La défense de la nation et la souveraineté

Défis modernes

Notes pour une conférence aux Intellectuels pour la Souveraineté, 7 février 2011

Le destin québécois

Introduction
Récemment, un sondage nous indiquait que les jeunes chez nous sont plus québécois que canadiens, et ce, dans des proportions importantes.
En même temps, il semble dans l’air du temps de s’intéresser davantage aux grandes questions internationales qu’aux enjeux nationaux.
Quelles conclusions peut-on tirer de ces deux informations semblant contradictoires ? Nous y reviendrons.
Les fondements de base de l’indépendantisme
Si l’indépendantisme a pu un jour exister, c’est qu’il s’appuyait et se basait sur quelque chose d’immuable et de fondamentalement naturel : le nationalisme. L’amour du Québec, la fierté et l’envie que ce peuple puisse prendre réellement sa place et puisse s’épanouir à sa juste valeur dépasse tous les débats entre la gauche et la droite ou les conflits entre les classes sociales.
En 1995, notre coalition était impressionnante. Jacques Parizeau, Lucien Bouchard et Mario Dumont incarnaient tous les trois des tendances importantes dans la population québécoise. Ils représentaient des courants avec des assises bien réelles.
C’était une équipe de rêve.
En 1990, le père du chef du Bloc Québécois, le grand comédien Jean Duceppe, affirmait, dans un des plus beaux discours jamais prononcés en faveur de l’indépendance, que le Québec était notre seul pays, un constat que semblent partager une majorité de jeunes québécois qui, lorsqu’ils ne sont pas uniquement québécois, le sont avant d’être canadiens. M. Duceppe père ajouta également que l’avenir du Québec ne se déciderait plus jamais qu’au Québec, par les québécoises et par les québécois.

