Hérouxville, sors de ce corps

Accommodements raisonnables et immigration

Devant chez moi, durant une partie de la semaine, les panneaux de stationnement étaient masqués par du carton blanc. La première fois que je les ai vus ainsi déguisés, il y a quelques années, je n'ai pas compris. Maintenant, je sais.
Chaque fois qu'il y a une grande fête juive, le règlement sur le stationnement est suspendu dans les rues du Mile End, où habitent de nombreux hassidim. On voit les panneaux fantômes et on se dit : «Tiens, c'est Pessah. Tiens, c'est Kippour. Tiens, une autre fête juive dont je ne connais pas le nom.» Et surtout : «Tiens, c'est congé de contravention même si j'ai encore oublié de changer la voiture de bord.» Comment on dit merci, en yiddish?
Sur certaines tribunes, on dirait plutôt : «Tiens, voilà un autre accommodement raisonnable pas raisonnable.» Et on se demanderait si les juifs (oui, oui, tous les juifs sans exception) n'exagèrent pas, si nous, les Québécois, on n'est pas trop mous et si les immigrés (oui, oui, tous les immigrés et même ceux qui en ont juste l'air) ne feraient pas mieux de retourner se garer dans leur pays s'ils ne sont pas contents.
Dans certains milieux cultivés et bien élevés, on habillerait le même discours de mots plus savants. «Tiens, voilà un autre dangereux recul de la laïcité et des Lumières devant le dogmatisme religieux et le multiculturalisme ghettoïsant. Car ce panneau vêtu de blanc, ce n'est pas un simple panneau, mesdames et messieurs. C'est le symbole d'une société qui piétine ses valeurs et sa révolution tranquille.»
Je comprends ces points de vue, mais je ne les partage pas. Car, à mon sens, ce panneau recouvert de blanc n'est qu'un bel exemple de bon voisinage. Un truc administratif. Une entente qui ne gêne personne, sauf ceux qui tiennent à être gênés. Car, juifs ou pas, tous les résidants bénéficient de la même entorse au règlement. À quoi bon s'énerver, alors?
Le hic, c'est que, dans notre nouveau Québec obsédé par la chasse aux prétendus «accommodements raisonnables», ce point de vue modéré est de plus en plus minoritaire. Cinquante-cinq pour cent des Québécois pensent qu'on ne devrait acquiescer à aucune demande à caractère religieux d'immigrés, révèle le vaste sondage «Qui nous sommes» publié ces jours-ci par L'actualité. Aucune, compris? Non, c'est non! Même si ça ne dérange personne, c'est non! Mangez vos fèves au lard et taisez-vous.
On y apprend aussi que huit Québécois sur 10 ne souhaitent ni plus ni moins que l'assimilation des immigrés. Pas l'intégration, non. L'assimilation, entendu? Faites comme chez nous ou retournez chez vous. Votre histoire, votre cuisine, votre langue, gardez ça pour vos archives.
Avec justesse, L'actualité qualifie la chose de «syndrome Hérouxville». Un syndrome, à mon sens, en grande partie causé par un énorme malentendu. À force d'entendre parler presque quotidiennement depuis des mois des quatre juifs, des trois musulmans et des deux sikhs à qui on a permis de contourner un règlement, on a l'impression que le Québec est envahi par des ultrareligieux qui s'amusent à gruger avec voracité notre identité déjà fragile.
Encore cette semaine, une biscotte kascher sans levain dans un hôpital juif de Laval a causé tout un émoi. On a dépêché des caméras pour scruter ladite biscotte, on a renvoyé la biscotte chaude au ministre Couillard et on s'en est régalé en tribune téléphonique, bien sûr. Qui a dit qu'il n'y avait pas de levain dans une biscotte sans levain?
Dans les faits, ces histoires sont anecdotiques. Des exceptions qui ne concernent qu'une minorité revendicatrice au sein d'une majorité silencieuse d'immigrés. Je ne dis pas qu'il ne faut pas en parler, je ne dis pas que l'hôpital juif avait raison dans cette histoire, je ne dis pas que j'endosse les dérives du multiculturalisme bébête, je dis juste que, en faisant chaque fois tout un plat avec une simple biscotte, notre perspective s'en trouve faussée. Et le fossé, lui, se creuse et se creuse encore. Tristement, fatalement à la longue. On ne peut jouer de ce violon-là aussi longtemps sans finir par briser l'archet.
Je ne sais pas vous, mais moi, j'en ai soupé de ce syndrome Hérouxville, cette fracture causée par un faux diagnostic qu'on hurle sur toutes les tribunes, comme si l'avis de celui qui crie le plus fort était le meilleur.
Le diagnostic est faux, disais-je. Mais la fracture n'en est pas moins réelle. On ne peut plus faire comme si elle n'existait pas, la montée de l'ADQ le prouve. On ne peut pas non plus espérer naïvement que le temps finira par arranger les choses. Y a-t-il un docteur dans la salle?
courriel Pour joindre notre chroniqueuse : rima.elkouri@lapresse.ca


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