Aux Honorables Lucien Bouchard, Daniel Johnson, Pierre-Marc Johnson et Bernard Landry,
Vous avez raison : idéalement, la bâtonnière aurait dû se retirer pendant qu’un comité indépendant étudiait la question pour faire des recommandations (Quatre anciens premiers ministres font appel au respect de la mission du Barreau, Le Devoir, le 2 septembre). Malheureusement, le contexte de cette affaire en a dicté autrement.
Sept bâtonniers de section devenus membres du conseil d’administration se sont présentés sous la bannière de l’équipe de Me Luc Deshaies, le candidat défait au poste de bâtonnier. De plus, certains membres du conseil d’administration étaient au courant du dossier déjudiciarisé de la bâtonnière, et ce, bien avant l’annonce du résultat des élections. La bâtonnière n’avait donc pas d’autre choix que de s’adresser aux tribunaux.
À titre personnel et par principe, j’ai pris fait et cause pour la bâtonnière. C’est donc respectueusement et avec tous les égards qui s’imposent que je m’adresse à vous. J’espère que vous ne m’en tiendrez pas rigueur.
La devise du Québec est « Je me souviens ». Votre lettre comporte de nombreux oublis.
Vous affirmez que la profession d’avocat est la gardienne de la démocratie. Vous oubliez de rappeler que, sur la base d’un programme novateur, la bâtonnière a été élue à plus de 63 % des voix exprimées par l’ensemble des avocats du Québec.
Vous oubliez de mentionner qu’à l’assemblée générale extraordinaire des membres du Barreau du Québec tenue en bonne et due forme à Laval le 24 août dernier, 68,5 % des membres présents ont voté en faveur d’une proposition demandant la réintégration immédiate de la bâtonnière, 54 % en faveur d’une proposition demandant une enquête du syndic du Barreau et 89 % en faveur d’une proposition demandant une enquête du ministère de la Justice.
Protection du public
Vous affirmez que la mission première du Barreau est la protection du public. Vous oubliez de souligner que sur les 100 000 justiciables ayant bénéficié du Programme de traitement non-judiciaire des infractions depuis sa création en 1995, la bâtonnière est la première à être visée par le coulage dans les médias de renseignements et de documents confidentiels. La confiance du public envers ce Programme est primordiale.
Comme certains membres du conseil d’administration du Barreau, vous oubliez le fait que la bâtonnière est aussi une justiciable, et qui plus est, qu’elle est victime d’une grave injustice.
Vous oubliez de souligner qu’au lieu de protéger une avocate émérite au parcours exemplaire et irréprochable, le conseil d’administration s’est apparemment transformé en tribunal d’inquisition pour la stigmatiser à outrance et l’abandonner au jugement lapidaire d’une opinion publique mal informée.
Vous affirmez que les décisions du conseil d’administration concernant la bâtonnière ont été prises avec célérité et à l’unanimité. Vous oubliez de préciser qu’elles l’ont été à l’unanimité des membres présents, et ce, en moins de 24 heures chevauchant la veille d’un jour férié et ce jour férié.
Le ministère de la Justice et l’Office des professions ont-ils seulement été consultés ? En l’espèce, y avait-il urgence d’agir ? Au cours de ces 24 heures fatidiques, pendant que les membres du conseil d’administration délibéraient sur le sort de la bâtonnière, le public était-il vraiment en danger ?
L’image du Barreau
Il faudrait éviter de trop idéaliser le Barreau et le rôle du bâtonnier. Aujourd’hui, le Québec compte 46 ordres professionnels. Le bâtonnier est président d’un de ces ordres. En plus d’être assujettis au Code des professions et à un Code de déontologie qui leur est propre, les 378 000 professionnels du Québec doivent signer chaque année une déclaration dans laquelle ils indiquent si, depuis leur dernière déclaration, ils ont été reconnus coupables d’une infraction.
À mon sens, c’est là que devrait se situer la norme de comportement exigé de tous les professionnels et de ceux qu’ils élisent à la tête de leur ordre.
Dédramatisons un peu la présente situation : la crise qui secoue actuellement le Barreau du Québec n’est pas la crise d’octobre 70 ni la crise d’Oka, ni la crise du verglas non plus que la crise financière.
Dans un fascinant documentaire intitulé The Rise and Fall of Rough Justice et accessible sur YouTube, on peut voir une entrevue au cours de laquelle Lord Denning, éminent juriste, s’en prend à des journalistes chevronnés de la BBC qui, ayant osé reprendre des enquêtes bâclées par divers intervenants du système judiciaire britannique, ont réussi à faire libérer des victimes d’erreurs judiciaires.
À l’intervieweur qui lui demande si la protection de l’image du système judiciaire justifie l’emprisonnement de personnes innocentes, Lord Denning répond par l’affirmative ! Je vous invite à ne pas sombrer dans le naufrage intellectuel de Lord Denning. La réalité de la Justice doit toujours avoir préséance sur son image !
J’ai confiance en notre système de justice. Le processus judiciaire, notamment les règles de procédure et les règles d’administration de la preuve, permettront, mieux qu’un comité interne, de faire toute la lumière sur cette affaire.
Enfin, j’espère qu’une fois le jugement rendu, les juristes et les citoyens du Québec pourront enfin connaître les véritables causes de la crise actuelle et en tirer des leçons utiles, et puis — pourquoi pas ? — mieux connaître et apprécier la bâtonnière qui aura réintégré ses fonctions.
Laissons maintenant la Justice suivre son cours. Fiat justicia ruat caelum : Que Justice soit faite même si le ciel nous tombe sur la tête !
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