De Richler à VLB

Appelez ça de la rectitude politique si vous voulez, mais les mots se chargent de nouvelles valeurs avec les années

La reine-nègre canadian, parvenue "hot", a gagné à la "petite loterie" en consentant à se laisser manipuler comme arme idéologique par un fédéralisme canadian antiquébécois qui vise maintenant à nous canadienfranciser, mot dépassé... Qu'elle en paie le prix!!!


Il ne manquait plus que ça pour faire d’un pamphlet de VLB une « affaire » en bonne et due forme : un appel solennel d’un politicien à limiter la liberté d’expression pour « interdire les critiques blessantes ».

C’est un député d’origine haïtienne, Emmanuel Dubourg, qui a fait cette demande hier en s’adressant aux journalistes, outré par les propos de l’écrivain de Trois-Pistoles au sujet de Michaëlle Jean.
« Je vais voir s’il y a un vide juridique quelque part », a-t-il déclaré hier. Les députés outrés ont souvent horreur du vide juridique. À tout problème correspond un vide. Il suffit de le remplir par une loi ou un règlement, et hop, le tour est joué.
Venant d’un député de l’Assemblée nationale, endroit de cris et d’émois pas toujours exemplaires, l’idée d’interdire les critiques blessantes relève de la «grotesquerie» – pour parodier VLB.
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La controverse rappelle celle que déclenchait naguère la parution de chaque nouveau pamphlet de Mordecai Richler sur le Québec. VLB a tort quand il dit qu’une critique équivalente à la sienne à l’endroit d’un « Québécois de souche » ne susciterait « jamais autant de réactions ».
Il a oublié la députée Pierrette Venne, du Bloc québécois, en 1992. Avec un de ses collègues, elle avait brandi un recueil d’essais de Richler à la Chambre des communes en réclamant des accusations criminelles contre son auteur.
Propagande haineuse, disaient-ils : il fallait, à défaut de le brûler, interdire l’ouvrage.
Lucien Bouchard les avait calmés en leur rappelant les vertus de la liberté d’expression, qui ne va malheureusement pas sans désagréments.
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Le député Dubourg n’ira pas plus loin avec son vide juridique que la députée Venne avec son réquisitoire pour la censure et la criminalisation de l’insulte nationale. Mais le parallèle entre les deux « affaires » ne s’arrête pas là.
Richler avait un statut littéraire immense dans le monde anglo-saxon, comme VLB en a un au Québec. L’un et l’autre ont décidé de prendre part, parallèlement à leur œuvre littéraire, au débat politique. Les deux sont des pamphlétaires qui ne se soucient pas de savoir si leurs pamphlets comportent des « critiques blessantes » – sans quoi le pamphlet n’existerait pas.
Richler, qui a assisté à la montée du nationalisme québécois, en a fait une caricature injuste, le décrivant comme essentiellement xénophobe et réactionnaire. Comme il avait une audience internationale, entre autres à New York et à Londres, il a nui considérablement à l’image du Québec. Mais il n’y a pas de loi – et tant mieux – contre les pamphlets.
Richler avait vu le quartier juif de son enfance se transformer radicalement en même temps que le nationalisme s’affirmait au Québec. Esprit brillant, drôle, anticonformiste, moderne dans son œuvre, il n’a jamais su s’adapter à la nouvelle réalité du Québec et a passé sa vie de pamphlétaire à ruminer les mêmes marottes, du chanoine Groulx aux lois linguistiques.
VLB, il suffit pour s’en convaincre de lire La grande tribu, est un écrivain profondément original et bigarré. Mais dans le débat public, il paraît lui aussi crampé dans un arrière-pays dépassé par les événements. Je ne parle pas de la souveraineté, mais de son rapport à la réalité sociale actuelle. Comme crier au scandale quand la chef du PQ parle de bilinguisme. Ou parler de reine-nègre, sans se soucier (ou en faisant mine de ne pas se soucier) des réactions de la communauté haïtienne.
Bien sûr, l’expression n’est pas raciste : elle fait référence aux hommes de paille des pays africains installés par les pays colonisateurs pour protéger leurs intérêts. Il y a 50 ans, dans Le Devoir, André Laurendeau traitait Maurice Duplessis de roi nègre. Pierre Elliott Trudeau a repris l’expression au sujet de Duplessis… avant que René Lévesque ne traite Trudeau de roi nègre.
Sauf qu’on n’est plus en 1958. On n’est plus non plus au temps où le mouvement souverainiste était inspiré très fortement par les intellectuels de la décolonisation. Ce qui était un terme anticolonial est, ici et maintenant, perçu comme une insulte par des milliers de personnes. Appelez ça de la rectitude politique si vous voulez, mais les mots se chargent de nouvelles valeurs avec les années. Ne pas le reconnaître, c’est cultiver le malentendu. Le mépris, éventuellement. Il arrive que les pamphlétaires fassent ce choix.
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Il est vrai que Michaëlle Jean s’est donné un rôle politique qui ne devrait pas être le sien et qui lui attire naturellement des critiques – à Toronto aussi, au fait. Mais au-delà du débat sur le rôle du gouverneur général, ceux qui l’attaquent auraient tort de réduire à la fonction protocolaire l’admiration que lui portent des milliers de personnes, et pas seulement des Haïtiens.
Ce n’était peut-être pas son rôle, mais on n’avait pas vu la scène souvent, quand, en France, elle est allée dire « Moi, arrière-arrière-petite-fille d’esclave, je suis venue saluer la mémoire de millions d’Africaines et d’Africains », victimes d’«un des crimes les plus barbares contre le genre humain ».
Gilles Duceppe, qui a pris ses distances publiquement de VLB, semble l’avoir saisi. Comme il a très bien saisi, la semaine dernière, où loge l’avenir du Québec, et de quel côté camper le mouvement souverainiste, quand le rapport Bouchard-Taylor a été publié : surtout pas celui des ruminations identitaires.
Il n’y a pas qu’à Michaëlle Jean qu’on reprochera d’avoir choisi Ottawa...


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