Devenir des vigiles

Perspective d'un indépendantiste vigilant...

Tribune libre

Ce texte est dédié à la mémoire de Bernard Frappier, fondateur et directeur de Vigile.net. Je ne le connaissais pas personnellement, mais son départ me convainc de reprendre la plume à nouveau pour notre projet de pays. Il a été
écrit particulièrement à l’intention du Forum Jeunesse du Bloc Québécois
(FJBQ). http://fjbq.bloc.org/accueil.aspx

Le but de ce texte n’est pas de parler de mort, ou de deuil. N’empêche que c’est ce qui le suscite. La motivation, la tape dans le dos du temps qui te dit de ne pas remettre à demain ce qui presse. L’indépendance du Québec presse. Plein d’autres choses pressent aussi dans la vie dont je pourrais parler, évidemment. Des choses qui ne sont pas politiques et d’autres qui touchent d’autres causes me tenant à cœur. Mais on ne peut pas toujours parler de tout à la fois et si j’écris par rapport à la politique, à tout le moins celle qui est partisane, c’est parce qu’avant toutes choses je suis indépendantiste.
Or, nous sommes en pleine traversée du désert, les indépendantistes. Il m’arrivait souvent ces derniers temps de revoir mes vieux textes sur Vigile, de repenser au début de mon implication, de me dire que je devrais écrire un texte qui en fera le tour, un bilan se tournant vers l’avenir, une perspective. Quand on relit nos vieux textes, ça donne toujours envie d’en écrire de nouveaux pour actualiser son style et sa pensée. C’est la perte d’un indépendantiste exceptionnel qui me fait réaliser que nous ne pouvons remettre à demain de parler d’indépendance. L’importance d’écrire aussi et d’en laisser des traces. Écrire est quelque chose de complexe. L’écriture, même si ça reste, même si ça peut être mal interprété, même si c’est à sens unique, ça reste toujours la manière la plus complète dans un moment précis d’exprimer ce qu’on pense ou ressent et de le laisser pour la mémoire.
Après bientôt 6 années d’implication politique, j’en suis à un retour aux sources. Quand j’ai commencé à m’impliquer, au Parti Québécois, nous étions en 2006-2007 et alors, le scandale des commandites ne semblait pas bien loin. Certes, ça faisait longtemps 95, mais il y avait une impression, avec les Cowboys fringants, Loco Locass, Mes Aïeux, que la souveraineté restait quelque chose de proche, qu’il y avait un momentum. Charest était particulièrement impopulaire. Comme militant, il me semblait que le PQ avait tout de même quelques lacunes et longues histoires courtes, j’ai réussi à avoir un rendez-vous avec Bernard Landry qui m’a mis en contact avec Pierre Cloutier (très actif sur les pages de Vigile). En tête, nous avions cette idée qu’il fallait moderniser le militantisme en l’emmenant sur le web, mais aussi en le centrant sur un message indépendantiste clair. Nous voulions en faire un club politique. Puis les élections de 2007 où le PQ a subi sa pire défaite. Assez rapidement, Pierre et moi sommes tombés en désaccord sur la suite des choses, moi voulant continuer l’aventure de créer un club, mais voulant m’intégrer davantage au PQ pour pouvoir promouvoir ce projet devant les refus essuyés (j’avais approché plusieurs députés de la région de Montréal), alors que lui devenait de plus en plus critique du PQ.
Comme militant, il me semblait alors qu’il fallait réfléchir pour changer le PQ. Ce que je fis grâce à un blogue (Le Registre polémique, m’inspirant ici de Bourgault et ces Écrits polémiques) dans lequel je mis quelques vidéos et plusieurs textes. Mon analyse m’emmenait à me dire qu’il y avait deux options pour se sortir de la 2e opposition et défaire les fédéralistes :
■ Devenir un parti clairement social-démocrate, mais modéré (je donnais comme exemple le NPD, sans pouvoir deviner qu’il pourrait avoir le succès que nous avons subit dernièrement). Ce parti ne proposerait pas l’indépendance, mais adopterait une plateforme de style « autonomiste ». Mon idée était que ce serait prendre acte du clivage grandissant gauche droite, de prendre le champ libre de la gauche (QS était alors plus marginal) et de repousser le PLQ dans ces derniers retranchements traditionnels, tout en misant sur un consensus autonomiste PQ-ADQ.
■ Faire une grande coalition indépendantiste qui aurait comme but la réalisation du pays à court terme. Car sans l’indépendance proche, sans un programme axé sur la construction d’un pays à la manière que proposait le MES (Mouvement pour une Élection sur la Souveraineté), il me semblait impossible de rassembler sans heurts le large spectre que couvre le mouvement indépendantiste (de la gauche au centre droit, sauf exception) et de remettre les fédéralistes sur la défensive.
