Harper excuse la bavure d'Israël

Il juge que le raid sur un poste de l'ONU n'était pas délibéré et réaffirme le droit de l'État hébreu de se défendre

Géopolitique — Proche-Orient


Le bombardement israélien d'un poste des Nations unies dans le sud du Liban, qui a coûté la vie à quatre observateurs militaires non armés mardi, a eu lieu en dépit de plusieurs mises en garde contre les tirs trop proches de cette position, selon plusieurs responsables onusiens. Le Conseil de sécurité devait d'ailleurs adopter une déclaration condamnant cette attaque hier, ce que le premier ministre Stephen Harper a catégoriquement refusé de faire.
Un projet de texte, qui a été rendu public, indiquait que le Conseil de sécurité «condamne cette attaque contre un poste de l'ONU établi de longue date et bien marqué à Khiam, malgré les assurances données par les autorités israéliennes que les positions de l'ONU seraient épargnées». Ce projet ajoutait que le Conseil «appelle le gouvernement israélien à mener une enquête complète sur cet incident très troublant et exige qu'aucune nouvelle attaque des positions de l'ONU ne soit menée».
Cet appel tombe à point puisque le poste de Khiam, près de la frontière israélo-libanaise, a été «pris sous une série de tirs rapprochés» à partir de 13h20, heure locale mardi, a expliqué au Conseil de sécurité Jane Holl Lute, sous-secrétaire générale de l'ONU pour les opérations de maintien de la paix. Une porte-parole du ministère irlandais de la Défense a indiqué pour sa part que le plus haut gradé de l'armée irlandaise au Liban avait contacté les Israéliens à six reprises pour les mettre en garde contre les tirs trop proches des positions de l'ONU.
Cet officier, le lieutenant-colonel John Molloy, a informé son ministre qu'à «six occasions distinctes, hier [mardi], il avait prévenu les Israéliens qu'ils pilonnaient très près des bases de l'ONU», a expliqué la porte-parole. «Ces mises en garde étaient très explicites, très détaillées et très sévères. Elles n'ont visiblement pas été entendues», a-t-elle dit.
La Force intérimaire des Nations unies au Liban (FINUL) a néanmoins recensé 21 frappes ce jour-là dans un périmètre de 300 mètres autour du poste de Khiam et 12 tirs d'artillerie dans un rayon de 100 mètres. Quatre tirs ont directement touché le poste, a dit Mme Lute. «À notre connaissance, contrairement à la zone entourant certaines de nos autres bases, aucun tir du Hezbollah n'avait lieu dans ce secteur», a-t-elle ajouté, précisant qu'Israël avait été sommé à plusieurs reprises de cesser ses tirs.
«Deux nouveaux tirs rapprochés ont eu lieu ensuite, avant que tout contact ne soit perdu avec le poste.» Cette perte de contact est intervenue à 19h17, heure locale, a-t-elle précisé. La FINUL a alors négocié avec l'armée israélienne un droit de passage pour deux véhicules de transport de troupes vers le poste afin d'évacuer la position. «Ces troupes ont atteint la position à 21h30, heure locale, et ont trouvé l'abri effondré tandis que le reste du poste avait subi de graves dommages. Jusqu'ici, l'équipe de secours a localisé trois dépouilles. Le quatrième observateur militaire est également présumé mort», a souligné Mme Lute, ajoutant que «les tirs se sont poursuivis pendant l'opération de secours malgré des demandes répétées d'une pause».
«Au total, la FINUL a fait état de 145 cas de tirs rapprochés, dont 16 coups directs sur ses positions. Plusieurs de celles-ci ont subi plus d'un tir direct, qui ont causé des dommages variés aux immeubles, équipements et véhicules», a-t-elle encore indiqué. Ils se sont poursuivis hier.
L'ambassadeur américain à l'ONU, John Bolton, a par ailleurs déclaré que «rien ne permettait d'affirmer que l'attaque avait été délibérée». Le porte-parole de la Maison-Blanche, Tony Snow, a de nouveau imputé la responsabilité du conflit au mouvement radical chiite Hezbollah, tout en renouvelant l'appel américain à ce qu'Israël fasse preuve de retenue.
