Essais québécois

Enseignement du français : y a-t-il un scandale?

Québec français


Peu d'essais véritables sur l'éducation paraissent au Québec. Il faut s'en surprendre et s'en désoler. Après tout, n'est-ce pas de la qualité de notre système scolaire que dépend notre avenir comme collectivité vivante et créative? Comment expliquer, alors, la discrétion de nos essayistes à cet égard?


Cette saison, toutefois, fait exception puisqu'au moins quatre essais abordent de front les enjeux de l'école québécoise. J'ai déjà traité, ici, de l'audacieux Pamphlet pour les décrocheurs, du professeur Jean Forest. En octobre, le chercheur Jocelyn Berthelot nous livrera un très attendu Une école pour le monde, une école pour tout le monde, et je me prononcerai moi-même, en compagnie de quatre collègues, dans une Lettre à mes collègues sur l'enseignement de la littérature et de la philosophie au collégial. Enfin, donc, des discussions de fond sur l'éducation.
Le Grand Mensonge de l'éducation, du trio d'enseignants Germain, Papineau et Séguin, s'inscrit lui aussi dans cette réjouissante tendance et fait déjà jaser. Consacré à l'illustration et à la dénonciation de «la déroute du français dans nos écoles», il lance un débat essentiel en proposant des constats inquiétants et des solutions... contestables.
Le français dans nos écoles et cégeps, clament ces enseignants, ne va pas bien. Au primaire, précise Luc Germain, l'abolition du redoublement a entraîné une situation intenable. Bons ou pas bons, écrit-il, les élèves passent quand même à l'autre niveau, de sorte que les classes de 6e année sont remplies d'enfants incapables d'atteindre les objectifs. Déficiente, l'aide spécialisée offerte aux plus faibles ne parvient pas à corriger la situation, et l'application du renouveau pédagogique, particulièrement en ce qui a trait à l'évaluation, empire le tout.
Relativement convaincant, le témoignage de Luc Germain surprend toutefois quand il se lance dans le jeu des comparaisons avec le bon vieux temps. «Avant la réforme, écrit l'instituteur, les élèves qui entreprenaient leur sixième année savaient lire et écrire. Ils possédaient une base en français relativement solide. [...] Auparavant, je pouvais leur demander de lire et de résumer un roman sans que cela ne suscite de résistance.» Ah bon ! Comment expliquer, alors, que ce cher Jean-Paul Desbiens, à qui est dédié ce livre, affirmait exactement le contraire dans les années 1960 ?

Voilà, justement, l'angle mort de ce Grand Mensonge de l'éducation : en introduction, les auteurs déclarent qu'ils ne veulent «pas savoir si les jeunes écrivent mieux qu'avant», mais seulement s'ils écrivent bien maintenant. Or, Germain et Papineau entonnent néanmoins la complainte de la dégradation, sans véritables arguments à l'appui, pour soutenir la thèse de la catastrophe actuelle. Cela fausse le débat.
Comprenons-nous bien : pour ne pas parler dans le vide, les comparaisons sont nécessaires. À chaque époque, l'idéal a toujours été le même : que tous maîtrisent le français. Cela, évidemment, n'a jamais été le cas. Aussi, bien aborder le problème ne signifie donc pas tenter d'évaluer si ce l'est aujourd'hui, mais plutôt se demander si on s'éloigne ou si on s'approche de cet idéal, par rapport à hier.
Moins bien qu'hier ?
Or nos auteurs tiennent un double discours : hier, disent-ils, ne les intéresse pas, mais ça allait donc mieux quand même, d'où leur désarroi. Pourtant, pour parler de catastrophe, il faudrait prouver que le niveau a baissé en utilisant autre chose que des pétitions de principe, preuve que l'on ne trouve pas ici. Affirmer que l'on pourrait faire mieux avec les moyens actuels est une chose qui me semble aller de soi. Prétendre que le niveau a baissé en est une autre qui m'apparaît fausse et stérile. Là-dessus, je partage l'avis (émis dans un autre contexte, il est vrai) de Pierre Foglia : «Je suis un bougonneux du présent, mais j'ai furieusement confiance en l'avenir. J'insiste, le niveau monte imperceptiblement, moi-même, ne suis-je pas, imperceptiblement, moins con qu'il y a 10 ans ?»
Il faut critiquer, donc, mais ne pas s'égarer dans le beau passé. En ce sens, Luc Papineau n'a pas tort de dénoncer les ratés de l'enseignement du français au secondaire. Il y a, en effet, trop d'élèves dans les classes, ceux qui éprouvent des difficultés ne sont pas toujours à leur place dans les classes régulières, la multiplication des programmes particuliers crée des ghettos, les réformes multiples, mal conçues et mal implantées, nuisent à un enseignement de qualité, la littérature est négligée au secondaire, etc.
Quand, toutefois, il crie au scandale sous prétexte que l'on a abaissé les exigences pour faire réussir plus d'élèves, il se trompe, en faisant de l'idéal (que tous maîtrisent le français) un critère absolu de réussite. Il est vrai que certains élèves obtiennent leur diplôme tout en étant éloignés de cet idéal, mais avant, justement, ces jeunes étaient exclus de l'école et ça finissait là, pour la qualité du français aussi. Aujourd'hui, en leur permettant, malgré leurs lacunes, de poursuivre leur parcours, on se donne au moins la possibilité de les récupérer un peu en leur imposant des cours de français sur une plus longue période (et qui sait, parfois, un nouveau prof peut allumer une étincelle). C'est vrai, ils ne maîtrisent pas toujours le français -- et, contrairement à ce qu'affirment les auteurs, ils le savent -- mais, au moins, ils en font et, au total, cela vaut mieux que l'imposition d'une rigueur qui les laisserait sur le carreau.
J'enseigne au cégep. Certains de mes étudiants sont faibles en français. Je vais vous surprendre, mais cette situation me semble être un progrès. Il y a 50 ans, ces étudiants n'auraient pas été plus forts, ils auraient été chez eux depuis longtemps, ils n'auraient pas eu de contacts avec la littérature et mes classes auraient été décimées. Les forts, aujourd'hui, sont toujours forts, mais la différence est que les autres sont aussi là pour m'écouter, et j'ai la naïveté de croire qu'ils en retirent au moins quelque chose. De grâce, qu'on me les laisse et je m'engage à les faire travailler.
Benoît Séguin, qui enseigne aussi au collégial, n'est pas d'accord et il s'épanche au sujet de la médiocrité des élèves, auxquels on demanderait trop peu. Après avoir exposé quelques perles tirées de travaux d'étudiants -- un jeu insignifiant -- il se scandalise de la pauvreté des questions de dissertation proposées aux examens. Pour lui, disserter sur une question comme «Ces extraits [de Tremblay et de Balzano] exposent-ils de la même façon les blessures de l'enfance ?» est «à la portée de n'importe qui».
Je ne sais pas dans quel monde il vit, mais ce n'est pas le mien. Une bonne élève de 12 ans, démontre-t-elle pièce à l'appui, réussirait ce type d'épreuve. Tant mieux pour elle et félicitations (imaginez, elle maîtrise le concept de narrateur et utilise des mots comme «concevoir» et «bouru» [sic]), mais le mensonge serait de faire croire que c'est là l'ordre normal des choses. Ça va mal ? Ça pourrait aller mieux et on y travaille.
louiscornellier@parroinfo.net
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Le Grand Mensonge de l'éducation
_ Du primaire au collégial : les ratés de l'enseignement du français au Québec

_ Luc Germain, Luc Papineau et Benoît Séguin
_ Lanctôt Éditeur, Montréal, 2006, 216 pages


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