par Rémi Guertin Ph.D.
Charles de Gaulle, Sarkozy et le Québec : une intuition
Ouverture
Le Journal de Québec du samedi 5 juillet [1] faisait mention d’une volonté du gouvernement Français de s’engager dans une nouvelle politique « clairement plus pro-canadienne » : la France serait sur le point d’abandonner sa traditionnelle position de « non-ingérence mais non-indifférence » (p.3). Cela permettrait au président Nicolas Sarkozy d’avancer « "une vision réflétant davantage son intérêt personnel pour le Canada tout entier" » (ibidem). En termes directs — et c’était le titre de l’article — « Sarkozy prendrait position contre la souveraineté » du Québec (ibidem).
Faut-il se surprendre de cette éventuelle prise de position ? Quelle interprétation accorder à ce qui a toutes les apparences d’un changement de cap de la part de la France ? Est-ce réellement une nouvelle attitude de la France envers le Québec, ou est-ce plutôt un « retour à la normale » après une parenthèse qui aurait été ouverte par le général de Gaulle ? Cet article est définitivement trop court pour prétendre soutenir un quelconque débat. Il est avant tout la formalisation d’une intuition : de Gaulle aurait utilisé le Québec pour s’adresser au Canada, engageant par le fait même la France et le Québec dans un mariage un peu forcé. Et le président Nicolas Sarkozy serait simplement sur le point de dissiper ce malaise hérité de la fin des années 1960.
Quelques faits...
Le 24 juillet 1967, du haut d’un balcon de l’Hôtel de Ville de Montréal, le Général de Gaulle lançait son célèbre « Vive le Québec... libre ». Le fait est connu, certes, mais à qui s’adressait le Général ? Au Québec ? Au Canada ? Dans la foulée de son discours montréalais, sauf erreur, le Général écourtait son séjour, annulant par le fait même ses rencontres avec ses homologues Canadiens.
Dans un article paru en 1987 [2], le journaliste Michel David faisait état d’un entretien qu’il avait eu avec l’ancien ministre Claude Morin. Ce dernier, au sujet de la déclaration du général, disait : « "Il savait que ça deviendrait une donnée de la politique française pour un bon bout de temps" » (B-1). De Gaulle — selon Claude Morin — aurait donc eu conscience qu’il engageait la France, le Québec et le Canada dans de nouvelles relations. En d’autres termes, sa célèbre déclaration, sans avoir été préparée dans sa forme, aurait été anticipée. Mais que cherchait-il à imposer « pour un bon bout de temps » ? Aussi, profitait-il d’un contexte particulier — celui de la Révolution tranquille — pour cimenter durablement cette nouvelle « donnée » de la politique française ?
Conrad Black, par l’entremise d’un article paru dans le journal Le Soleil en 1990, soulignait que de Gaulle aurait entretenu un « scepticisme envers le fédéralisme canadien » [3]. Il ajoutait « Ces expériences [ses relations avec le camp anglo-américain durant la Guerre] l’ont amené à mettre injustement le Canada dans le même sac que la Rhodésie, la Malaisie, Chypre et le Nigéria, comme tentatives de gouvernements fédéralistes vouées à l’échec (ibidem). C’est donc dire que le Général aurait eu un certain mépris envers le Canada, à tout le moins une faible opinion de son système fédéral. Un lien possible s’annoncerait donc entre sa déclaration de 1967 et son aversion vraisemblable du fédéralisme d’origine britannique.
L’intuition...
Ces quelques éléments suggèrent que le général de Gaulle aurait utilisé le Québec pour exprimer son mépris à l’égard du fédéralisme canadien. L’hypothèse, pour prendre une formule plus incisive, est que le « Vive le Québec... libre ! » ne nous aurait pas été adressé. De Gaulle se serait servi du Québec comme d’un levier géopolitique pour exprimer son mépris du système fédéral, et en la circonstance, celui du Canada. Il aurait d’ailleurs profité du fait que c’est le Québec qui l’invitait pour faire sa déclaration « à la gueule du Canada ». En d’autres circonstances, il n’aurait pas eu la marge de manœuvre nécessaire pour exprimer ses « sentiments ». Il y aurait donc eu un rapport de force à l’avantage du Général ; le Québec faisant entrer ce dernier au Canada en contournant quelque peu les prescriptions de la diplomatie. À ce sujet, Daniel Johnson se serait ainsi adressé au président de la République : « "Mon général, le Québec a besoin de vous. C’est maintenant au jamais" » [4]. Pour Jean Lacouture, Daniel Jonhson aurait su comment séduire un de Gaulle qu’il qualifie de « stratège de circonstances » (idem). Et puis, le Général trouvait le moyen d’arriver au Canada à bord d’un... croiseur (idem) ! Resterait maintenant à comprendre les motivations de Daniel Johnson pour avoir lancé cette invitation au Général. Johnson cherchait-il à se donner une marge de manœvre face à Ottawa ?
Tout le monde (ou presque !) aurait ainsi été leurré par la déclaration du général de Gaulle. Le Québec croyait que le discours de l’Hôtel de Ville lui était adressé, et d’autant plus qu’il aurait eu tendance (encore aujourd’hui ?) à idéaliser la France. Aussi, le Québec aurait bu d’autant plus facilement les paroles du Général que ce dernier lui disait ce qu’il désirait entendre. Pour leur part, les successeurs de Charles de Gaulle héritaient « pour un bon bout de temps » d’une nouvelle « donnée » infléchissant la diplomatie française à l’égard du Canada. La France était amenée à dialoguer avec une entité territoriale qui n’était pas un pays indépendant. De Gaulle engageaient la France et le Québec dans des relations diplomatiquement inhabituelles. Enfin, le Canada, dans toute cette affaire, n’aurait été que le « dindon de la farce » pour ainsi dire, ne faisant que jouer le rôle de celui dont on déteste le système fédéral.
