Deux débats, deux solitudes

Élections 2006

Le débat des chefs d'hier soir a illustré, à sa façon, l'existence des deux solitudes. Autant le débat en anglais de lundi était vif, agressif et intéressant, autant le débat en français a été soporifique, assez pour qu'on se demande comment les électeurs, sauf les plus passionnés, ont pu résister jusqu'au bout.
Cette absence d'élan s'expliquait sans doute par le fait que trois des protagonistes ne s'exprimaient pas dans leur langue. Mais il manquait manifestement de passion, comme si ce débat ne revêtait pas vraiment d'enjeu. Même Gilles Duceppe, pourtant sur son terrain, a semblé emporté par la narcose de ses adversaires. Comme il se doit, le chef bloquiste a dominé un débat qui état fait sur mesure pour lui. Mais personne n'a vraiment perdu, sauf le chef néo-démocrate Jack Layton, désespérément marginal. Paul Martin n'a pas été trop malmené.
Mais ce débat pouvait avoir une utilité et un intérêt. Et c'est le fait que la prestation de Stephen Harper revêtait une importance nouvelle, parce que les sondages, dans un revirement spectaculaire, annoncent maintenant sa victoire. On voulait certainement scruter un peu plus celui qui sera peut-être le premier ministre du Canada.
À cet égard, Stephen Harper avait un défi à relever. Mais ce défi n'était pas vraiment considérable. La nature même de cette campagne électorale fait en sorte que M. Harper n'avait pas grand chose à faire dans ces deux débats. Le chef conservateur ne devait pas démontrer qu'il serait un premier ministre exceptionnel, ni même qu'il serait meilleur que Paul Martin, ni que son programme correspondait aux voeux des électeurs. Son défi, plus modeste, consistait plutôt à montrer qu'il pouvait être un candidat acceptable pour le poste de premier ministre.
Tout cela est lié à ce qui est l'élément central de cette campagne électorale, tout comme celle d'il y a deux ans, et c'est le fait qu'en toute logique, les libéraux ne devraient plus être au pouvoir, qu'ils sont pour ainsi dire " passés dus ". L'usure du pouvoir, les scandales, la rupture avec les règles normales de l'alternance ont affaibli les libéraux, assez pour les empêcher de gouverner avec sérénité et de réagir avec crédibilité aux crises qui les assaillent.
On peut soupçonner qu'un nombre très important de Canadiens, et à plus forte raison de Québécois, plus que ce que montrent les sondages, souhaitent le départ des libéraux. Ce qui protégeait l'équipe de Paul Martin de cette issue inéluctable, c'était l'absence d'alternative, le fait que les conservateurs, en raison de leurs orientations idéologiques, n'étaient pas aptes à former un gouvernement acceptable pour les Canadiens.
Ce qui s'est passé depuis décembre, c'est que Stephen Harper, en adoucissant ses politiques, en maîtrisant ses élans, en présentant un programme clair, a réussi à surmonter les réflexes de rejet dont il était l'objet, à apprivoiser les électeurs, réduire leurs peurs, et à les convaincre qu'il pourrait être ce candidat.
On a pu voir ce qui s'est passé en moins d'un mois. Au Canada anglais, et même au Québec, bien des électeurs, qui n'auraient jamais imaginé pouvoir voter pour un candidat conservateur issu de la droite albertaine, se sont progressivement habitués à l'idée, quitte à minimiser les éléments du programme conservateur avec lesquels ils sont moins à l'aise. Petit à petit, le " jamais " s'est transformé en " pourquoi pas ". Et le " pourquoi pas " est devenu un " peut-être ", qui se transforme chez certains en " probablement ".
Les sondages montrent que ce même processus semble être à l'oeuvre au Québec, à plus petite échelle, à mesure que des Québécois estiment maintenant que voter pour les conservateurs peut être une bonne façon de rejeter les libéraux.
On accorde sans doute trop d'importance à ces débats des chefs. Il est rare que ces échanges comportent des moments assez forts pour provoquer un revirement. En général, un débat est moins un révélateur qu'un miroir, qui permet aux électeurs de confirmer, de visu, les impressions qu'ils se sont faites au cours de la campagne.
Dans ce contexte, lors des deux débats, Stephen Harper devait surtout confirmer les électeurs dans leur impression nouvelle qu'un monstre ne se cache pas derrière le chef conservateur. Dans le débat anglais, il y est parvenu, de façon peu spectaculaire, en résistant bien aux attaques et en réussissant à vendre son programme.
Dans le débat français, M. Harper devait en plus convaincre que son ouverture aux provinces était sincère et crédible, qu'il pouvait exprimer une compréhension du Québec et fonctionner correctement en français. Il y est parvenu, encore là sans panache. Il a réussi à désamorcer les peurs, mais certainement sans susciter la moindre espèce de passion.


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