Êtes-vous trop Québécois ?

Projet d'Indépendance - un état des lieux automne 2011


Un samedi soir, fin août. Je sors du restaurant avec Dulcinée, quand nous croisons une connaissance, une célibataire assez canon, début trentaine, grano tendance végé qui fréquente les hommes bien friqués. Elle sort tout juste avec une amie d’une soirée avec quelques garçons. Malheur ! Elle s’est ennuyée au possible. On la comprend. Deux sur trois avaient le profil de post-ados moins virils que grossiers. Pas de chances, messieurs, ce soir, on rentre bredouilles.
Jusque-là, rien de spécial. Mais la connaissance en question a cru nécessaire d’expliquer « culturellement » son ennui : « ils sont vraiment trop Québécois ». J’ai risqué la syncope. C’est lorsqu’on vomit sur mon peuple que je me rappelle que j’y appartiens. Critiquer le peuple québécois, d’accord. Mais depuis quand être Québécois est un problème en soi, une tare congénitale. Au passage : peut-on être juste assez Québécois sans l’être trop ?
Un cas isolé ? C’est le contraire. Car ce commentaire, je l’ai entendu cent fois. Combien de fois n’ai-je entendu à propos d’un Touchette élégant, d’un Gagnon prospère ou d’un Tremblay maîtrisant bien le français qu’ils n’étaient pas vraiment Québécois. L’excellence n’est pas d’ici. Pire que tout, ces charmants zoufs prennent souvent ce commentaire pour un compliment. Comme si le fait de ne plus être vraiment Québécois était une manière de s’affranchir d’une condition calamiteuse.
On peut voir l’envers de cela en y reconnaissant une nouvelle prolétarisation culturelle des Québécois francophones. Nous en avions perdu l’habitude, mais la chose n’est pas nouvelle. Dans les années 1960, Marcel Rioux parlait déjà de la nation canadienne-française comme d’une « classe ethnique ». Pierre Vallières présentait quant à lui ses membres comme les « Nègres blancs d’Amérique ». Même Bernard Landry confessait alors sa crainte de voir les Québécois francophones devenir une classe sociale à part entière.
Évidemment, la Révolution tranquille est passée par là en liquidant partiellement ce vieil atavisme. On l’a vu avec Hydro-Québec, longtemps un symbole de notre capacité à jouer dans les ligues majeures de la modernité économique, technique et scientifique. On l’a vu surtout avec le projet souverainiste qui promettait de transformer le peuple québécois en peuple normal. L’indépendance avait pour vocation de fournir le cadre politique nécessaire à l’épanouissement de l’identité québécoise. De l’armée à la diplomatie en passant par les grandes institutions économiques et culturelles, il ne serait plus nécessaire de s’exiler de sa culture pour embrasser l’universel.
Nous payons aujourd’hui le prix de l’échec de l’indépendance. Avec lui, qu’on le veuille ou non, c’est tout le Québec qui régresse. Sans les assises politiques nécessaires à son émancipation, une identité collective se provincialise. À défaut de devenir vraiment Québécois, redeviendrons-nous ce qu’il y avait de pire dans le Canada français ?
Aujourd’hui, le vieux mépris envers les Québécois se renouvelle dans le langage du cosmopolitisme branché et mondialisé. Au Québécois d’abord succède le Montréalais de prestige, abonné au Grand prix, citoyen du monde et fier de l’être : n’est-ce pas une nouvelle manière de se désaffilier du Québec ? On me parlera du Parisien, du Londonien, du Romain. Mais le premier cesse-t-il d’être Français, le second Britannique, et le troisième Italien, parce qu’ils assument une urbanité cosmopolite ?
J’en reviens à ma soirée du mois d’août. Cette jeune femme urbano-branchée sait flairer l’ascension des uns comme elle devine le déclin autres. Conclusion : la québécitude n’est plus tendance. Conseil aux dragueurs : la prochaine fois qu’une de vos cibles ne vous rappelle pas, ce n’est peut-être pas votre technique amoureuse qui est carencée, c’est peut-être que vous êtes trop Québécois. Elle avait bien évidemment tort, notre amie, de rejeter en bloc son propre peuple. Mais s’il nous fallait vraiment entrer dans la spirale régressive de la provincialisation, nous pourrions finir par lui donner raison.
***
Mathieu Bock-Côté, Échos Montréal, vol.18, no9,


Laissez un commentaire



Aucun commentaire trouvé