Voila pour moi un message puissant qui sait toucher le cœur et relève du nationalisme dans ce qu’il a de plus beau.
Nous ne détestons pas le Canada. Il n’est tout simplement pas notre pays.
Le Canada irréformable
Lorsqu’il prononça ce discours, l’Accord du Lac Meech venait d’échouer à peine trois jours plus tôt. Vingt ans plus tard, nous n’avons pas bougé d’un iota.
Le Québec n’a aucunement progressé, bien au contraire. Nous enregistrons une série d’échecs et de reculs. Et le Canada n’est aucunement plus réformable qu’à l’époque. Dans les années suivantes, nous avons été submergés par la marée rouge : par la propagande massive des commandites et des Minutes du Patrimoine, par l’omniprésence de l’unifolié et par la confiscation de notre démocratie avec l’ignoble loi C-20 sur la soi-disant clarté référendaire.
Nous ne vivons pas sous un système d’oppression, contrairement à la réalité qui prévalait dans les années 1960 lorsque le mouvement indépendantiste a pris son envol. Cependant, nous vivons sous un système de domination, où une nation contrôle un État, avec ses institutions, ses outils juridiques et ses fonctions régaliennes. Un État dont la Constitution n’a jamais été signée par aucun gouvernement du Québec légitimement sorti des urnes, mais dont les principes s’appliquent et s’imposent grâce à la toute puissante Cour suprême du Canada, qui, comme la Tour de Pise, penche toujours du même bord, pour reprendre cette citation de Maurice Duplessis.
Pour le Canada, nous ne serons jamais plus qu’une quantité négligeable. Peu importe le gouvernement qui sera au pouvoir, le régime en lui-même nous contraint à une minorisation et une folklorisation qui ira toujours au augmentant.
Il n’y a qu’à observer le récent projet de loi conservateur visant à réaménager la Chambre des Communes en réduisant notre poids démocratique. Les évolutions démographiques ne sont pas inversables : même une nouvelle revanche des berceaux serait insuffisante. Quand nous étions plus nombreux que les canadiens-anglais, nous avions droit à une représentation égale.
Quand nous sommes devenus moins nombreux, nous avons eu droit à une représentation proportionnelle.
Seule l’indépendance peut nous permettre d’être une majorité dans notre pays.
Être une minorité, ça signifie que nous n’avons rien ou très peu à dire en ce qui concerne les relations internationales hors-francophonie, la défense, la monnaie, les taux d’intérêts, les banques, les autochtones, les accords commerciaux, etc. La liste est longue. Et bien évidemment nous n’avons rien à dire sur l’utilisation de la moitié des impôts que nous payons. Certains disent que la solution serait de cesser d’élire des députés du Bloc et d’envoyer des québécois membres d’un parti pouvant former le gouvernement, de voter pour le pouvoir. Disons que le souvenir de 74 députés du Québec à Ottawa qui votèrent en faveur du rapatriement unilatéral de la Constitution de 1982 nous laisse le droit de dire « non merci »…
La souveraineté nationale à l’heure de la mondialisation
On entend souvent que les questions internationales sont plus importantes que les enjeux nationaux. On entend aussi que l’indépendance signifierait aller à contre courant de l’évolution du monde qui, lui, se fédère. L’ère serait aux grands ensembles parce que l’union fait la force… Tout d’abord plusieurs pays sont apparus dans cette ère dite de mondialisation, et ces grands ensembles étaient à la base négociés entre peuples libres. Voici deux réponses possibles.
Mais nous pouvons aller encore plus loin :
Nous sommes en droit de craindre les structures supranationales. On nous donne souvent l’Union Européenne comme exemple. Ce qui devait au départ être un accord commercial sur le charbon et l’acier a désormais son armée, son parlement, ses politiques économiques et jusqu’à un certain point des frontières communes. Dans les dernières années, l’Union Européenne a imposé sa constitution à des peuples qui l’avaient rejetée par référendum, tout comme elle a imposé la privatisation des postes à l’ensemble de ses pays membres, pour ne citer que ces deux exemples révélateurs. L’ère est au libéralisme le plus total, et les États nations perdent le contrôle de leurs frontières. Maintenant, au nom de la « libre circulation des biens, des capitaux et des personnes », ils doivent assister aux délocalisations et au dumping social en tant que spectateurs.
L’Union Européenne est le Canada de demain.
Ce n’est pas parce que la mondialisation et son imposition par des instances mondiales semble offrir des perspectives rayonnantes –et elle est effectivement à l’origine de nombreux progrès et d’un développement économique dont plusieurs populations avaient besoin- qu’elle n’est pas en train de s’essouffler dans sa forme actuelle.
Au contraire, on sent plusieurs craquements de partout. La mondialisation est souvent accompagnée de l’idéologie multiculturaliste. Le Canada a été le premier laboratoire de cette idéologie qui ghettoïse les communautés, criminalise les identités nationales et nous minorise encore davantage (comme si on en avait besoin). En Allemagne, récemment, Angela Merkel affirmait d’ailleurs qu’il s’agissait d’un échec flagrant. En France, il est très certainement à l’origine de l’insécurité et de la violence, ce qui ne manque pas d’être récupéré politiquement par des gens peu recommandables d’ailleurs. Ce modèle doit être jeté aux poubelles. Il faut en sortir. Le monde entier le remet en question. Si l’indépendance ne garantit pas que nous en sortirons, elle nous en donne les moyens, très clairement.
La nation au XXIème siècle
Ma critique de la mondialisation et de la libéralisation du monde, que certains professaient comme étant la fin de l’Histoire, ne doit pas être interprétée comme une opposition à l’économie de marché, à l’ouverture à l’autre, à une certaine interdépendance et au resserrement des liens qui unissent les états du monde. Le Québec, sous l’impulsion notamment de Jacques Parizeau et de Bernard Landry, est un des responsables de l’Accord de libre-échange, qui, dans son ensemble, a été une expérience positive et nous a permis de s’ouvrir économiquement au monde entier et de sortir du cadre trop étroit du simple marché canadien.
Mais la libéralisation mondiale amène un défi.
Ce défi, c’est la défense de ce que nous avons de plus beau : la nation.
La nation comme expérience historique.
La nation comme communauté de passé et de destins, avec sa culture de convergence à laquelle tous les nouveaux arrivants sont invités à adhérer et à enrichir.
La nation comme patrimoine unique, comme trésor que nous devons protéger et transmettre en héritage à nos enfants.
La nation est aujourd’hui la seule structure nous permettant de protéger nos acquis sociaux et économiques.
La nation peut être parfaitement aménagée dans le cadre de la démocratie libérale.
En cette seconde décennie d’un siècle et d’un millénaire encore jeunes, la défense de la nation est l’enjeu le plus actuel et le plus durable de tous.
Elle est la principale idée moderne, et la souveraineté est aussi essentielle à la nation qu’un moteur est nécessaire à un véhicule. Nous devons impérativement réhabiliter le concept d’État nation.
Bien évidemment, comme je le disais plus tôt, l’indépendance ne garantit pas que nous fassions les bons choix pour la protection de notre identité nationale (l’indépendance, c’est aussi pouvoir se tromper).
Cependant, sortir le Canada du Québec sera déjà un immense bond en avant sur le plan identitaire.
Constituant un moment inaugural, l’indépendance pourrait donc, de par sa force symbolique, unir les québécois et les rendre dignes et fiers.
Nous serions donc en dehors du système canadien et de son multiculturalisme, et en mesure de voter des lois défendant notre langue et notre culture nationale sans craindre les attaques de la Cour suprême.

