Échec interdit

La nation québécoise vue du Canada


On ne peut plus le contester. Le candidat au leadership libéral Michael Ignatieff a confirmé son avantage lors de la rencontre de la section québécoise du Parti libéral du Canada (PLC-Q) en fin de semaine. Même s'il n'était pas le parrain officiel de la résolution portant sur la «reconnaissance de la nation québécoise au sein du Canada», elle portait son empreinte puisque c'est lui qui a relancé la réflexion sur cet enjeu dans le parti.

L'adoption de la motion par les deux tiers des délégués montre que vivre pendant 30 ans à l'extérieur du pays n'a pas rendu Michael Ignatieff insensible à l'état d'esprit des Québécois. En fait, c'est peut-être ce recul et cette absence de blessures glanées au fil des batailles constitutionnelles passées qui lui ont permis de garder un regard frais et un esprit ouvert et exempt de crainte.
Doit-on voir dans le vote du week-end de l'opportunisme ou un geste bien senti ? Il y avait un peu des deux parmi les délégués, mais peu importe la raison, ils ont ainsi permis au PLC-Q d'être enfin, avec trop d'années de retard, sur la même longueur d'onde que la grande majorité des Québécois. Il y a longtemps qu'au Québec se définir comme nation relève de l'évidence pour une vaste proportion de la population.
Mais ne nous y trompons pas. La motion a été suffisamment nuancée pour rallier des appuis dans tous les camps. Si Michael Ignatieff a toujours gardé la porte ouverte à inscrire en temps opportun cette reconnaissance dans la Constitution, la résolution, elle, ne va pas aussi loin. Elle dit bien, après plusieurs attendus, qu'«il est résolu que le Parti libéral du Canada reconnaisse la nation québécoise au sein du Canada» mais précise «que le Parti libéral du Canada mandate un groupe de travail d'experts qui se rapportera au prochain chef du parti afin d'explorer les différents moyens ainsi que le moment opportun d'officialiser cette réalité historique et sociale». On a pris bien soin d'éviter le mot «constitution» et de donner toute la marge de manoeuvre nécessaire au futur leader.
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Le Devoir a pu constater que les avis sont partagés sur cette motion à l'extérieur du Québec. Des députés ontariens et de l'Atlantique disent pouvoir vivre avec la reconnaissance du Québec comme nation, mais pour plusieurs le libellé de la résolution y est pour beaucoup. D'autres, en particulier de l'Ouest, avouent avoir de la difficulté avec le concept d'un Canada multinational et donc avec la reconnaissance du Québec comme nation. Certains craignent la réouverture de la Constitution. Peu importe le libellé, l'impression pour l'instant à l'extérieur du Québec, surtout depuis les déclarations de M. Ignatieff, est qu'une fois le mouvement lancé, il mènera à une nouvelle ronde de négociations. Et cette possibilité suffit à calmer les ardeurs de ceux qui ont la mémoire longue. Bob Rae en a fourni un exemple éloquent en fin de semaine.
Le clan Ignatieff a donc un défi devant lui. Ayant fait de la reconnaissance du Québec comme nation un élément central de sa stratégie québécoise, il se retrouve aujourd'hui dans l'obligation de ne pas transformer cette évolution en dérapage ou même en handicap pour son parti. Pour cela, il doit livrer la marchandise lors du congrès du PLC fin novembre.
C'est là que le risque de son pari apparaît. Faire adopter la motion par l'aile québécoise, où il a déjà l'appui de 39 % des délégués, ne s'annonçait pas trop compliqué. Le PLC-Q est prêt à tout pour reprendre le terrain perdu au Québec à la suite du scandale des commandites et de la ligne dure du gouvernement Chrétien en matière de relations fédérales-provinciales.
Il en va autrement dans le reste du parti. La motion sera débattue au congrès de la fin de novembre et les délégués se prononceront sur elle avant de procéder à l'élection du chef. Si la résolution passe, ce sera en quelque sorte une victoire pour Ignatieff sans pour autant lui assurer de l'emporter le lendemain. Un vote négatif ne présagera rien de bon pour lui par contre et, pis, il torpillera les efforts de reconstruction du parti au Québec.
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Un haut gradé de l'équipe québécoise d'Ignatieff affirme que ses collègues et lui sont conscients des risques d'un échec, mais ils croient pouvoir réussir. Selon eux, le jeu en vaut la chandelle. Ils sont persuadés que l'adoption de la résolution redonnera un élan au PLC au Québec et des arguments pour prendre des appuis, non seulement aux conservateurs mais aussi au Bloc québécois.
On ne peut pas nier qu'il était temps que le PLC-Q se mette au diapason de la majorité des Québécois. Il est urgent aussi que le PLC en fasse autant. La crainte de déchirements ne doit pas empêcher les Québécois de revendiquer. Il faut par ailleurs voir un signe de leadership dans la décision d'un candidat à la direction du parti d'aborder une question que trop de gens rêvent de balayer sous le tapis. Sur le plan stratégique, surtout à court terme, rien n'obligeait cependant le PLC-Q à faire de la question québécoise un enjeu central du prochain congrès et potentiellement des prochaines élections. En effet, tout indique pour l'instant que la prochaine bataille, surtout au Québec et en Ontario, sera une campagne anti-Harper.
Maintenant que la motion est adoptée, l'aile québécoise du PLC «n'a plus le droit à l'échec» lors du congrès de novembre, comme le dit Jean Lapierre, qui n'appuie aucun candidat. Et parce que échouer n'est pas une option, tous les délégués du Québec doivent mettre la main à la pâte, croit-il. Il n'a jamais dit aussi vrai. Une rebuffade pourrait avoir pour le PLC des répercussions sérieuses et à très long terme. Le rejet d'une motion -- quand même modeste aux yeux de bien des Québécois -- pourrait cristalliser à nouveau leur frustration à l'égard du parti responsable du rapatriement de 1982 et généralement associé à l'échec de l'accord du Lac-Meech. Un parti identifié au refus de la reprise du dialogue avec le Québec pour le voir adhérer à la Constitution la tête haute.
Dans ce contexte et parce qu'il en est l'inspiration, le camp Ignatieff a maintenant la responsabilité d'assurer l'adoption de la motion, pas seulement pour assurer un avenir à son candidat mais aussi pour aussurer celui du PLC au Québec.
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mcornellier@ledevoir.com


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