Essais québécois - Le code Boglioni

Noël et Jour de l'An - 2010- 2011

Pourquoi, demanderont certains, revenir sur le fameux Da Vinci Code de Dan Brown? Tout, à ce sujet, le meilleur comme le pire, n'a-t-il pas été dit? Quatre raisons, deux fondamentales et deux circonstancielles, expliquent ma décision.
D'abord, force est de le constater, certains croient encore à sa pertinence historique. Un sondage publié dans le mensuel Science et vie au printemps 2006 indique que «31 % des Français sont convaincus que le Da Vinci Code s'inspire de faits au moins partiellement réels concernant la vie de Jésus». Récemment, des étudiantes en lettres de mon cégep m'avouaient leur fascination pour cet ouvrage, «convaincant», disaient-elles.
Ensuite, et c'est la deuxième raison fondamentale, le débat suscité par ce roman a un immense mérite: il permet de traiter d'histoire religieuse, et plus particulièrement de celle du christianisme, sur la place publique, une occasion trop rare pour qu'on la laisse passer sans en profiter pleinement.
La troisième raison a une saveur plus locale: Pietro Boglioni, professeur au département d'histoire de l'Université de Montréal, a fait paraître, il y a quelques mois, un des meilleurs essais critiques sur le phénomène.
Enfin, et c'est la dernière raison, Noël est dans deux jours. Le moment est donc propice pour réfléchir à toutes ces questions, souvent mal traitées.
Historiquement nul
Spécialiste de l'histoire du christianisme antique et médiéval, Pietro Boglioni, dans Le Da Vinci Code - Le roman. L'histoire. Les questions., est catégorique: «[...] du point de vue de la véracité historique, il n'y a pratiquement rien à retenir de ce roman.» Anne Pasquier, historienne des origines chrétiennes à l'Université Laval, le disait déjà en mai 2006: «Historiquement, c'est nul!» Boglioni rappelle ici que ce jugement sévère est partagé par tous les spécialistes. Brown, c'est vrai, a des sources, mais elles «ne sont absolument pas fiables» et proviennent toutes de milieux fascinés par l'ésotérisme et le paranormal, qui procèdent selon une logique débridée et conspirationniste efficacement résumée par l'historien: «L'impossible n'y existe pas, le possible y devient probable et le probable y devient certain. Et ce qui en apparence semble certain ne l'est jamais, car toute certitude apparente n'est qu'un mensonge, bâti expressément par des pouvoirs occultes pour nous cacher un secret.»
Le roman de Brown, on le sait, postule l'existence du Prieuré de Sion, une société secrète datant de 10 siècles et «dont le but est de protéger le plus grand secret de l'histoire: le Christ était marié, et sa femme était Marie Madeleine». Cette histoire, cela a déjà été dit mais il semble qu'il faille le répéter, est «une arnaque d'auteurs ésotériques extravagants et mineurs». Elle est l'oeuvre d'un certain Pierre Plantard, «un occultiste de bas étage», selon une de ses complices, qui l'a lancée dans les années 1960, en France, avant qu'elle ne soit récupérée par un certain Gérard de Sède, romancier historico-ésotérique qui a lui-même reconnu, en 1988, la fausseté de toute l'affaire. Brown, suggère Boglioni, sait tout cela, mais il en joue pour s'amuser à mystifier ses lecteurs.
Tout, dans son roman, est subordonné à l'efficacité de l'intrigue. Il utilise bien des faits, mais les tord au seul bénéfice de l'effet romanesque. Cinq millions de sorcières, écrit-il, auraient été brûlées par l'Église pendant une période de trois siècles. Les faits: il y aurait plutôt eu entre 40 et 60 000 exécutions, les victimes étaient souvent des hommes et la persécution a été aussi féroce dans les pays protestants. Les exégètes supposent, dans un autre dossier, que les ressemblances entre les Évangiles de Matthieu, de Marc et de Luc sont peut-être attribuables à une même source antérieure. C'est une hypothèse, insiste Boglioni. Stratégie de Brown: «Supposer que ce manuscrit existe, qu'il a été écrit par Jésus lui-même, et que le Vatican le cache, voilà la trouvaille!»
Au chapitre des erreurs historiques commises par le romancier, l'historien ajoute l'affirmation selon laquelle «Paris aurait été fondée par les Mérovingiens», celle qui attribue la réalisation de centaines de commandes du Vatican à Léonard de Vinci, pourtant auteur d'une trentaine d'oeuvres au total, et celle qui fait de Silas un «moine» de l'Opus Dei, un statut qui n'existe pas dans cette organisation.
Marie Madeleine
Au sujet de Marie Madeleine, Boglioni rappelle que, contrairement à ce que prétend Brown, «les évangiles canoniques [ne] cachent [pas] sa figure», la valorisent même, et en traitent plus souvent que les évangiles apocryphes. Était-elle l'épouse de Jésus? Absolument rien ne permet de l'affirmer. Il se peut que le Christ ait été marié. Le Nouveau Testament ne dit pas clairement le contraire et qualifie Jésus de rabbi, «or, les rabbi étaient habituellement mariés». Par contre, on présume que, à titre de disciple du célibataire Jean-Baptiste et compte tenu de la possible influence sur lui des Esséniens, Jésus n'était pas marié. Les Évangiles parlent de sa famille (mère, père, frères), mais jamais de sa femme.
Les apocryphes? Brown invente quand il prétend qu'ils racontent la «vie d'homme» du Christ. Rédigés dans une prose parfois folklorique, parfois illuminée, ils peuvent intéresser les spécialistes, mais, jusqu'à preuve du contraire, ils ne recèlent pas les secrets que plusieurs leur attribuent. L'Évangile selon Philippe, par exemple, présente Marie Madeleine comme la «compagne» de Jésus. Brown s'empare du mot et écrit: «Comme vous le confirmeront tous les spécialistes, en araméen, le mot compagne signifie épouse.» Conclusion farfelue, réplique Boglioni. Cette thèse est très minoritaire, rarement défendue par des spécialistes et, surtout, «invoquer l'araméen est hors de propos: la langue originale de ce texte était le grec, et le texte découvert à Nag Hammadi en est la traduction en copte, la langue égyptienne de l'époque. Pourquoi alors invoquer l'araméen? De la poudre aux yeux».
Que dire, enfin, de la figure féminine du Jean de La Cène de Léonard de Vinci? «Elle correspond tout simplement aux canons de la jeune beauté masculine de la Renaissance.»
Faut-il, tout compte fait, s'indigner d'un tel ouvrage et dénoncer son auteur? Mais non, répond Boglioni. Brown est bon joueur, «s'amuse de ses histoires» et a disséminé, dans son roman, une foule d'indices qui révéleraient qu'il s'agit d'un piège littéraire. L'historien suggère donc que le romancier serait, par rapport à ses matériaux historiques, «plus sceptique et relativiste que ses critiques et ses lecteurs», qui l'ont pris très au sérieux.
Ce n'est pas une raison, conclut Boglioni, pour ne pas réfléchir sérieusement, avec les bonnes sources, au rôle de la femme dans l'Église, à celui du Vatican, à notre conception de la divinité du Christ et à un possible pluralisme chrétien. Qu'un joyeux Noël vous y incite!
louiscornellier@ipcommunications.ca
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Le Da Vinci Code

Le roman. L'histoire. Les questions.

Pietro Boglioni
Médiaspaul
Montréal, 2006, 200 pages


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