«Je ne crois pas que Kofi Annan pense sérieusement que c'était délibéré. Je crois et j'espère que sa déclaration a été faite dans la précipitation. Elle est prématurée, irresponsable et regrettable. Je ne pense pas que quiconque de sensé puisse croire qu'Israël prend pour cible le personnel de l'ONU», a déclaré l'ambassadeur d'Israël aux Nations unies, Dan Gillerman. Le secrétaire général de l'ONU, Kofi Annan, a d'ailleurs nuancé ses propos hier, se déclarant «choqué» par le bombardement israélien, mais sans réitérer que celui-ci était délibéré.
Les Nations unies ont en outre rendu publiques les nationalités des quatre observateurs de l'ONU tués mardi. Ils étaient de nationalité autrichienne, canadienne, chinoise et finlandaise, a dit un haut responsable des Nations unies.
Harper se prononce
Même si les condamnations internationales se sont multipliées hier, au lendemain de la bavure meurtrière d'Israël, le premier ministre canadien Stephen Harper a refusé de jeter le blâme sur les forces israéliennes, estimant que l'attaque n'était pas délibérée. Interrogé sur la déclaration du secrétaire général de l'ONU, Kofi Annan, qui a affirmé mardi que le raid avait visé «apparemment délibérément» la position de l'ONU, M. Harper a exprimé une très grande retenue. «Je doute que ce soit le cas, étant donné que le gouvernement d'Israël a coopéré avec nous dans nos efforts d'évacuation [...] et s'est aussi efforcé de faire en sorte que nos soldats impliqués dans l'évacuation sur le terrain ne soient pas en danger.»
Néanmoins, il souhaiterait en savoir plus sur les raisons de cet incident, qui a coûté la vie à un soldat canadien, le major Paeta Derek Hess von Kruedener. «Nous voulons savoir pourquoi le poste des Nations unies a été attaqué et aussi pourquoi il est demeuré occupé pendant ce qui est désormais plus ou moins une guerre, a-t-il dit, alors que la sécurité des soldats était menacée.» Qualifiant d'«accident tragique» la mort des observateurs, il a profité de son point de presse donné au Nouveau-Brunswick pour réitérer son appui à l'État hébreu. Pour lui, cette frappe ne change rien «au droit d'un pays de se défendre contre les terroristes et les attaques violentes». Le premier ministre israélien Éhoud Olmert a téléphoné hier après-midi à M. Harper pour lui offrir ses condoléances.
Le Conseil national des relations canado-arabes s'est déclaré préoccupé par la déclaration de M. Harper. «Au lieu d'appeler Israël à la retenue pour prévenir la mort de civils et empêcher de nouvelles attaques contre des postes de l'ONU clairement identifiés, M. Harper se demande pourquoi les observateurs de l'ONU se trouvaient là, critiquant la victime plutôt que l'agresseur», a fait valoir l'organisme par voie de communiqué.
Le Bloc québécois a lui aussi dénoncé «l'attitude passive» de Stephen Harper. «Tous les pays ayant perdu des casques bleus l'ont fait [condamner Israël], sauf le Canada. Il y a une limite à se faire dicter sa politique étrangère par Washington, et lorsqu'un Canadien perd la vie ainsi, il est clair que Stephen Harper a franchi cette limite», a affirmé la porte-parole en matière d'affaires étrangères, Francine Lalonde.
Elle a donc demandé à Stephen Harper de réviser immédiatement sa position et de faire savoir le mécontentement du Canada au regard de la manière qu'Israël mène ses opérations militaires au Liban. Elle ajoute que le premier ministre du Canada doit, du même souffle, exiger des explications et des excuses de la part de son homologue israélien et obtenir l'engagement ferme que plus jamais un tel acte ne se répète.
Lundi prochain, le Comité permanent des affaires étrangères et du développement international doit se réunir afin de déterminer le rôle que doit jouer le Canada dans le conflit armé qui déchire la région. Les autres partis d'opposition, qui attendent les conservateurs de pied ferme, ont appuyé la démarche entreprise par le Bloc.
Avec l'Agence France-Presse, Associated Press et Reuters


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