Débat à la chinoise

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Certains répondent au chant des sirènes, d'autres à celui des urnes

Après l’expulsion de Maria Mourani et le noyautage du Conseil du statut de la femme, il faudrait maintenant que les candidats à la mairie de Montréal opposés au projet de Charte des valeurs québécoises s’autocensurent.

Le ministre des Relations internationales et responsable de la métropole, Jean-François Lisée, dirigera une mission multisectorielle en Chine la semaine prochaine, mais il semble déjà séduit par le modèle démocratique chinois, très ouvert à la diversité des opinions, comme chacun sait. À vouloir mettre son grain de sel partout, on finit par dire des bêtises. Encore une fois, M. Lisée a manqué une belle occasion de se taire.

Un argument d’autorité est encore moins convaincant quand on l’invoque hors contexte. Il est vrai que le maire Drapeau s’était tenu à l’écart du débat sur la loi 101 en 1977, mais il est inexact de dire qu’il se trouvait « dans une situation similaire » à celles des candidats à la mairie. S’il avait été en pleine campagne électorale, pensez-vous qu’il aurait pu éviter le sujet qui déchirait sa ville ? Allons donc ! Il aurait crié à la « mesquinerie » et aux « règlements de comptes historiques », comme il l’a fait par la suite.

Dans l’état actuel du projet, les municipalités bénéficieraient d’un droit de retrait qui leur permettrait de se soustraire aux dispositions de la Charte relatives au port de signes religieux. Le moins qu’on est en droit d’attendre des candidats à la mairie est qu’ils disent s’ils s’en prévaudraient ou non, même s’il est un peu prématuré d’envisager un recours aux tribunaux sans avoir vu le projet de loi.

Il est franchement absurde de dire qu’ils devraient s’abstenir d’intervenir dans le débat sous prétexte qu’il s’agit d’une responsabilité qui relève du gouvernement du Québec. À ce compte, un maire ne devrait jamais commenter un projet de loi présenté à l’Assemblée nationale ou à la Chambre des communes.

On peut comprendre que M. Lisée ne tienne pas à ce que la politique identitaire de son gouvernement soit associée à l’éditeur Michel Brûlé, qui est le seul candidat à avoir appuyé publiquement le projet de Charte, mais il devrait surtout se demander pourquoi tous ceux à qui pourrait réalistement incomber la responsabilité d’administrer la métropole, et d’y assurer le maintien de la paix sociale, s’y opposent.

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En présentant cette semaine un projet de loi qui se veut une tentative de compromis, Françoise David a fait valoir qu’il s’agissait d’une question trop complexe et délicate pour être débattue dans le cadre d’une campagne électorale, avec les inévitables raccourcis qu’elle occasionne et les risques de dérapage que cela entraîne.

Les résultats du dernier sondage Léger Marketing-Le Devoir ne rassureront pas ceux qui craignent un déclenchement hâtif. Avec un retard de seulement 2 points sur les libéraux et une avance de 15 points chez les francophones, le PQ n’est pas encore en territoire majoritaire, mais une bonne campagne pourrait l’y conduire, d’autant plus que ses deux principaux adversaires semblent en panne. Dans un contexte multipartite, un taux d’insatisfaction de 53 % chez les francophones ne constitue pas un obstacle insurmontable.

Loin de s’effriter, l’appui à la Charte semble même se raffermir. Non seulement 81 % des électeurs péquistes, mais aussi 50 % des caquistes l’approuvent. Paradoxalement, l’interdiction du port de signes religieux dans l’ensemble du secteur public et parapublic, qui est au coeur du débat, reçoit un appui plus large que le projet dans son ensemble. Rien pour inciter au compromis. Au contraire, la Charte apparaît comme un thème nettement plus porteur que l’économie. À cet égard, seulement 5 % des personnes pensent que la situation s’est améliorée depuis un an, alors que 41 % croient plutôt à une détérioration.

Si les élections ont lieu d’ici Noël, le débat portera donc sur la version dure de la Charte. Il n’est pas question d’amorcer un recul dans le projet de loi qui sera présenté cet automne. Un éventuel compromis avec la CAQ n’est envisageable qu’au printemps, à l’occasion de son examen en commission parlementaire.

Pour l’heure, le droit de retrait renouvelable aux cinq ans qu’on voulait octroyer aux municipalités, hôpitaux, cégeps et universités sera remplacé par une simple période de transition. Il est impensable de laisser s’installer deux régimes de droit en matière de port de signe religieux, mais l’interdire à la communauté juive dans ses propres institutions répugne à plusieurs.

Le gouvernement n’acceptera pas de s’en tenir aux recommandations de la commission Bouchard-Taylor, comme le propose Québec solidaire, mais il pourrait ultimement limiter l’interdiction à la fonction publique, aux enseignants et aux garderies, si la CAQ est disposée à l’étendre à ces dernières. Tout cela exigerait cependant du temps et il risque fort de manquer.


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