Dieu... existe

Alors, cessez de vous inquiéter et profitez de la vie

01. Actualité - articles et dossiers

Depuis quelques jours, des autobus de la STM se baladent avec une inscription surprenante: «Dieu n'existe probablement pas. Alors, cessez de vous inquiéter et profitez de la vie.» Cette affirmation est d'autant plus étonnante que toute cette campagne est soutenue par l'Association humaniste du Québec qui «place l'être humain devant toute croyance ou idéologie». Étonnante, en effet, car depuis la mort de Dieu, fondement de toute la pensée humaniste, la réflexion philosophique humaniste jongle plutôt avec l'angoisse, l'absurdité et le nihilisme. Nous sommes à des lieues de l'innocence guillerette colportée sur les panneaux des autobus et nous nageons en pleine contradiction.
Au XIXe siècle, Friedrich Nietzsche (1844-1900) a décrété la mort de Dieu. «Devant Dieu! -- Voici que ce Dieu est mort. Hommes supérieurs, ce Dieu a été votre plus grand danger. Vous n'êtes ressuscités que depuis qu'il gît dans la tombe.» (Ainsi parlait Zarathoustra, 1892).
Ayant ainsi assisté aux funérailles de Dieu, l'homme, se trouve soudainement confronté à l'angoisse de sa mort prochaine et l'appréhende comme la fin de toutes choses, la chute dans le trou sans fin, le cachot des éternelles oubliettes. Il se perçoit comme une fugitive apparence dans un univers infini qui l'ignore, comme un accident ridicule dans le vide obscur du nihilisme (du latin nihil: rien). Il a peur. Que lui reste-t-il? Ne plus s'inquiéter? Profiter de la vie? Voyez plutôt.
«L'homme (post) moderne se trouve pris à jamais entre l'impossibilité d'un retour à la transcendance et l'impossibilité de regarder en face l'immanence inerte des choses et d'assumer l'absurdité de ce monde. Il lui reste à continuer à chercher des manières résiduelles de s'illusionner» (Marc Angenot, Titulaire de la chaire James McGill de français à l'Université McGill, tiré du livre: En quoi sommes-nous encore pieux, 2009).
Cette affirmation trouve écho dans les propos de Marcel Conche, philosophe humaniste français et professeur émérite de philosophie à la Sorbonne: «Si Dieu est mort, l'homme retourne à son ancienne impuissance: impuissance à briser le lien, indissoluble pour tous les êtres finis, du temps et de la mort. Nous étions des êtres finis que l'être infini aimait. Nous ne sommes plus que des êtres finis, et rien d'autre, dans l'indifférence universelle et le silence de la mort» (tiré du livre Temps et destin, 1980).
Ces auteurs sont des humanistes, tout comme ceux qui soutiennent cette campagne actuelle sur l'inexistence de Dieu. Leur raison ne les pousse cependant pas vers l'optimisme surprenant qui se balade actuellement sur les panneaux des autobus de Montréal. Ils sont crédibles, raisonnables, courageux et lucides dans leur propos. La disparition de Dieu non seulement ne règle rien, mais confine l'humanité à l'angoisse et à l'absence de sens. Ce constat est dur, mais c'est le terminus obligé de trois cents ans d'humanisme. Comment alors affirmer qu'avec la mort de Dieu, on peut maintenant se réjouir et profiter de la vie? La raison nous amène dans la direction inverse. La mort de Dieu soulève des difficultés majeures sur les plans métaphysique (l'existence, pourquoi y a-t-il quelque chose plutôt que rien?), moral (l'aliénation morale, pourquoi tant de souffrance et tant de bonté en même temps?) et épistémologique (la connaissance, existe-t-il vraiment quelque chose ou est-ce une illusion?). Et ces difficultés demeurent même avec l'élargissement notoire des connaissances scientifiques au cours des derniers siècles. Si Dieu est mort, l'homme reste tout seul, qu'il ait une sixième année ou un doctorat.
De Jean-Jacques Rousseau (1712-1778) à Sören Kierkegaard (1813-1855), jusqu'à Marc Angenot et Marcel Conche, la pensée humaniste a vu le pessimisme s'installer. L'optimisme ne sera alors possible qu'en laissant le savoir objectif en suspens. Toute la pensée humaniste qui suivra, le mouvement existentialiste notamment, confirmera que la raison, privée d'un véritable universel, mène tout droit à l'absurdité de tout ce qui est là. L'heure n'est plus à la joie, mais à l'angoisse. Comment une association humaniste peut-elle alors raisonnablement conclure à l'optimisme? Cette curieuse pirouette prend des allures de démission de la raison.
Si la logique humaniste d'Angenot et de Conche mène à une telle violence dans le propos, à une telle déshumanisation et d'évacuation du sens, si la raison mène à un tel pessimisme et à une telle angoisse, si l'humanisme nous confine à une telle absurdité, alors, c'est que la prémisse de toute cette quête est fausse. Nous nous sommes trompés. Dieu n'est pas mort. Il est bien là. Alors seulement, l'homme pourra espérer que quelqu'un en dehors de lui-même donnera sens et direction. Alors seulement, il pourra cesser de s'inquiéter et profiter de la vie.