Cette dernière option me semblait la plus souhaitable, bien que la plus risquée et difficile à court terme. Dans tous les cas, je pensais aussi que pour officialiser l’un de ces deux changements de direction, il serait souhaitable que le PQ se refonde en un nouveau parti avec une nouvelle image.
Finalement, c’est dans une démarche bien péquiste que je trouvai écho à mes réflexions. Claude Villeneuve, ancien président du CNJPQ et alors blogueur, avait des idées intéressantes. Ça me semblait au milieu de mes deux options. Il démarra un collectif de réflexion que je joignis (Les 3 Travaux du PQ, http://les3travaux.blogspot.ca), proposant ce qu’il appelait la « gouvernance souverainiste ». Cette stratégie souverainiste me semblait s’inspirer des gestes de ruptures proposées par plusieurs, mais sous une forme plus modérée. Il rajoutait à cela une forte politique identitaire, visant à nous redonner les chances de remettre de l’avant l’indépendance dans l’avenir même si on ne réussissait pas à la faire à court terme.
Ça venait me rejoindre dans cette triste impression que j’avais que ma toute récente implication pour l’indépendance du Québec, je devais me résoudre au fait que ce serait un engagement de longue haleine, contrairement à ce que j’espérais au début. Il me semblait aussi qu’il était stratégique, devant la question des accommodements raisonnables et la Commission Bouchard-Taylor, que le PQ pour survivre devait exprimer son nationalisme autrement que seulement par le projet de faire du Québec un pays et répondre à certaines problématiques actuelles.
C’est ainsi que commencèrent deux années d’implication dans les instances jeunes du PQ et du Bloc. Durant cette période, nous avons pu voir des débats naître dans le mouvement souverainiste. Plusieurs mouvements citoyens ont commencé à reprendre l’avant-scène : la Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal redevenait particulièrement active sous Mario Beaulieu et avec le développement du Mouvement Montréal Français, le Réseau de Résistance du Québécois devint important, plusieurs mouvements de jeunes militant-e-s comme les JPQ ou le Mouvement progressiste pour l’indépendance du Québec se fondèrent ou prirent de l’ampleur à Montréal, alors que Québec Solidaire venait de faire élire son premier député. Au sein du PQ, peu de critiques, parce qu’en période minoritaire jusqu’en 2008. Le PQ y fit un résultat correct, redevenant l’opposition officielle et l’ADQ était à terre.
Malgré tout, des gens remettaient en cause le sérieux d’une « gouvernance souverainiste » dont les gestes de ruptures ou de souveraineté semblaient parfois mal placés et vouloir respecter l’ordre ou la légalité constitutionnelle canadienne, qui n’avaient d’ailleurs pas été mise de l’avant durant la campagne. L’une des idées qui me semblaient les plus gagnantes à ce niveau, c’était un nouveau député qui en parlait souvent, Jean-Martin Aussant et le rapport d’impôt unique. Idée avec laquelle il repartira plus tard lorsqu’il quittera le parti. Le congrès commençait à se préparer et tout débat y était repoussé. Il fallait jouer le jeu des conseils nationaux « consensuels », ce qui ne nous empêcha pas de renforcer la position du PQ sur la langue. Les critiques contre la gouvernance souverainiste s’accentuaient, mais elles semblaient quelques fois creuses, relevant plus d’une critique de Pauline Marois et d’une volonté d’une nouvelle course à la chefferie auxquelles je n’adhérais pas.
N’empêche que j’avais l’impression, quelques fois, que notre parti ne nous écoutait pas assez et s’éloignait du mouvement indépendantiste. C’est vers ce dernier que je recommençai à me tourner. Rendu là, je n’avais plus de volonté de créer de club politique. Ce fut tout de même la mort de ce concept par le non-renouvellement du SPQ Libre qui me donna l’impression que je serais à ma place ailleurs, là où j’aurais l’impression peut-être de retrouver ce rêve d’un parti rassemblant l’ensemble des indépendantistes.
C’est ainsi que je me centrai uniquement sur le Bloc. Actif dans mes associations locales, puis ayant monté les postes au niveau régional des jeunes (représentant, VP, président), je voyais qu’il y avait une opportunité de réaliser certaines choses. C’est ainsi qu’ensemble nous avons changé le FJBQ, le rapprochant des autres partis (PQ et QS) ainsi que des groupes sociaux indépendantistes. Nous avions formé une coalition disparate digne de mon idéal : plusieurs gauchistes, quelques droitistes, des indépendantistes radicaux, des péquistes voulant faire la politique autrement, puis surtout des vrais nationalistes. Vint la défaite du 2 mai. Encore une fois, le peuple québécois semblait démontrer une lassitude envers les partis politiques souverainistes.
