En aparté

De la tête au cul

Le vrai fasciste porte désormais un beau costume de ville. Il roule dans de rutilantes voitures. Il se trouve accueilli partout. Et il a le plus souvent bonne presse.

Crise sociale - printemps 2012 - comprendre la crise


Si une révolte est compréhensible, il n’est pas dit pour autant que les gestes qui la matérialisent le sont forcément eux aussi. La révolte juste s’abreuve parfois à des sources empoisonnées.
Ainsi en est-il du salut fasciste. Certains manifestants l’ont fait au cours des dernières semaines. Ils l’ont fait devant des policiers pour dénoncer les abus de pouvoir du gouvernement libéral, comme s’ils lui présentaient de la sorte un miroir.
Bien sûr, il y a le mensonge, la manipulation, la corruption, le pillage des ressources naturelles, la régression sociale, l’avidité de pouvoir, le mépris et le manque d’humanité qu’exprime à répétition ce gouvernement en un concentré quasi quotidien de mauvaise foi crasse. Mais tout cela ne suffit pas pour qualifier un gouvernement d’hitlérien. Même sous le couvert de la dérision.
Dans un beau recueil de ses articles intitulé Écrits corsaires, le cinéaste Pier Paolo Pasolini montrait à quel point le terme « fasciste » en est tristement venu à être utilisé comme une simple insulte politique.
Les dérives du langage ont dépossédé peu à peu le mot « fasciste » de son sens profond. Est fasciste désormais, par un effet de corruption du langage, quiconque affirme des positions de droite plus ou moins fortement appuyées. Au point de faire perdre à ce mot l’horizon hautement corrosif forgé par l’expérience tragique de la Seconde Guerre mondiale.
Dans la même veine, on trouve ces jours-ci dans certains tabloïds des chroniqueurs qui n’hésitent pas à associer la gauche sociale québécoise à des monstres gorgés de sang. Staline, Mao, Pol Pot. La totale, quoi.
La démesure empêche-t-elle désormais de voir tous ceux qui font le signe de la paix, le « V » de la victoire, ces gens qui avancent par milliers au nom de leur foi en un monde meilleur ? Ce vaste segment de la population a reçu plus que sa part de coups de matraque lors des nombreuses manifestations du printemps. Est-ce normal de voir ainsi un État se dresser en armes devant une population qui demande à ce qu’on réfléchisse mieux au futur ? L’avenir est-il devenu une simple botte piétinant un visage au nom du bon droit d’élections promises tous les quatre ans ?
Protéger la civilité et le bon sens ne doit pas pousser une population entière à avaler toutes les couleuvres et les interprétations douteuses qui jaillissent ces jours-ci par douzaine. Faire le salut nazi par dérision ne fait pas de vous un nazi. Chanter son dégoût pour un système politique au soir du solstice d’été ne fait pas de vous un assassin. Une caricature d’un tableau d’Eugène Delacroix reste une caricature. Une souris n’est pas un éléphant. Qu’elle soit de gauche ou de droite.

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Tout le monde me parle ces jours-ci de George Orwell, de la novlangue, des déperditions de sens qu’il annonçait et dénonçait. « C’est comme dans 1984 ! », me répète-t-on.
1984 ? Regardez aussi la colère généreuse de l’homme ordinaire qu’Orwell exprime ailleurs dans son oeuvre, par exemple dans son Hommage à la Catalogne et dans ses Écrits politiques.
S’il ne faut pas baisser les yeux comme si rien n’était devant ceux qui lèvent le bras, il faut aussi relire Orwell, tout Orwell, afin d’apprendre à mieux relever la tête.
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Passolini soulignait, avec son style unique, cette extraordinaire capacité de nos sociétés à surréagir désormais devant les seules formes apparentes du fascisme. Le salut nazi vu dans une manifestation, par exemple.
Notre monde, disait-il, ne voit pas que le fascisme véritable ne porte plus aujourd’hui l’uniforme et ne claque plus les talons afin de saluer en levant le bras.
Le vrai fasciste porte désormais un beau costume de ville. Il roule dans de rutilantes voitures. Il se trouve accueilli partout. Et il a le plus souvent bonne presse.
Le grand patron de la Formule 1, Bernie Ecclestone, est accueilli à Montréal avec les grâces que l’on accorde à des princes, même s’il déclare ouvertement sa haine de la démocratie, son mépris pour la répartition de la richesse et son affection pour le régime d’Hitler, tout en exprimant par ailleurs très volontiers sa profonde misogynie. Les ministres des Finances Michael Fortier et Raymond Bachand acceptent pourtant de discuter avec lui, même lorsque ce monsieur qui ne veut pas payer d’impôt demande plusieurs millions en cadeau année après année.
Plus besoin de lever le bras lorsqu’on se fait ainsi baiser le cul.


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