Histoire

Les Molson, antithèse de Papineau

Dans Molson et le Québec, l'historien Gilles Laporte trace un portrait d'une des familles multimillionnaires les plus célèbres du Québec

CH — boycott des produits Molson

Alléguant une tradition orale, Hector Berthelot (1842-1895) raconte que l'Anglais John Molson père (1763-1836), fondateur de la fameuse brasserie montréalaise, portait la tuque et l'«habit du pays» en achetant de nos «habitants» l'orge pour fabriquer sa bière. Mais, en 1844, Papineau fait de John Molson fils l'ennemi des Canadiens, l'un des «plus féroces» instigateurs des «violences de 1837».
Qui livre la vraie image des Molson?
Sûrement pas Berthelot, trancherait Gilles Laporte, qui, dans Molson et le Québec, son essai vivant et si bien documenté, premier livre écrit en français sur la dynastie commerciale, juge que le portrait brossé par l'écrivain d'un marchand bonhomme, «très populaire auprès des Canadiens», tient de la légende. L'historien signale que, dès qu'il débarque au pays en 1782, John Molson père, méprisant, déclare dans une lettre que les Canadiens sont «de pauvres créatures qui doivent passer des heures à fumer».
Pouvait-on espérer davantage d'un homme qui, en 1832, devient membre du Conseil législatif, l'un des corps non élus d'une oligarchie coloniale qui combat les revendications démocratiques de Papineau? Mais, en s'associant à d'autres Britanniques chauvins, John Molson fils (1787-1860) se montre, comme le souligne Laporte, encore plus hostile aux Canadiens, à qui il reproche, en 1835, leur «manque d'éducation» et leur aveuglement politique.
Deux ans après, il participe aux opérations militaires menées contre les Patriotes et, en 1849, il sympathise avec la foule anglo-saxonne en colère qui, à Montréal, incendie le parlement du Canada-Uni parce que l'Assemblée législative vient d'y accepter d'indemniser les victimes de la répression coloniale.
Quel essor de Montréal ?
Certes, la famille Molson a contribué à l'essor de Montréal, notamment par sa bière, ses bateaux à vapeur, sa banque, sa participation à l'avènement du rail, mais elle l'a fait pour affirmer la présence anglophone au Québec. Grâce à son tact aussi bien qu'à son souci de la vérité, Laporte ne peut mieux résumer les choses qu'en insistant sur une «cohabitation, qui ne fut jamais une osmose».
Lorsqu'en 1957 le sénateur Donat Raymond, propriétaire des Canadiens, équipe de hockey fondée en 1909, la vend aux Molson, les industriels ont-ils conscience de se renier en s'appropriant le célèbre logo CH qui suggère «Canadiens et habitants», ceux que leurs ancêtres méprisaient? Nullement.
Pas plus que John Molson fils pensa offenser la reine Victoria en se prononçant en 1849 en faveur de l'annexion du Canada aux États-Unis pour des raisons commerciales, circonstancielles, éphémères, motifs différents de ceux de Papineau, annexionniste lui aussi. L'histoire et ses symboles, les affairistes les laissent aux rêveurs comme Papineau, qui, en 1856, prophétisera un Nouveau Monde républicain, humanitaire et multilingue, formé de nations confédérées du pôle Nord à la Terre de Feu.
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MOLSON ET LE QUÉBEC

Gilles Laporte

Éditions Michel Brûlé

Montréal, 2009, 272 pages
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Collaborateur du Devoir


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