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3 commentaires

  • Archives de Vigile Répondre

    17 octobre 2009

    Réponse à M. Martin Généreux, (« Dieu … existe ». Le Devoir du 16 mars 2009)
    Étant un de ceux par qui le scandale « autobus athée » est arrivé, je ne peux faire autrement que de tenter de remettre les pendules à l'heure.
    M. Généreux est sans doute persuadé que les humanistes athées dont nous nous réclamons passent leur soirées à potasser Nietzsche pour se convaincre qu’ils doivent absolument être nihilistes et angoissés. Désolé de lui faire de la peine : les faits ne concordent pas avec sa description de présumés abîmes philosophiques dans lesquels nous serions irrémédiablement perdus. Les philosophes qu’il cite sont peut-être connus, ils ne sont à peu près jamais discutés dans nos cercles. Nous avons mieux à faire et nous avons d’autres sources de réflexion.
    Les humanistes athées ne sont pas exemptés des souffrances physiques et psychologiques, cela serait trop beau, mais au moins leur destin terrestre, avec ses hauts et ses bas, n'est pas perçu comme un long pensum nécessaire à une très hypothétique félicité dans un au-delà encore plus hypothétique. Au contraire, nous percevons notre parcours terrestre comme une chance inouïe, unique, dont il faut, réellement, profiter et non pas la gaspiller au service de déités aux intentions insondables. Beaucoup des humanistes athées que j'ai le bonheur de connaître ne sont plus dans leur prime jeunesse et cependant ils sont étonnement sereins devant la perspective de leur mort ce qui, évidemment, ne coïncide pas non plus avec l’image que M. Généreux tente de colporter. Ils ont aussi souvent une expérience de première main avec les sentiments de culpabilité instillés dans leur jeune cervelle par un clergé ignorant des ravages qu’il causait.
    Aussi sereins soient-ils, ces humanistes sont, par contre, très concernés par les effets des croyances non fondées, non seulement sur leur bien-être, mais aussi sur celui des autres. Et bien oui, deuxième surprise, la souffrance des autres nous interpelle mais nous n’avons pas besoin d’une injonction divine pour la prendre en considération. La façon dont nous réagissons à cette souffrance n’est pas uniquement sous la forme d’un soutien direct à ceux qui sont mal pris mais est surtout une action en amont des problèmes. Autrement dit, nous préférons travailler à modifier les conditions qui sont à l'origine de malheurs récurrents plutôt que de nous limiter à soutenir les victimes. Ce qui implique que nous sachions distinguer, aussi bien que possible, ce qui est réalisable de ce qui est au-delà de nos capacités actuelles. Il s'ensuit que, pour nous, l'ignorance est à la fois le péché capital de ceux qui auraient pu savoir mais ne s'en soucient pas, et la malédiction suprême de ceux qui n’ont pas eu la chance d’avoir accès au savoir. On ne s’étonnera donc pas de l’importance cruciale que les humanistes accordent aux connaissances fondées et à leur diffusion sans restriction à tous les membres de notre espèce.
    Par connaissances fondées, nous voulons insister ici sur le filtre indispensable à la construction d’un « soi » cohérent et lucide : la pensée critique, sans laquelle un individu, aussi brillant soit-il, risque fort d'absorber plus de sornettes que de concepts valides. Les bibliothèques publiques et les librairies continuent, avec une loyauté indéfectible envers nos goûts douteux, à proposer quatre rayons d’ésotérisme pour un demi-rayon de philosophie, sans parler des rayons des sciences qui croulent sous les titres des pseudosciences.
    Comment les humanistes de chez nous réagissent-ils à cela. Et bien, entre autres, en fondant une Bibliothèque humaniste (la BHQ), en invitant des contemporains notables à venir nous expliquer le monde à nos conférences humanistes, en proposant la découverte des penseurs qui nous ont précédés par des films significatifs, en dispensant des cours sur l’éthique humaniste, et, bien sûr, en agissant directement sur les évènements qui nous interpellent, ceux qui touchent aux droits de chaque personne, et pas seulement au Québec. Mais ces actions directes sont parfois exigeantes en ressources et elles ne peuvent se réaliser qu’en équilibre avec le droit de chaque humaniste à rechercher le bonheur terrestre qui lui convient et qui ne représente pas un fardeau ou une menace pour les autres. L’altruisme bien compris, lucide, sans référence au divin, sans coercition, est un facteur d’équilibre et de bien-être abondamment documenté. Nous ne l’avons pas inventé, juste débarrassé de sa gangue religieuse. Nous invitons tout-un-chacun a en profiter dans la mesure de ses capacités et de ses disponibilités.
    Sur le bonheur des gens, il existe des enquêtes où l’on demande aux gens s’ils sont heureux. Dans les pays où le bonheur est, sinon un devoir national, du moins un droit écrit dans la constitution (lire États-Unis) les taux de personnes se déclarant heureuses sont élevés. Dans les pays où, culturellement, heureux rime avec « imbécile heureux » les taux sont plus bas. Il est donc problématique de se fier à ce genre d’enquête. Je crois qu’il est beaucoup plus raisonnable de se fier aux enquêtes objectives sur les indices de santé sociale (longévité, éducation, taux d’homicides et de viols, grossesses chez les adolescentes, etc.). Si des gens se déclarent heureux mais meurent à 45 ans en moyenne, on a de solides raisons de prendre leur déclaration de joie de vivre avec un grain de sel.
    La compilation réalisée par Gregory Paul (*) indique une corrélation, dans la plupart des pays prospères, entre une bonne santé sociale et une indifférence aux religions. La réalité est que Dieu a complètement cessé d’être pertinent pour un nombre croissant de personnes issues de populations de plus en plus instruites et que cette évolution coïncide avec une diminution des maladies sociales. M. Généreux devra se faire une raison ou peut-être prier. Je lui souhaite une bonne santé et une longue vie car je ne doute pas un instant que c'est la seule dont il ne disposera jamais. Qu’il profite de chaque seconde.
    Michel Virard
    Président
    Association humaniste du Québec -> [http://assohum.org]
    (*) Gregory Paul - Journal of Religion & Society, Vol. 7 (2005), pp. 1-17.

