Immobilisme ou participation des citoyens?

Retard économique du Québec


La Fédération des chambres de commerce du Québec vient d'ajouter sa voie (sic) à une récente litanie dénonçant l'immobilisme «stérile» et une attitude de «refus systématique» face à la réalisation de grands projets qui affecteraient la société québécoise. Selon la FCCQ, les mécanismes d'examen et de consultations publics actuels, comme le Bureau d'audiences publiques sur l'environnement (BAPE), défavorisent l'acceptation des projets d'envergure. Sa solution : une agence gouvernementale consacrée à l'analyse économique des projets, composée d'une vingtaine d'économistes «de différentes écoles de pensée», à l'image du défunt Conseil économique du Canada.
Venant de terminer une maîtrise en droit portant spécifiquement sur la participation du public à la prise de décision, je considère que la position des représentants de la FCCQ démontre une profonde méconnaissance de la procédure actuelle d'évaluation et d'examen des impacts et du processus d'audiences publiques mené par le BAPE. Plus grave encore, cette position va à l'encontre du droit international sur ces questions.
Ainsi, vers la fin des années 1980, le concept de développement durable est apparu et met clairement en avant la participation du citoyen ainsi qu'une information complète en matière d'environnement. De plus, il implique une évaluation de nos projets de développement qui tienne compte également des intérêts des générations futures et des limites de la capacité de support de nos écosystèmes. Cette évaluation doit chercher à assurer une meilleure équité entre les différents secteurs de la société et exige, pour ce faire, la participation de tous.
Ces principes juridiques du développement durable sont adoptés par la communauté internationale lors du Sommet de Rio de 1992. Depuis, de nombreux textes et conventions internationales ont approfondi ces questions. D'ailleurs, l'OCDE et la Banque mondiale militent en faveur d'une telle participation dès la conception des projets, contrairement au Québec où le public n'est consulté, lorsqu'il l'est, qu'à la toute fin. Pourtant, la FCCQ ne doit guère suspecter ces organismes de négativisme face à des mots comme profits, mondialisation, compétitivité ou productivité, ce qui serait le cas, à l'entendre, de la société québécoise...
Le développement durable nécessite intégrer l'économie, le social et l'environnement dans la prise de décision. Cela ne peut vouloir dire, comme le suggère la FCCQ, fractionner l'évaluation des projets selon chacun de ces critères et avoir des organismes spécialisés pour les traiter séparément. Il s'agirait là d'un net recul alors même que le développement durable, supposément au centre de l'action gouvernementale en vertu d'une loi récente, implique une vision intégrée plutôt qu'un cloisonnement des champs d'activités. À ce sujet, il vaut la peine de citer un rapport du Conseil canadien des ministres des ressources et de l'environnement:
Nos recommandations reflètent des principes que nous partageons avec la Commission mondiale sur l'environnement et le développement. Nous croyons notamment que la planification environnementale et la planification économique ne peuvent pas se faire dans des milieux séparés. [...] La planification et la gestion de l'économie et de l'environnement doivent donc être intégrées .
La position de la FCCQ est aussi désolante en ce qui a trait à sa méconnaissance des travaux du BAPE depuis bientôt 30 ans ! L'étude d'impact qui y est examinée et débattue est celle préparée par les promoteurs des projets et les retombées économiques positives des projets en font toujours partie. C'est à la population de venir exprimer, lors des audiences publiques, d'éventuels aspects négatifs à ces retombées. Et au gouvernement de décider ensuite. Dire, comme la FCCQ, que la dimension économique des projets est absente des travaux du BAPE et qu'il manque un endroit «neutre» pour discuter de la question économique des projets est une insulte aux milliers de citoyens qui ont participé à ces audiences et aux artisans de cette institution réputée. Même l'OCDE a reconnu publiquement, lors d'un récent colloque en Australie, la valeur des audiences publiques menées par le BAPE.
Tous les rapports du BAPE traitent de la dimension économique des projets soumis. Dès sa création, en 1978, le BAPE a fait sienne une conception large de l'environnement qui englobe aussi les dimensions sociales et économiques. Vouloir que le BAPE ne s'intéresse qu'au sort des petits oiseaux en compagnie de granolas-écolos et laisse à des gens «sérieux» le soin de débattre «des vraies affaires» (l'économie...) démontre une mentalité qui s'est immobilisée quelque part autour de la fin des années soixante.
Il en va de même lorsque des représentants de chambres de commerce mettent en doute la légitimité des citoyens qui interviennent dans les audiences publiques. En quoi les inquiétudes de gens directement concernés par la réalisation d'un projet, inquiétudes portant sur leur santé ou sur celle de leur environnement, sont-elles moins légitimes que l'intérêt financier qu'un membre de chambre de commerce peut porter à la réalisation du projet ? De plus, à quoi sert vouloir une population éduquée et instruite, former des architectes, ingénieurs, urbanistes, agronomes, botanistes, sociologues et autres professionnels, si c'est pour leur dire de se taire quand un projet de «développement» se pointe dans leur milieu? Et pourquoi, par exemple, des gens qui travaillent d'arrache pieds depuis 25 ans pour protéger le mont Royal de l'empiètement devraient devenir silencieux parce qu'un promoteur américain veut plus de sièges pour rentabiliser son équipe, le tout majoritairement financé par nos propres fonds publics ?
Quant au Suroît, contrairement à ce que dit la FCCQ, il faut se féliciter que la mobilisation citoyenne ait convaincu le gouvernement Charest de laisser tomber ce projet pour privilégier l'éolien et l'économie d'énergie. Aujourd'hui, tant le gouvernement que la nouvelle direction d'Hydro-Québec se félicitent de ce choix. Les économies d'énergie réalisées dépassent tous leurs pronostics et font même en sorte que tous les québécois paieront moins cher que prévu leur électricité dans les années qui viennent. Ce qui est bon pour l'économie... même si cela ne résulte pas d'un «grand projet» !
Décidément, il semble bien difficile pour une partie de nos élites économiques et politiques d'accepter la revendication croissante d'une démocratie participative permettant à une population mieux instruite et plus soucieuse des enjeux environnementaux de s'impliquer à part égale dans la planification du développement de nos sociétés. Et de comprendre que les droits économiques n'ont à jouir d'aucune «primauté» face à des droits sociaux et environnementaux dont le développement durable exige le respect de façon toute aussi égale et entière. Si le Québec aspire à un développement qui soit durable il faudra bien surmonter cet immobilisme des mentalités actuellement affiché par les représentants de la FFCQ...
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Me Jean Baril
_ Avocat spécialisé en droit de l'environnement*
* L'auteur, Me Jean Baril, publiera à l'automne aux Presses de l'Université Laval un livre intitulé Le BAPE devant les citoyens


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