Réplique à Mario Roy

Haro sur les artistes

Nous avons eu un Borduas, nous sommes mûrs pour qu’un Havel se pointe à l’horizon.

Harper et la culture

On n’a jamais vu et on ne verra jamais le journal The Gazette se permettre de largement véhiculer une opinion diamétralement opposée à celle de la majorité de ses lecteurs, mais à La Presse, si! Et c’est la règle depuis 1967, alors que Paul Desmarais qui venait de l’acheter, décida d’en faire un véhicule de propagande propre à pousser ses lecteurs à être moins enclin à adopter l’idéologie sociale-démocrate. Et à accepter le Canada tel qu’il est.
Depuis la frousse de 1995, La Presse s’est acharnée à convaincre la population qu’elle ne voulait plus de référendum. Et comme le PQ n’en parle plus, Desmarais pensait bien que la partie était gagnée. Que dire de plus alors pendant la campagne électorale en cours? Élémentaire, mon cher Watson : convaincre le bon peuple que le Bloc n’a plus sa place à Ottawa. Donc, gros titres à la une d’ex-souverainistes désabusés - ou trop pressés - déclarant que le Bloc n’a plus sa raison d’être. Une opération de conditionnement qui se continue en pages intérieures avec les éditoriaux lénifiants d’André Pratte et une page d’opinions de lecteurs et de p’tits Jos Connaissant, avec espace partagé entre pro et antinationalistes ressemblant à la Tour de Pise. Sans avoir à vous révéler de quel côté penche le tout.
Avec les conservateurs ayant vent en poupe et se vantant d’être «nationalistes», Desmarais pouvait se dire : «mission accomplie». Or, renversement de situations le dimanche soir 14 septembre. En plus d’un Jean Charest qui, aux nouvelles télévisées, nous apprend que le déséquilibre fiscal n’est pas réglé, voilà que durant le grand spectacle télévisé de la remise des Gémeaux, artistes et producteurs se succèdent sur scène pour interpeler le gouvernement Harper contre ses coupures dans la culture. Les artistes qui se révoltent : tremblement de terre à la Vaclav Havel!
Il n’en fallait pas plus pour que l’on réagisse vivement à La Presse. Si on pouvait compter sur les grandes gueules pour déblatérer sur les ondes que nos artistes font payer bien cher au bon peuple des spectacles qu’il ne va pas voir, il reste que les lecteurs de La Presse ne sont pas nécessairement friands de radio-poubelle. Il fallait donc trouver quelqu’un pour contrer les dommages causés par cette maudite soirée des Gémeaux. Mais, qui?
Mais, Mario Roy, voyons. N’est-il pas le type idéal pour tasser nos intellos, ces «pelleteux de nuages» gauchisants du Plateau Mont-Royal?  N’a-t-il pas fait un tabac avec son pamphlet Pour en finir avec l’anti-américanisme? À l’instar de Pratte, n’a-t-il pas ses entrées à Radio-Canada? Décidé. C’est lui qui aura la mission de «varger» sur ces enfants gâtés que sont les artistes. Et quel titre révélateur que son édito du 19 septembre: [L’opinion artistique !->15089]
«Opinion artistique» parce que Roy déplore que les artistes québécois font presque l’unanimité quant à l’indépendance du Québec. «Moins de 1% des artistes s’identifient simplement comme Canadiens», souligne-t-il. Et pour donner plus de coffre à ses dires, Roy cite un chercheur de l’université York de Toronto – au surplus, un bon CF et non un wasp - qui s’est penché sur le conformisme des artistes québécois. «Un artiste (a) 96 % des chances de partager les idées d’un collègue admiré », aurait établi le professeur Alexandre Brassard Desjardins. Sans toutefois nous révéler quel pourcentage il aurait obtenu s’il avait questionné les artistes du ROC quant à l’envahissement culturel de leur société par leurs puissants voisins du Sud.
«Au référendum de 1980, écrit Mario Roy, les artistes ont voté oui à hauteur de 86 % ; c’est plus du double de la population générale (40 %) et cela équivaut à une quasi-unanimité, anomalie politique unique en Occident. » Anomalie ? Ces artistes ne s’identifient-ils pas à leur public et ce public n’est-il pas, sauf pour la danse et la musique classique, uniquement constitué de parlants français? Au référendum de 1980, cette «population générale » dont Roy parle, a donc voté, non pas à 40%, mais à 50% pour le oui. Et à 60% au référendum de 1995 alors que, anomalie unique en Occident, notre puissante minorité anglaise - on l’a vu l’hiver dernier, n’a rien à cirer d’un Claude Dubois - a voté presque cent pour cent pour le non. Et aux deux référendums !
En fait, ce qui est également unique en Occident, c’est la situation paradoxale que les Québécois ont à subir depuis la défaite des Patriotes de 1838. Avant la Révolution tranquille, les curés prêchaient au bon peuple de «rendre à César ce qui appartenait à César, et à Dieu ce qui appartenait à Dieu». C’est, au départ, des artistes connus par leur manifeste du Refus global qui ont le plus aidé à casser cette soumission à l’oppression du sabre et du goupillon. De nos jours les mercenaires de la plume à la solde de Desmarais ont pris le relais des curés pour nous répéter jusqu’à plus soif que le salut passe par Ottawa.
Le Québec n’a jamais autant produit de brillants créateurs qui, par la qualité de leur art, sont reconnus partout sur la planète. Et, comme ailleurs quand une volonté d’aliénation de la population devient par trop évidente, les artistes se sentent automatiquement investis d’une mission, celle d’éveilleurs de conscience. Nous avons eu un Borduas, nous sommes mûrs pour qu’un Havel se pointe à l’horizon.


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1 commentaire

  • Archives de Vigile Répondre

    24 septembre 2008

    Avec le conservatisme et la religion qui nous poussent dans le dos, i.e. la liberté de plus en plus diluée, nous sommes mûrs pour une 2e Révolution Tranquille et l'Indépendance.
    Saint-Irénée libre