De poésie et de politique

Qu’est-ce qu’une élection ? Une mise en scène de projets de société pour faire du monde réel une réalité autre, plus belle, plus vive, plus réconfortante et de laquelle nous serons fiers, fiers au moment de la quitter et de la léguer à d’autres.

Élection Québec 2012 - analyses et sondages


En ce 1er août 2012, jour du déclenchement des élections québécoises, j’écoutais Françoise David expliquer avec lyrisme et une poétique toute rattachée à la terre du Québec comment le peuple a décidé de se tenir debout (comme une « terre de bois debout ») pour renverser l’absolu du monde capitaliste et lui opposer l’avènement d’un monde nouveau, tout aussi absolu, bâti sur la justice sociale.

Je passe ici sous silence l’évidence du thème marxiste-léniniste, auquel madame David n’est pas étrangère, pour me pencher sur l’alliance (provisoire ?) de la politique et de la poésie à la lumière d’une partie de l’œuvre de Milan Kundera (notamment, La vie est ailleurs).

Ce type de discours lyrique, bref et linéaire n’est pas nouveau. Qu’on pense à la campagne de Jean Lesage en 1960 et en 1962, celle du PQ en 1976 et, dans une moindre mesure, en 1994, sans oublier le préambule de la Déclaration d’indépendance (avortée) de 1995 ; chaque parti qui se sent bondir vers l’avant sur le tremplin du changement a éprouvé le besoin de s’associer ou même de se confondre avec un changement radical, une nouveauté absolue, un moment charnière où désormais le monde ne serait plus jamais celui que nous avons connu. Les thèmes varient (le butin québécois, maîtres chez nous, le pays, la justice), mais chaque fois, la politique s’allie à la poésie pour faire plonger le peuple dans une réalité parallèle, un songe, dirait Milan Kundera, où tout le monde porte un masque.

Un peu d’innocence
Au fond, qu’est-ce que la politique vient chercher dans la poésie ? Qu’est-ce que la poésie ? L’innocence, l’authenticité, le sentiment, celui de l’absolu éternel et indépassable, le doux sentiment de l’unité et de l’accomplissement, l’idéal à réaliser, qu’on l’appelle le nirvana, le paradis (rouge, bleu, vert), la fin de l’histoire ou le meilleur des mondes.

La politique poétique cherche à réécrire l’histoire, à écrire une histoire, à laquelle la majorité adhérera… ou pas. Quel souverainiste n’a pas rêvé aux lendemains qui chantent de l’accession du Québec à son indépendance politique, en 1995 ? Quel étudiant n’a pas rêvé du monde meilleur (« soyez réalistes, exigez l’impossible ») sur les barricades de Mai 1968 et dans les rues de Montréal, en 2012 ?

C’est peut-être parce que le monde est si vide d’absolu et de sécurité réconfortante et, d’autre part, si plein d’incertitudes que nous cherchons, « we the people », ce visage rassurant de l’espoir chez nos dirigeants, que nous voulons croire malgré tout qu’un autre monde est possible.

Qu’est-ce qu’une élection ? Une mise en scène de projets de société pour faire du monde réel une réalité autre, plus belle, plus vive, plus réconfortante et de laquelle nous serons fiers, fiers au moment de la quitter et de la léguer à d’autres. D’où les déceptions des lendemains qui ne chantent pas, d’où le cynisme face aux promesses non tenues (car non tenables, pour la plupart… « exigez l’impossible »), au chômage qui persiste, aux famines à répétition de l’Afrique, à la misère de la Palestine…

Et pourtant… pourtant, il faut bien vivre, il faut bien faire quelque chose, on ne peut pas rester assis à ne rien faire. Le sang bout dans nos veines, celui de la révolte, de l’indignation devant tant d’injustice et d’abus. Le bilan des dix dernières années ne saurait, pense-t-on, être pire. La politique n’est-elle pas un moyen d’échapper à la fatalité de la condition humaine ?

Poésie, théâtre, politique, soit ! Reprenons les masques, celui du citoyen, de l’administrateur, de l’entrepreneur, de l’étudiant, du candidat, et entrons de plein gré, comme on prend un risque conscient, dans ce théâtre des réalités parallèles duquel il ne sortira pas le monde meilleur qu’on nous promet, mais qui nous aura permis — le temps d’une élection, le temps d’une manifestation — de poser une simple brique dans l’édifice de notre histoire collective.

Et, conclurait Kundera, de rire un bon coup des limites humaines, trop humaines, de la politique.
***
Luc Côté - Professeur de sciences politiques, collège Gérald-Godin, cégeps de Saint-Laurent et de Sainte-Foy


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