François Bourque - (Québec) Un groupe de jeunes derrière la scène du Moulin à paroles. Cinq ou six garçons et filles, back benchers de l'histoire, un peu allumés par l'alcool, les mots et la frénésie du soir.
Lorsque Luck Mervil s'est attaqué au manifeste du FLQ, ils sont devenus fébriles. Se sont précipités dans chaque silence du texte pour y jeter leurs poings dressés et leurs cris fiévreux, forts de l'anonymat de la foule et de l'insouciance du moment.
Je n'y ai pourtant vu ni scandale ni célébration de la violence ou de l'extrême. Seulement l'inclinaison d'un âge flirtant avec les idées subversives et, surtout, le plaisir d'un pied de nez aux détracteurs du Moulin qui avaient eu souvent la parole, mais n'auraient pas le dernier mot.
Après un parcours sobre et retenu, Luck Mervil aurait pu conclure sur le même ton.
Il a choisi de fouetter les derniers mots du manifeste. Il y a mis la colère et les points d'exclamation que Gaétan Montreuil avait tus à l'époque de la première lecture publique à Radio-Canada en 1970. Ce ne pouvait pas être innocent.
«Vive le Québec libre,
Vive les camarades prisonniers politiques,
Vive la révolution québécoise...»
La foule s'est laissée emporter. A manifesté bruyamment, d'où le titre en une du journal d'hier : «Chaudement applaudi», avec la photo de Mervil, le poing dressé et le regard menaçant. Les détracteurs y trouveront la preuve qu'ils avaient raison de se tenir loin du Moulin.
Mais la réalité est banalement que Luck Mervil a été applaudi comme l'ont été tous les textes et tous les lecteurs du Moulin. Comme l'a été la touchante lettre de Pierre Laporte implorant Robert Bourassa de faire cesser les recherches policières pour trouver ses ravisseurs, lue juste après le manifeste.
Certains textes et lecteurs ont été applaudis plus que d'autres. Plusieurs, bien davantage que le FLQ de Mervil; ceux de politiciens, d'artistes connus ou des concepteurs du Moulin; plus que tout autre peut-être, cette presque inconnue du public, Françoise Sullivan, après sa lecture du Refus global hier après-midi, du haut de ses 84 ans.
Ce Moulin nationaliste a aussi provoqué plusieurs réactions improbables. Des applaudissements pour Maurice Duplessis, malgré la Grande noirceur; pour Robert Bourassa, malgré la tiédeur; pour Pierre E. Trudeau, malgré l'arrogance.
Le public a applaudi les recettes de Jeanne Benoît, les Belles-soeurs de Tremblay, le chant de gorge des Inuits tout en n'y comprenant rien.
Des textes ont été magnifiés par une lecture théâtrale; d'autres neutralisés par une lecture inerte, comme le De Gaulle au balcon de l'hôtel de ville de Montréal.
J'ai croisé Pierre-Karl Péladeau dans la nuit du Moulin. Sa conjointe, Julie Snyder, y lisait un extrait de roman. Je n'ai pas pu résister.
Je trouvais l'événement très digne, sobre et respectueux. Je lui ai dit ne pas avoir compris le point de vue du chef des nouvelles J-Jacques Samson dans le Journal de Québec, cette semaine, qui criait au «viol des plaines d'Abraham».
«La preuve que ce ne sont pas les propriétaires qui tiennent la plume des journalistes», m'a-t-il répondu. En cette nuit qui célébrait la liberté de parole, sa réponse m'a beaucoup plu.
J'ai aimé le rythme et la musicalité du Moulin à paroles. L'engrenage des voix, des vocabulaires, des époques, des émotions.
Beaucoup aimé la mise en scène du siège de Québec et de la bataille des Plaines avec les mots de Montcalm et de Wolfe, lus par des descendants des familles des généraux, mêlés à ceux de citoyens de Québec rendus par le Théâtre des Fonds de Tiroirs.
J'ai aimé les couleurs autour du kiosque Edwin-Bélanger. Du vert, de l'orangé, du rose, du bleu. J'ai été étonné d'y voir finalement bien peu de drapeaux du Québec et des Patriotes. Rien à voir avec les débordements des soirs de Saint-Jean-Baptiste.
Le Moulin a livré sa promesse d'enseigner l'histoire et de sortir de l'ombre des morceaux de littérature.
J'ai été agréablement surpris que l'intérêt puisse être maintenu aussi longtemps, malgré l'ampleur du corpus et du marathon; surpris d'y trouver autant d'humour dans les textes et dans la lecture.
Je crois que j'ai préféré les extraits les plus courts et les récits factuels. Me suis ennuyé en de rares moments. Lorsque les années 60 se sont égarées par exemple dans l'âme tourmentée de poètes opaques; ou lorsque le scénario est devenu trop prévisible; Claudette Carbonneau lisant Marcel Pépin célébrant le syndicalisme.
J'ai été surpris de l'absence de quelques textes : les mots de René Lévesque au lendemain de sa prise du pouvoir en 1976, son «À la prochaine fois» au soir du référendum de 80.
Dans la nuit du Moulin, un lecteur que vous connaissez m'a raconté qu'Andrew Wolfe Burroughs, descendant de la famille du général, avait été hébergé à Québec cette semaine à la résidence familiale de Bizz des Loco Locass (Sébastien Fréchette).
Bizz racontait l'anecdote avec amusement dans les coulisses du Moulin, rappelant que Loco Locass a reçu en 2007 le Prix du Patriote de l'année de la Société Saint-Jean Baptiste.
Vous imaginez : un descendant de Wolfe couché dans le lit du Patriote de l'année, la veille du 250e anniversaire de la prise des Plaines. On s'étonnera ensuite que Québec ait capitulé!
Bien après que Luck Mervil ait quitté les projecteurs, je suis repassé derrière la scène. Mes révolutionnaires étaient endormis au pied de leurs chaises de parterre, enveloppés dans des sacs de couchage.
Je les ai revus un peu plus tard, pliant bagage pour aller se coucher à la maison. Il devait être tout près de 3h du matin.
Tiens, justement l'heure où, il y a 250 ans, les hommes de Wolfe se glissaient dans l'ombre sur les berges de l'anse au Foulon.
Laissez un commentaire Votre adresse courriel ne sera pas publiée.
Veuillez vous connecter afin de laisser un commentaire.
Aucun commentaire trouvé