Dans cette optique, la nouvelle position que le président Sarkozy serait sur le point d’endosser ne viserait qu’à désenclaver la France de cet héritage. La France est un pays qui traite, depuis toujours, d’égal à égal avec d’autres pays. Cela, le premier ministre français François Fillon l’aurait en quelque sorte rappelé dans un point de presse pour clarifier son usage du mot « nation » lors du coup d’envoi de fêtes du 400e : « ...je ne voulais naturellement pas porter atteinte à l’unité territoriale du Canada » [5].
Deux faits historiques qui suggèrent une indifférence de longue date
La session de la vallée du Saint-Laurent à l’Angleterre par la France en 1763 n’était pas vraiment le fait de la Bataille des Plaines d’Abraham. Ce conflit d’ailleurs, ne nous était pas adressé. Il ne s’agissait que d’un chapitre de plus dans un conflit qui opposait deux nations coloniales. C’est lors de pourparlers entre la France et l’Angleterre — ratifiés par le Traité de Paris de 1763 — que le sort de la vallée du Saint-Laurent fut scellé. La France se positionnait sur les Antilles plutôt que de conserver « quelques arpents de neige ». Pour retenir une image forcée, elle préférait la canne à sucre au sirop d’érable ! Il faut rappeler néanmoins que la Nouvelle-France avait été conquise par les armes et que les Antilles étaient des colonies « payantes » (Ritchot, 1999, 237).
Au début du XIXe siècle, la France et les États-Unis auraient utilisé le Québec pour maintenir l’Angleterre sous pression. « Le projet de conquête américaine de 1812-1814 fut relayé par un autre projet, fictif mais néanmoins agaçant, de reconquête par les Français. [...] Ce projet-substitut ne fut pas mis à exécution par les autorités de Paris et de Washington. Il aurait cependant inspiré l’astuce consistant à talonner les délégations coloniales de la métropole britannique » (idem, 306). Dans cette optique, cet auteur parle d’une « guerre des nerfs » (idem, 307). Ces deux exemples trop brefs — les négociations de 1763 et cette guerre des nerfs — suggèrent que le peu d’intérêt que la France entretiendrait envers le Québec ne daterait pas d’hier. Et le général de Gaulle n’aurait pas été le premier à utiliser le Québec à des fins géopolitiques.
Pour terminer...
Le Québec est peut-être bien plus seul et bien plus isolé qu’il veut bien le croire. Et l’histoire des relations France-Québec, au-delà des programmes qui en ont découlé (bourses, échanges, OFQJ, etc.), participerait peut-être d’un mythe permettant au Québec d’enfouir profondément cet isolement — engendré par une géographie qui le conditionne — et d’enfouir le fait qu’il est depuis longtemps utilisé par un ensemble d’acteurs qui poursuivent différents objectifs géopolitiques à ses dépens. Il faut à ce sujet consulter l’ouvrage Québec, forme d’établissement [6]. De son côté, la France, vraisemblablement, aurait toujours eu un intérêt plutôt limité pour le Québec. Récemment, un journaliste français de passage au Québec écrivait, au sujet de l’erreur de Paris Match (qui a confondu le Québec et la ville de Québec) : « C’est à se demander si l’arbre des clichés n’est pas celui qui cache une forêt d’indifférence » [7].
Ainsi, la nouvelle position annoncée de la France envers le Québec n’aurait rien de surprenant. Le président Nicolas Sarkozy ne ferait que dissiper le malaise mis en place par un de Gaulle qui utilisait le Québec pour exprimer son mépris à l’égard du fédéralisme. Le président Nicolas Sarkozy ne ferait alors qu’affirmer clairement la position diplomatique de la France à l’égard du Québec : indifférence envers le Québec et non-ingérence dans les affaires intérieures canadiennes. Pour sa part, le Québec aurait eu tendance à idéaliser les relations France-Québec dans la mesure où elles lui auraient permis d’enfouir certains traumatismes, et en premier lieu cet isolement utile pour des acteurs comme de Gaulle.
Références
[1] Le Journal de Québec (2008), « Sarkozy prendrait position contre la souveraineté », samedi 5 juillet, p. 3.
[2] David, Michel (1987), « Il y a vingt ans, de Gaulle lançait : "Vive le Québec... libre !" dans Le Soleil du samedi 25 juillet, cahier B « Dossiers », p. B-1.
[3] Black, Conrad M. (1990), « De Gaulle entretenait un scepticisme envers le fédéralisme canadien » dans Le Soleil, section : Les idées du jour, mercredi le 24 janvier, p. A-15.
[4] Lacouture, Jean (1986), « Charles de Gaulle, en 1967. Vive le Québec libre » dans Le Soleil du mercredi 29 octobre, section « Dossiers », p. B-5.
[5] Presse canadienne (2008), « Pays-nations : Fillon en mode défense » dans Le Journal de Québec, samedi 5 juillet, p.3.
[6] Ritchot, Gilles (1999), Québec, forme d’établissement. Étude de géographie régionale structurale. Paris, L’Harmattan.
[7] Pierson, Olivier (2008), « "T’as vu des castors ?" » dans La Presse du dimanche 13 juillet 2008, page opinion, A14.
De Gaulle, Sarkozy et le Québec
Bref essai sur la signification du « Vivre le Québec... libre ! » du général de Gaulle.
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