  • Archives de Vigile Répondre

    18 mars 2009

    @Etienne Rivard
    Si toute certitude est probablement une imposture, est-ce que tu prend ton affirmation pour certitude? Si oui, ne devient-elle pas une imposture? Si non, qu'as-tu dit? Rien.
    Nous réfléchissons en terme absolue. Nous regardons la vie avec des vérités immuables (comme la mort et les impôts). Pourquoi l'existence n'aurait-elle pas une cause assez grande pour l'expliquer, à savoir Dieu?
    Je suis d'accord avec toi que le discours de Dieu a souvent sonné creux et trop souvent faux, mais s'Il existe il faut apprendre à la connaitre. C'est de cette connaissance que tu pourras prendre une décision éclairée. Ignorer une vérité à cause de mauvais messagers ne change pas la vérité. C'est pas parce qu'un prof de physique est mauvais que la physique est mauvaise ou déficiente.
    Prend le temps d'évaluer sérieusement les affirmations sur Dieu. Puis prend un choix éclairé. Regarde, évalue, sois logique s'Il existe Il devient l'auteur de l'être humain et par intérim l'auteur de la logique. Donc une recherche logique devrait t'amener à Lui.

  • Archives de Vigile Répondre

    17 mars 2009

    Je ne sais pas si dieu existe ou non, mais il y a un certain nombre de choses dont je suis presque certain compte tenu que toute certitude est probablement une imposture.
    Je pense que le charactère opprimant des courants opposés à l'humanisme ont certainement contribué à lui donné ce penchant vers l'absurdité. Absurdité qui soit dit en passant flirt avec créativité. Permettez-moi, en toute humilité (je n'ai pas de diplôme universitaire en philosophie), de poser l'hypothèse suivante: certaines personnes en ont eu assez de se sentir comme des moins que rien devant la toute puissance de l'être suprême. D'autres ont même aperçu que des ficelles semblaient donner vie à cet être suprême.
    Enfin, des gens qui vivent pacifiquement parmi nous aiment bien leur vie telle qu'elle est, c'est-à-dire sans avoir à se plier en deux à toute heure du jour et de la nuit devant une personne ou un esprit que l'on ne voit pas, qui ne nous parle pas bref, dont on nous a seulement indiqué l'existence parfois à des fins politiques.
    Je ne suis pas un grand fan des paneaux publicitaires humanistes, mais je les préfère à une homélie sur l'existence de dieu. Ce discours a toujours sonné creux pour moi voire douteux et ce sans égard à la qualité du langage ou à la réputation des personnes citées.

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