Nous serions responsables de nous-mêmes, et ne pourrions plus toujours renvoyer la balle dans le camp d’Ottawa non plus. Nous développerions une identité beaucoup plus mature grâce à la construction de notre personnalité internationale : avec consulats et ambassades à l’étranger, avec des sièges dans les organismes internationaux où se décide de plus en plus l’avenir du monde, avec des politiques commerciales adaptées à nos capacités, avec des accords et des relations avec les autres nations.

En somme, le pays réel québécois existe déjà : il faut maintenant le parachever. Et le monde est un des cadres fondamentaux de ce parachèvement. La personnalité internationale et une identité nationale complète sont intimement liées.
Évidemment, nous apprenons tous à force de commettre des erreurs. La liberté s’apprend. Mais ce mot là, liberté, nous semblons en avoir peur. La Charte des droits et libertés de Trudeau a sacralisé la liberté individuelle aux dépens de la liberté collective.
La liberté, un concept toujours d’actualité
La liberté est la raison permanente de notre combat pour l’indépendance. On constate que peu importe l’époque et les évolutions, peu importe les enjeux conjoncturels et les aléas de l’actualité, les raisons fondamentales en faveur de l’indépendance sont toujours les mêmes.
Il serait peut-être temps de réhabiliter le concept de liberté lorsque l’on parle de notre pays. Le dernier à l’avoir fait n’était même pas un québécois –je n’ose pas dire un étranger car la France est notre mère patrie et nous devons conserver des liens privilégiés avec elle. Il s’agit du Général De Gaulle. Dans ce fameux discours de 1967, il nous a dit qu’il était impressionné par la fébrilité qu’il ressentait partout où il allait, et qu’il était étonné de constater à quel point nous nous développions à vitesse grand V.
C’était l’effervescence d’une Révolution-pas-si-Tranquille.
L’indépendance comme point d’aboutissement de notre histoire
Le moment est venu de remettre le Québec en mouvement. L’indépendance est nécessaire au redressement national dont nous avons tant besoin.
L’indépendance est l’aboutissement de toute notre histoire. La Conquête a été la rupture et le détournement de notre destin. Par la suite, nous avons survécu grâce à nous et à nous seuls. Puis, nous avons décidé de nous affirmer, par nous-mêmes et pour nous-mêmes. Maintenant, nous avons atteint le maximum que notre statut actuel nous permet d’atteindre. Nous avons arraché le maximum de concessions de la part d’un État qui veut nous provincialiser davantage. La province de Québec ne peut pas se développer plus. Nous touchons le plafond. Il est maintenant temps de faire sauter ce plafond. Le ciel sera la seule limite.
Il s’agit là d’un projet qui fait rêver : devenir normal.
Simon-Pierre Savard-Tremblay, Président du Forum Jeunesse du Bloc Québécois

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Simon-Pierre Savard-Tremblay est sociologue de formation et enseigne dans cette discipline à l'Université Laval. Blogueur au Journal de Montréal et chroniqueur au journal La Vie agricole, à Radio VM et à CIBL, il est aussi président de Génération nationale, un organisme de réflexion sur l'État-nation. Il est l'auteur de Le souverainisme de province (Boréal, 2014) et de L'État succursale. La démission politique du Québec (VLB Éditeur, 2016).





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3 commentaires

  • Archives de Vigile Répondre

    26 février 2011

    Il est bien vrai que « la valeur n'attend pas le nombre des années ».

  • Georges Le Gal Répondre

    26 février 2011

    Très bon et beau texte!
    Vive la jeunesse qui prend la relève!

  • Jean-François-le-Québécois Répondre

    16 février 2011

    «En même temps, il semble dans l’air du temps de s’intéresser davantage aux grandes questions internationales qu’aux enjeux nationaux...»
    Là encore, c'est qu'on nous sert et resert un classique de la propagande fédéraliste, nous disant qu'en cette ère de mondialisation (depuis plus de 10 ans, comme si c'était tout nouveau), il est totalement dépassé, de parler d'un Québec indépendant...
    Or, ce qui se passe au niveau international, influence la forme que doit prendre le combat pour la souveraineté. Et en ce qui concerne les «enjeux internationaux», pour que le peuple québécois aie justement voix au chapitre, il faut qu'il ait son propre pays, et sa propre voix aux Nations Unies. Autrement, ce sera le très étranger Canada multiculturel, qui parlera pour la nation québécoise.
    Je crains que ceux qui n'ont toujours pas compris ça, soient malheureusement ce que Lénine appelait, des «imbéciles utiles».