Crise gouvernementale en Belgique

Chronique de José Fontaine


Il arrive que certains “Belges” du Québec m'écrivent pour me dire qu'ils ne partagent pas mes aspirations à une Wallonie souveraine. Il est vrai que, dans ce domaine, j'exprime carrément un parti-pris, mais légitime et défendable.
En revanche, quand je tente de décrire les événements et de souligner l'opposition constante entre Wallons et francophones d'une part, Flamands de l'autre, je ne fais que redire ce que disent toute la presse et tous les observateurs chez nous.
Il y a actuellement une crise dans le gouvernement fédéral dans la mesure où la ministre de la Justice, Laurette Onkelinx, qui est wallonne et francophone, a été impliquée - malgré une compétence qui lui est reconnue - dans diverses affaires où sa gestion peut être critiquée, notamment l'évasion de captifs d'une prison flamande, mais aussi le retour (présumé) d'un personnage de la mafia albanaise, ainsi que la tentative (apparemment avérée) de livrer un citoyen belge d'origine turque, poursuivi dans son pays d'origine pour des activités politiques en faveur des Khurdes, à la Turquie, via la Hollande.
La première affaire est surtout montée en épingle par les partis flamands de droite (et dans l'opposition) qui mettent en cause en l'occurrence le laxisme de la ministre qui avait décidé la libération du personnage en question sous la condition qu'il ne revienne plus en Belgique (ce qui se serait produit, sans que l'homme ne soit arrêté).
La seconde affaire met en question au contraire une dimension plus répressive de la gestion de la Justice par la même ministre et c'est surtout dans l'opinion publique en Wallonie et à Bruxelles que cette seconde affaire fait scandale. Car elle révèle un manque flagrant de respect du droit des gens, flagrant et même grave.
Mais il y a également des tensions à l'intérieur du Gouvernement fédéral car le Premier Ministre, issu d'un parti flamand que les sondages voient dégringoler pour le moment, est en quelque sorte obligé de tenir compte de l'opinion publique de la Flandre (qui vit la gestion de la ministre de la Justice comme laxiste), où il est élu et où son parti a ses activités. Il a donc vivement critiqué la ministre de la Justice.
Tout ceci illustre le fait qu'il n'y a plus en Belgique fédérale de parti pour l'ensemble du pays mais que chaque parti s'est scindé en deux, selon la langue mais aussi surtout - comme on le voit ici - en fonction de ce que peuvent être les valeurs, les mentalités, les orientations politiques dominantes, soit en Wallonie et à Bruxelles, soit en Flandre, et qui sont parfois différentes, voire contradictoires.
La Belgique est un Etat fédéral de fraîche date. De sorte qu'aucune dimension de la Justice n'y relève des Etats fédérés. Ce qui est sans doute sous-jacent aussi à la crise, c'est que certains en Flandre voudraient voir la Justice - en tout ou en partie - confiée à chaque Etat fédéré. Mais certains - qui le disent peut-être moins haut - l'ont déjà proposé aussi en Wallonie.
En fait, la Justice, quoique pour le moment entièrement du ressort de l'Etat fédéral, est, dans les faits, déjà divisée. En effet, l'organisation de la Justice est déjà divisée de fait entre la Wallonie et la Flandre, mais sous la houlette d'un seul ou d'une seule ministre.
Si cette matière était confiée aux Etats fédérés, cela se ferait relativement aisément et cela dépouillerait encore un peu plus l'Etat fédéral de ses compétences auxquelles les partis flamands veulent encore retrancher d'autres domaines importants alors que l'Etat belge ne gère plus que moins de 50% de ses anciennes compétences étatiques. Laurette Onkelinx, qui n'est jamais apparue comme une nationaliste wallonne radicale, évoquait cependant récemment dans la presse la possibilité pour la Wallonie et Bruxelles de devenir un Etat indépendant sans la Flandre, hypothèse qu'a plusieurs fois évoquée également Elio Di Rupo, le chef de son parti, le Parti socialiste qui préside également le Gouvernement wallon. Notamment, à la Fête de la Wallonie à Namur, le 16 septembre dernier.
Le 8 octobre, on va voter pour les provinces (départements en France) et les communes (les municipalités), mais l'an prochain, il y aura des élections fédérales. Cela explique la nervosité des partenaires. La crise révèle aussi que l'an prochain, des négociations auront lieu qui dépouilleront à coup sûr l'Etat fédéral de nouvelles compétences qui seront transférées aux Etats fédérés.
Le problème est aussi de savoir à partir de quand ce transfert de compétences va modifier le vécu des Belges qui peuvent encore avoir l'illusion de vivre dans une Belgique qui existe encore malgré tout comme nation, au point qu'ils se reconnaissent comme relevant en fait de deux nations différentes.
A cet égard, ce qui semblera peut-être un peu étrange, je suis plus réservé. L'Etat belge a beau se défaire, le sentiment national belge subsiste, tant en Flandre qu'en Wallonie d'ailleurs. Mais évidemment, la croissance respective des Etats (car à mon sens, c'est ainsi qu'on doit les nommer), tant flamand que wallon, va un jour ou l'autre (ce sera peut-être relativement lentement), créer non seulement des opinions publiques opposées, mais aussi des communautés morales distinctes et finalement deux nations n'ayant plus un vrai destin commun sauf par le voisinage (ce qui n'est pas rien), mais aussi par la participation à la construction européenne, chose également importante.
La division de la Belgique en deux nations me semble inéluctable mais se fera lentement. Il a fallu 26 ans pour parvenir à une répartition plus ou moins 50/50 des pouvoirs entre Etats fédérés et Etat fédéral. Il me semble qu'il faudra encore quelque chose du même laps de temps pour aboutir à deux Etats séparés. Cela ne sera ni le scénario de la séparation de velours entre Slovaquie et Tchécoslovaquie, ni les scénarios parfois brutaux de certaines sécessions. Peut-être que la Belgique gardera longtemps l'aspect extérieur d'une maison commune, mais, comme me le disait un jour le constitutionnaliste Charles-Etienne Lagasse, avec des appartements séparés.
José Fontaine

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Né le 28/6/46 à Jemappes (Borinage, Wallonie). Docteur en philosophie pour une thèse intitulée "Le mal chez Rousseau et Kant" (Université catholique de Louvain, 1975), Professeur de philosophie et de sociologie (dans l'enseignement supérieur social à Namur et Mirwart) et directeur de la revue TOUDI (fondée en 1986), revue annuelle de 1987 à 1995 (huit numéros parus), puis mensuelle de 1997 à 2004, aujourd'hui trimestrielle (en tout 71 numéros parus). A paru aussi de 1992 à 1996 le mensuel République que j'ai également dirigé et qui a finalement fusionné avec TOUDI en 1997.

Esprit et insoumission ne font qu'un, et dès lors, j'essaye de dire avec Marie dans le "Magnificat", qui veut dire " impatience de la liberté": Mon âme magnifie le Seigneur, car il dépose les Puissants de leur trône. J'essaye...





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