S’en suivit une crise au PQ sur laquelle je ne veux pas revenir. À ce moment, je n’y étais plus de toute façon. Il me semblait que les critiques et démissions étaient en partie justifiées, bien que je regrettais que tou-te-s ces député-e-s et président-e-s de comté ou autres militant-e-s n’aient pas organisé leur critique lorsque c’était le temps avant le congrès. Il me semblait difficile d’endosser cela après le 2 mai. Le mouvement indépendantiste semblait perdu. Legault laissait planer le spectre d’un 26 mars 2007 version 2.0… Pendant 1 an environ, je pris mes distances pour observer et ce que je vis me donne espoir.
J’ai vu la cheffe du Parti Québécois résister aux tempêtes et éviter les psychodrames des chefferies ou chicanes internes. J’ai vu des jeunes militant-e-s dynamiques créer un nouveau parti indépendantiste s’appelant Option nationale. J’ai vu Québec Solidaire se questionner sur la souveraineté et faire un bout de chemin qui reste à compléter et à prouver sérieusement, mais que nous pouvons reconnaître. J’ai vu la Coalition Avenir Québec et Legault être incapable de maintenir un flou et redéfinir le débat vers la gauche droite, le forçant à se ranger plus clairement dans le camp fédéraliste. J’ai vu un Bloc Québécois dans lequel la parole se libérait comme jamais, qui secouait ces vieux os, débattait dans le respect et suite à une course à la chefferie exigeante, se retroussait les manches en restant uni derrière Daniel Paillé. J’ai vu, surtout, des groupes indépendantistes s’organiser et mener des projets toujours de plus grande ampleur, des marches pour l’indépendance, des manifestations contre la royauté ou pour le mouvement étudiant, la création du Mouvement Québec français, sans compter tout les événements, lancement de livre et autres.
Il y a une mobilisation impressionnante dans les circonstances, une résilience, une sorte d’indépendantisme latent dans notre génération. Certes, elle n’a pas vécu ce débat national. Elle n’en fait donc pas sa priorité immédiate. Mais il y a cet esprit de liberté et d’émancipation collective qui nous a impressionnés récemment, ainsi qu’une identité québécoise plus forte qu’on aurait pu le croire. Tous ces facteurs devraient nous donner espoir. Ils devraient aussi nous insuffler un profond sentiment de devoir envers ce projet enraciné dans notre passé collectif qu’est la libération du peuple québécois. Nombre de groupes indépendantistes existent et il y a de la place pour de nouveaux, pouvant joindre le Réseau Cap sur l’Indépendance afin de se concerter pour faire avancer cette cause. Nous devons y travailler là, hors des partis politiques. Mais il faut aussi un autre véhicule de rassemblement et de dialogue, pouvant emmènera notre mouvement « de la rue au parlement » au moment opportun.
Peu importe nos allégeances, nous ne pouvons plus remettre en question la pluralité du mouvement souverainiste sur la scène québécoise. Il en revient donc au Bloc Québécois d’être un lieu de travail commun et d’ouverture indépendantiste, d’être cet outil de rassemblement sur la scène politique canadienne.
Cette flamme qui couve en notre génération et sur laquelle souffle le vent de notre histoire, il faut aussi des jeunes pour la représenter en politique, au Bloc Québécois. Nous devons nous tenir prêt-e-s à porter des flambeaux lorsque la flamme renaîtra. Nous devons travailler à mettre en place les bases qui permettront d’en faire ce qui sera le plus beau feu de la Saint-Jean, celui de l’année de notre libération. Nous ne devons pas manquer notre chance. Nous devons peut-être même la pousser, notre chance. Mais pour la voir, cette chance, nous devons faire preuve de mémoire, de présence et d’espoir. Nous devons dès maintenant, tel le harfang qui est notre symbole national, être un mouvement vigilant. C’est ce que ce texte vous appelle à devenir. Devenir des vigiles.

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Louis-Joseph Benoit8 articles

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1 commentaire

  • Serge Jean Répondre

    29 septembre 2012

    Votre rassemblement est beau comme un grand arbre avec toutes ses feuilles. À la fin, c'est ce qu'il faudra être pour exister en entier.
    L'espoir se souvient du futur, comme les coquillages du silurien ont rêvés de marcher sur le sable.

    Jean