Je crois bien que tout le monde au Québec voulait voir l’avenir de La Presse assuré. Qu’on ait aimé ou pas sa ligne éditoriale, il s’agit d’une grande institution du Québec et d’un important réservoir de talent journalistique.
J’ai beau être très fier du Journal où j’ai le privilège d’écrire, une société démocratique doit maintenir une diversité de sources d’information.
J’avoue mon énorme ambiguïté devant ce nouveau modèle d’organisme à but non lucratif que devient le grand quotidien montréalais. Ce n’est pas rien : passer du giron de Power Corporation à ni plus ni moins qu’un organisme de charité...
De toute évidence, cette nouvelle a semé l’enthousiasme à l’interne. Les employés craignaient qu’un véritable acheteur soit synonyme de réduction des dépenses et donc de mises à pied importantes. Le nouvel OBNL ne semble pas vivre avec l’impératif de rentabilité qu’aurait annoncé un acquéreur ayant signé un vrai chèque de sa poche.
Argent public
Ce nouveau modèle soulève néanmoins des questions énormes pour la suite des choses. Interrogés à savoir comment un OBNL ramènerait la rentabilité à La Presse, les dirigeants ont été transparents : ce sont les subventions gouvernementales qui deviennent maintenant possibles.
Il n’est nullement question de revoir en profondeur la structure des dépenses, il n’y a pas de changement du modèle de La Presse+ pour générer de nouveaux revenus. Pour cette organisation qui roule visiblement dans le rouge, la différence au bilan doit venir d’abord des octrois de fonds publics. Peut-être ensuite des dons philanthropiques.
Si l’État doit assurer année après année la survie financière de l’organisation, La Presse devient-elle une espèce de société d’État déguisée ? Le modèle de Radio-Canada. La SRC génère des revenus autonomes, notamment par la vente de publicité, mais c’est la subvention gouvernementale qui boucle la boucle.
Souvenons-nous de la guerre livrée par Radio-Canada contre Stephen Harper. Celui-ci avait demandé un effort financier à toutes les sociétés d’État, incluant la SRC. On l’a accusé d’avoir coupé les vivres à Radio-Canada, où il était devenu l’ennemi numéro un. Une fois élu, Justin Trudeau annonce rapidement l’impensable somme de 700 millions supplémentaires. Délicate position.
Décisions politiques ?
Dorénavant, la capacité de La Presse de maintenir son niveau d’employés pourrait bien dépendre en grande partie d’une décision annuelle des gouvernements : le montant de la subvention. Situation précaire. Pire encore que la SRC qui est une organisation publique avec un long historique. La Presse risque de bénéficier d’un programme nouveau et sculpté sur mesure pour ses besoins.
D’ailleurs, permettez-moi de m’interroger sur l’impressionnante confiance que cette aide gouvernementale viendra. Il y a des gens bien connectés chez Power Corporation. Ont-ils fait l’annonce d’hier comme un pari risqué en espérant que les pouvoirs publics embarqueront ? Ou auraient-ils obtenu des garanties secrètes du gouvernement Trudeau ? Leur OBNL est un récipient à subventions. Ils ont l’air bien certains que quelqu’un va verser quelque chose dedans.
Quelle sera la structure de l’OBNL ? Qui en dirigera les destinées ? Qui fixera la ligne éditoriale ? Beaucoup de questions demeurent.
Un nouveau modèle ? Une prudence extrême est requise.