psychologique pareille, il devait nous détruire. Et puis, ça n’a pas marché. Ça n’a simplement pas marché. Il y a eu, comment dire une sorte de… c’est vrai tenez, c’est vrai qu’il y a eu des… à l’occasion de la loi des mesures de guerre, des policiers et des gens de l’armée qui ont abusé terriblement de la situation et qui ont fait, qui se sont conduits comme des sauvages. Il y en a d’autres, au contraire, qui, comment dire, tout à fait sous le manteau, nous ont donné des coups de mains extraordinaires. Les listes de membres qui étaient tellement importantes à ce moment là, puis oubliez pas, il n’y avait pas d’ordinateurs, c’était pas informatisé ça, c’était des cartes de membres dans des boîtes. Bon, à six heures du matin, un policier de la ville de Montréal nous téléphone pour nous dire, «écoutez, ce matin, la police va faire une descente à la permanence, ils veulent les listes». Bon, on se réunit tous là bas, on est une demi-douzaine et on se partage les boîtes, chacun part avec sa boîte sous le bras et on s’en va cacher ça dans les armoires dans les maisons, des machins comme ça. Faut comprendre, ils ont tout fait, puis ils ont raté leur coup, ça nous a pris deux ans pour remonter».
«Je vous parlais de Drummondville tout à l’heure. J’ai essayé, six mois après de faire, de recommencer une réunion de membres là bas, on était quatre, quatre. Je recommence une deuxième fois et ce n’était pas mieux. Une troisième fois et là, c’était organisé avec des dix cents, c’était dans toutes les boîtes de téléphone des environs, en disant «Parizeau était à l’hôtel à Drummondville et la police est pas là, ils ne l’ont pas arrêté, venez vous en. On a fini l’assemblée, on était 81. Quand même, on a passé au travers, en ce sens là».
Fin de l'entrevue.
Jacques Parizeau et octobre 1970
Transcription d'une entrevue du 2 octobre 2010
Crise d'Octobre '70 - 40e anniversaire
Jacques Parizeau21 articles
En 1994, Parizeau mène le Parti québécois à la victoire électorale, formant un gouvernement majoritaire convaincant et devenant premier ministre du Québec. Parizeau promet de tenir un référendum sur la souveraineté du Québec dans la première année de son m...
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En 1994, Parizeau mène le Parti québécois à la victoire électorale, formant un gouvernement majoritaire convaincant et devenant premier ministre du Québec. Parizeau promet de tenir un référendum sur la souveraineté du Québec dans la première année de son mandat, et malgré des objections de toutes parts, il respecte sa promesse. Il fixe la date du référendum pour le 30 octobre 1995. Au début, l'appui à la souveraineté se situait à environ 40 % dans les sondages d'opinion. À mesure que la campagne avance, toutefois, les appuis à l'option du « Oui » se mettent à monter. Malgré cela, l'option souverainiste plafonne, et Parizeau fait l'objet de pressions pour s'adjoidre les services de Lucien Bouchard, le chef extrêmement populaire du Bloc québécois, perçu comme plus modéré et plus pragmatique, en le nommant "négociateur en chef" advenant la victoire du "Oui". Pour le succès de la cause, Parizeau accepte ainsi de jouer un second rôle pour la suite de la campagne.
{[Wikipedia->http://fr.wikipedia.org/wiki/Jacques_Parizeau]}
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2 commentaires
Archives de Vigile Répondre
10 octobre 2010« Pierre Laporte ne serait pas mort si on ne l’avait pas kidnappé. Et personne ne l’aurait kidnappé si de jeunes esprits qui portaient aussi mal les idées que d’autres portent mal la boisson ne s’étaient sentis obligés de jouer à la Révolution pour libérer un peuple qui apprenait à s’émanciper sans eux.»
Source ; Mathieu Bock-Côté,24h Montréal,11 octobre 2010
Archives de Vigile Répondre
4 octobre 2010Et 6 ans plus tard le Parti Québecois prenait le pouvoir . Merci Mister Elliot