Au Québec et au Canada, le référendum est trop souvent perçu comme un exercice menant à la division et à l'affrontement. Notre imaginaire collectif a d'ailleurs tendance à réduire l'usage du référendum à un contentieux national. En effet, entre 1980 et 1995, le Québec a connu trois référendums qui portaient essentiellement sur la souveraineté ou encore sur des revendications constitutionnelles (souveraineté-association 1980; Charlottetown 1992; souveraineté-partenariat 1995).
Les divisions référendaires ne datent cependant pas d'hier; la simple évocation du référendum portant sur la conscription en 1942 illustre bien cette idée que le plébiscite, au Canada et au Québec, est un exercice historiquement périlleux qui met en lumière la dualité canadienne. Voilà pourquoi les Québécois voient aujourd'hui toute démarche référendaire comme la source d'un psychodrame qu'il faut à tout prix éviter.
Pourtant, le référendum est régulièrement pratiqué dans d'autres pays, ainsi que dans plusieurs États américains, sans être nécessairement un événement qui mène à une fracture nationale. Bien sûr, consulter les citoyens sur une question précise et leur demander d'y répondre par un oui ou un non incite à l'opposition et à la confrontation.
Néanmoins, cet affrontement est souvent vu ailleurs comme un moteur indispensable à la démocratie participative, plutôt qu'un exercice dont il faut s'abstenir. En ce sens, la récente proposition de Michael Fortier, même si elle se limite encore au débat national et repose sur des bases pour le moins discutables, a au moins le mérite de réactiver la notion de référendum.
Référendum d'initiative populaire et référendum consultatif
En général, on peut distinguer deux grandes formes de référendum. La première, le référendum d'initiative populaire, est pratiquée le plus souvent dans les démocraties dites semi-directes. Dans ces démocraties, les citoyens peuvent eux-mêmes initier un référendum et contraindre le gouvernement et le parlement à adopter des mesures législatives en accord avec le résultat du plébiscite.
La deuxième forme, le référendum consultatif, n'oblige nullement le gouvernement à tenir compte du résultat référendaire. Le référendum, en ces circonstances, n'a qu'une valeur morale et il appartient, en bout de piste, au gouvernement d'en interpréter le résultat.
Dans la tradition parlementaire britannique, les référendums ne peuvent être que consultatifs en raison du principe de la souveraineté du parlement, principe qui fait de la chambre législative l'unique détenteur de la souveraineté populaire. Impossible donc pour les citoyens d'initier eux-mêmes un référendum dans lequel le gouvernement aurait l'obligation d'entériner la volonté populaire.
En fin d'analyse, que le référendum soit d'initiative populaire ou simplement consultatif, il demeure un des instruments les plus démocratiques pour consulter l'ensemble de la population sur des enjeux jugés essentiels pour l'avenir d'une société. En cette période où le taux de participation aux élections et l'engagement citoyen a rarement été aussi faible, l'utilisation plus fréquente du référendum pourrait s'avérer un instrument, parmi d'autres, pour combattre le cynisme et valoriser le rôle des électeurs.
Une démarche suspecte?
En fait, depuis 1980, toute démarche référendaire au Québec est vue comme suspecte. Les fédéralistes perçoivent le référendum comme un instrument servant à légitimer l'accession du Québec à l'indépendance ou encore comme une stratégie provoquant des divisions susceptibles de mener à une crise nationale, crise, on s'en doute, favorable au mouvement indépendantiste. À leurs yeux, organiser un référendum c'est tomber dans le piège des souverainistes, ce qu'il faut non seulement éviter mais combattre.
Chez les souverainistes, le référendum aussi est suspect puisque organiser un référendum, c'est risquer de perdre la bataille et de nuire à la cause «nationale». On ne peut donc initier un référendum que si les conditions sont gagnantes ou encore s'il s'inscrit dans une stratégie servant à entretenir la flamme en attendant l'hypothétique Grand soir. En outre, pour bon nombre de souverainistes, le référendum est encore perçu comme une astuce «étapiste» vouée à l'échec et qui sert la cause fédéraliste. Bref, le référendum a ici une connotation stratégique qui est habilement utilisée afin d'en limiter la valeur ou d'en bloquer l'exercice.
Sortir de la question nationale et réhabiliter le référendum
Plutôt que de voir le référendum sous le spectre de la question nationale, il faut au contraire le sortir de cette logique improductive. Organiser un plébiscite, c'est d'abord et avant tout favoriser la démocratie participative en intégrant les citoyens au processus décisionnel. Réhabiliter le référendum c'est surtout remettre le Canada et le Québec au diapason des autres démocraties occidentales, comme aux États-Unis, en France ou en Suisse. Même le Royaume-Uni s'apprête à tenir un référendum sur son mode de scrutin et le gouvernement de David Cameron laisse pourtant entendre qu'il militera en faveur du non. Est-il possible d'imaginer un seul instant une telle situation se produire au Québec?
Sortir le référendum de la question nationale, c'est aussi donner une plus grande marge de manoeuvre au gouvernement en lui donnant un instrument de plus pour consulter ses citoyens. Comment ne pas voir là une façon simple et efficace de laisser la population arbitrer elle-même les enjeux de demain, comme l'exploitation des gaz de schiste ou le développement minier dans le nord du Québec?
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Antonin-Xavier Fournier, professeur de sciences politiques
Cégep de Sherbrooke
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