Histoire - Un curé plus frondeur que Papineau ?

Livres - revues - 2010

En 1839, Étienne Chartier, l'un des très rares prêtres patriotes, déclare dans une lettre à Papineau que, si celui-ci avait eu «autant de courage que d'éloquence», il serait «peut-être aujourd'hui glorieusement assis dans le fauteuil présidentiel de la République» du Bas-Canada. Mais, deux ans plus tard, il écrit à Mgr Bourget pour désavouer sa propre participation au mouvement de 1837. «Qui veut faire l'ange fait la bête», aurait dit Pascal.
Mais Gilles Boileau différerait d'opinion, même si c'est lui qui rapporte les faits dans Étienne Chartier. La colère et le chagrin d'un curé patriote, précieux ouvrage inspiré de documents inédits grâce à la collaboration du chercheur Léo Chartier, descendant en ligne collatérale de l'ecclésiastique. L'historien tient à nous convaincre du caractère «irréprochable» de la vie d'un prêtre «dévoué».
À le lire, on a toujours l'impression que les nombreux adversaires de l'abbé Chartier, qu'il s'agisse des sulpiciens, d'évêques ou de confrères, ont tort de voir en celui-ci un esprit chicanier, inconstant, exalté. Né près de Montmagny, Étienne Chartier (1798-1853) fut tour à tour journaliste en colère contre ses patrons, avocat sans cause, instituteur laïque et prêtre. Premier directeur du collège de Sainte-Anne-de-la-Pocatière, il fut congédié en raison de ses attaques contre l'oligarchie britannique et de rumeurs de sodomie pratiquée avec des élèves.
Boileau se garde d'évoquer ce dernier détail, même s'il cite le drôle de plan d'études (1828) que Chartier imposait au petit séminaire: «Y a-t-il rien de plus ridicule que de défendre si explicitement les amitiés particulières?... En dépit des maximes de collèges, on s'aimera à Sainte-Anne.» Souvent criblé de dettes, le prêtre, en conflit avec les marguilliers ou l'évêque, doit changer de cure deux fois avant de diriger la paroisse de Saint-Benoît.
C'est surtout là, dans la région des Deux-Montagnes, qu'il s'illustre au milieu des Patriotes. À couteaux tirés avec Mgr Lartigue et sa tête mise à prix par le pouvoir colonial britannique, il se réfugie aux États-Unis. Révolutionnaire repenti, il reviendra finir ses jours chez nous en continuant d'exercer son ministère sacerdotal.
Obnubilé par le jusqu'au-boutisme du Chartier d'avant 1841, Boileau minimise la rétractation du prêtre au point de prétendre que Papineau «a peut-être connu lui aussi un moment de faiblesse, confinant à la lâcheté». Mais il a raison d'admirer ces mots que Chartier prononça dès 1829: «Qu'est-ce donc qui sauvera le Canada du mépris, de la dégradation, de l'esclavage politique? L'éducation, l'éducation politique...»
Pour que le remède se répande et que le Canada des ancêtres se confonde avec le Québec, il fallait attendre la Révolution tranquille. On ne pouvait reprocher à Papineau de ne pas avoir affranchi un peuple alors incapable, en grande partie, de concevoir sa libération.
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ÉTIENNE CHARTIER

Gilles Boileau

Septentrion

Québec, 2010, 366 pages
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Collaborateur du Devoir


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