Dans [une lettre parue dans la page Idées du Devoir le 12 janvier dernier->25039], Gérard Bouchard s'en prend à «certains intervenants (très actifs dans la revue L'Action nationale)» qui, «dans le débat sur l'identité nationale», «s'emploient à semer la confusion» entre autres en confondant multiculturalisme et interculturalisme. Puis, le sociologue-historien lance un défi à ces intervenants en les invitant à présenter un modèle d'intégration alternatif «conforme aux exigences de la démocratie et du droit [et] capable d'articuler efficacement la double obligation d'assurer l'avenir de la francophonie québécoise et de respecter la diversité».
En tant que collaborateurs réguliers à la revue L'Action nationale et auteurs de plusieurs textes sur des questions d'identité et de diversité, nous nous sentons interpellés par cet appel de M. Bouchard.
Le modèle alternatif que nous proposons apparaît clairement dans plusieurs de nos écrits; nous invitons donc M. Bouchard à les consulter. Pour nous, le modèle québécois d'intégration pourrait se définir à partir du principe de «convergence culturelle» développé par Fernand Dumont. En vertu de ce principe, s'il faut prendre acte du fait que les citoyens ont des héritages culturels divers, il faut surtout favoriser l'intégration nationale. C'est une façon de décourager les «cloisonnements ethniques» qui n'a donc rien à voir avec «l'exclusion» et tout à voir avec l'inclusion, mais pas à n'importe quel terme.
Droit canadien
Ce modèle québécois devrait aussi être une troisième voie entre la laïcité à la française et le multiculturalisme canadien. Il s'agit de proposer une laïcité adaptée à nos besoins sans être édulcorée (contrairement à celle dite «ouverte»). Concrètement, cela devrait se traduire notamment par une législation qui ne serait pas aussi permissive que le droit canadien en matière de port de symboles religieux, sans nécessairement être aussi restrictive que le droit français, par ailleurs tout à fait légitime.
Plus fondamentalement, nous prônons un modèle qui serait élaboré d'abord par le peuple québécois par l'entremise de ses représentants plutôt que par des juges nommés par Ottawa. C'est peut-être là la plus grande différence entre nous et M. Bouchard: pour nous, il existe d'autres conceptions démocratiques du droit que celles qui définissent une égalité «différenciée» selon les origines ethniques ou les confessions et qui valorisent la diversité avant tout. Et ces autres conceptions sont parfaitement défendables même si elles entrent parfois en contradiction avec le droit canadien.
Faut-il rappeler à M. Bouchard que l'article 27 de la Charte canadienne qui constitutionnalise le multiculturalisme s'applique au Québec et, dès lors, que l'ensemble du droit québécois, à commencer par la Charte québécoise, est soumis à ce principe? Par conséquent, deux solutions s'offrent aux Québécois désireux d'élaborer un modèle d'intégration différent du modèle canadien: prôner un recours systématique à la cause dérogatoire ou se soumettre docilement au droit canadien, et de ce fait condamner le modèle québécois à n'être qu'une variante régionale du modèle multiculturaliste canadien. Si nous préférons la première avenue, en revanche M. Bouchard préfère la seconde, comme l'illustre notamment sa référence à la nécessité d'une façon de faire «conforme aux exigences de la démocratie et du droit», autrement dit conforme aux décisions prises par les tribunaux en fonction de la Constitution de 1982 à laquelle pourtant le Québec refuse toujours d'adhérer.
Clause dérogatoire
L'affaire du kirpan illustre parfaitement ce dilemme. Si le modèle québécois doit se différencier du modèle canadien, c'est notamment en regard de ce type d'excès, illustrés dans l'affaire Multani c. Commission scolaire Marguerite-Bourgeoys. Dans cette affaire, la Cour suprême autorisa le port d'une arme blanche à l'école, sous prétexte que «l'argument selon lequel le port du kirpan devrait être interdit parce qu'il représente un symbole de violence ne tient pas compte des valeurs canadiennes fondées sur le multiculturalisme».
Alors que cette affaire aurait pu être l'occasion d'invoquer la clause dérogatoire et d'ainsi faire ressortir une différence importante entre les modèles canadien et québécois, il a plutôt été l'occasion pour plusieurs intellectuels, dont M. Bouchard, de se rallier implicitement au modèle canadien en appuyant la décision de la Cour suprême. En effet, ces intellectuels ont beau prétendre qu'en théorie il existe des différences entre le multiculturalisme canadien et l'interculturalisme québécois qu'ils défendent, si dans les faits ils se rallient systématiquement aux décisions qui symbolisent ce premier modèle, cela ne rime à rien.
Nous serions d'ailleurs tentés de demander à M. Bouchard de citer une seule disposition de la Loi sur le multiculturalisme ou une seule décision fondée sur l'article 27 de la Charte canadienne avec laquelle il n'est pas d'accord. Mais, surtout, nous l'invitons à accepter qu'il existe d'autres modèles d'intégration aussi légitimes que celui qu'il défend et qu'un authentique débat sur ces questions ne peut être défini en fonction de conditions établies par un seul individu.
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Guillaume Rousseau - Candidat au doctorat en droit à l'Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne et à l'Université de Sherbrooke
Charles-Philippe Courtois - Historien et professeur au Collège militaire royal de Saint-Jean
Intégration et laïcité - D'autres voies sont possibles
L’affaire du kirpan illustre parfaitement la nécessité pour le modèle québécois de se différencier du modèle canadien sur les questions d’identité et de diversité.
Interculturalisme - subversion furtive, déniée (le progressisme a ses contraintes...)
Guillaume Rousseau35 articles
L'auteur, qui est candidat au doctorat en droit à l'Université de Sherbrooke, a étudié le droit européen à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV. Actuellement, doctorant à l’Université Paris I-Panthéon Sorbonne
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L'auteur, qui est candidat au doctorat en droit à l'Université de Sherbrooke, a étudié le droit européen à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV. Actuellement, doctorant à l’Université Paris I-Panthéon Sorbonne
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