«Renouveler la social-démocratie»: l'ambition n'est pas nouvelle. C'est presque devenu une sorte de mantra à gauche. Mais la tâche est peut-être plus ardue aujourd'hui où l'action commune semble suspecte. Dans un colloque à l'UQAM aujourd'hui et demain, intellectuels et politiciens de gauche tenteront d'ouvrir un «chantier», selon le jargon en vogue.
Québec — «Quand la vie et les projets politiques se résument à l'éthique, c'est signe que les citoyens ne croient plus que les politiciens sont capables de réaliser de grandes choses», laisse tomber Joseph-Yvon Thériault à l'autre bout du fil. Sociologue, il participera aujourd'hui et demain à un Colloque international sur le renouvellement de la social-démocratie à l'UQAM. Renouvellement difficile étant donné la «crise de la représentation politique», croit M. Thériault.
Ce colloque a l'ambition de déboucher sur «un véritable chantier», écrit-on dans le programme (voir www.chantiersocialdemocratie.org). Pour l'instant, le «chantier» est clairement CSN: Claudette Carbonneau (présidente de la CSN) y participera aujourd'hui; comme l'ex-président de la «centrale» Gérald Larose et l'ancien conseiller à la CSN (maintenant député au Bloc québécois) Pierre Paquette; comme Michel Doré, ex-conseiller syndical à la CSN. Un des organisateurs est Michel Rioux (ancien de la CSN). Du reste, la députée péquiste de Vachon Martine Ouellet y participera (Pauline Marois a même été rencontrée par le comité organisateur); la coporte-parole de Québec solidaire, Françoise David, aussi.
L'ombre du RLQ
«C'est sûr qu'on n'a pas invité Éric Duhaime. Des freaks shows, on en voit suffisamment comme ça», note au passage Michel Rioux, faisant référence au rassemblement du Réseau-Liberté Québec (RLQ) et aux velléités politiques de François Legault. Les deux phénomènes semblent hanter ce colloque, puisqu'ils ont donné «l'impression d'une montée de la droite», confortée par des sondages.
M. Rioux s'en prend d'ailleurs à l'autre figure de proue du RLQ, Joanne Marcotte: «Elle dit qu'il faut rompre avec la social-démocratie. C'est impossible. Aucun gouvernement ne s'est jamais affiché sous cette étiquette. On ne peut rompre avec ce qui n'existe pas!» Il concède cependant que plusieurs mesures à tendance sociale-démocrate ont été introduites depuis la Révolution tranquille, tant par les libéraux que les péquistes: «L'aide juridique, l'assurance maladie, assurance médicament, etc.»
Quel ennemi?
Cet ensemble de grands systèmes lourds comme des échangeurs Turcot est en crise, admet M. Rioux. Dans le programme, on semble désigner une cause, un ennemi. La démographie, les déficits? Non, «le néolibéralisme, allié parfois au conservatisme [qui] semble bien avoir donné un second souffle à la droite, tout en alimentant des crises périodiques de plus en plus déstabilisantes». Joseph-Yvon Thériault s'inscrit en faux: «C'est beaucoup plus complexe que de dire "la droite a coupé dans les services sociaux". La société a changé et la gauche doit apprendre à composer avec elle.»
La solution n'est pas pour la gauche d'intérioriser le point de vue de la droite. Il y a de cela, estime-t-il, dans l'expression «gauche efficace», forgée par... François Legault et reprise par Jean-François Lisée dans un livre (Pour une «gauche efficace», Boréal) sur le renouvellement de la social-démocratie, en 2008 (livre dédié à Pauline Marois). C'est un peu une gauche honteuse qui laisse entendre que jusqu'ici, elle n'aurait pas été «efficace», note M. Thériault. Pour ce dernier, le problème est plutôt dans la difficulté qu'ont aujourd'hui les citoyens de croire qu'il est encore possible de faire des choses collectivement.
Ce n'est pas que la droite ait réussi à réaliser entièrement son programme depuis les années 80. Ni «l'État Provigo» de Bourassa 2, ni la réingénierie de Charest n'ont vu le jour: ils ont fait face à des révoltes de citoyens qui tenaient à conserver l'État-providence et même à exiger d'autres programmes. Des sondages récents montrent encore cet attachement, malgré les coûts.
Pour Gérald Larose, cependant, «il est vrai que l'État est bureaucratisé». La solution n'est pas les «privatisations», mais la «débureaucratisation». En coupant? Non, en décentralisant et en accentuant la démocratie participative et citoyenne, propose-t-il.
Joseph-Yvon Thériault, dubitatif, rétorque qu'il faut éviter de multiplier les modes de représentation. «L'effet pourrait être de diminuer encore plus la capacité d'agir du politique en donnant plus de pouvoir à une société civile éclatée». À ses yeux, on a beaucoup valorisé le «citoyen» depuis les années 80. «Il est temps de revaloriser le rôle de la chose publique.» Grand défi, à une époque de «démocratie de surveillance qui traduit trop souvent un sentiment d'impuissance», pour reprendre une phrase du programme. Chose certaine, ce sera là un «chantier» à surveiller.
Gauche efficace, gauche honteuse ?
Un colloque se penche sur l'avenir de la social-démocratie
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