Crise à Québec: les options possibles

La semaine sera cruciale pour le gouvernement

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Sortie de crise



Mario Girard - La semaine qui s'amorce sera tumultueuse à Québec. Le gouvernement minoritaire subira le test ultime: il affrontera les deux partis d'opposition, qui disent non à son budget. Cette situation pourrait nous conduire à de nouvelles élections générales. Pour ajouter à cela, le rapport Grenier, attendu dans les prochains jours, pourrait critiquer le PLQ pour son rôle dans Option-Canada lors du référendum de 1995. Analyse d'une situation hors du commun.


Historiquement, les Québécois n'ont jamais vécu une situation pareille. Quelques semaines après une campagne électorale riche en rebondissements, leur gouvernement est sur le point de s'effondrer.
La menace de l'ADQ et du PQ de voter contre le budget présenté la semaine dernière par le PLQ est le croc-en-jambe qu'ils ont choisi de faire à ce parti vacillant. Vendredi, au moment du vote à l'Assemblée nationale, les électeurs se perdront peut-être en conjectures devant les options possibles. Les experts en politique aussi.
«J'avoue que c'est une situation tout à fait unique, dit Réjean Pelletier, politologue à l'Université Laval. Il est extrêmement difficile, même pour nous, de s'y retouver et de démêler tout cela.»
Ce que l'on sait, c'est que le président de l'Assemblée nationale a déclaré qu'il est impossible d'amender le budget. «Un budget doit être adopté dans son ensemble ou être retiré pour qu'un autre budget soit déposé, précise M. Pelletier. Un budget, c'est une motion. On peut y apporter des modifications. Mais on doit pour cela s'assurer de la complicité des autres partis d'opposition avant de faire l'exercice. Cet objectif est réalisable mais il faut savoir qu'il y a un prix à payer pour un gouvernement qui fait cela: il perd la face.»
Pour qualifier le refus des deux partis d'opposition d'adopter budget de la ministre des Finances, on a beaucoup utilisé le mot «bluff» au cours des derniers jours. Selon Christian Rouillard, titulaire de la Chaire de recherche du Canada en gouvernance et en gestion publique de l'Université d'Ottawa, certains joueurs pourraient faire volte-face. «On pourrait se retrouver dans une situation où l'un des deux partis d'opposition reviendrait sur sa décision et déciderait d'appuyer le budget. Mais j'y crois peu.»
C'est toutefois le scénario que privilégie le politologue Réjean Pelletier. «Je suis persuadé que quelqu'un va reculer, dit-il. Et tout indique que ce sera le PQ. Il pourrait négocier avec M. Charest et obtenir des modifications dans le budget. Tout cela est lié à des jeux de coulisses qui sont sans doute commencés. Pour ce qui est de l'ADQ, c'est réglé. Elle va dire non jusqu'à la fin. En tant qu'opposition officielle, c'est son rôle.»
Mais pour le moment, rien n'indique que l'ADQ et le PQ endosseront le budget. Cette situation dirigerait les Québécois tout droit vers de nouvelles élections générales. «Je crois que c'est le scénario le plus probable, dit Christian Rouillard, Personne ne semble vouloir bouger, j'ai l'impression que le gouvernement va tomber.»
Malgré le ton défensif des derniers jours, certains observateurs croient que Jean Charest est maintenant pris dans un carcan duquel il ne peut sortir. «Il joue le tout pour le tout, dit Réjean Pelletier. De source sûre, je sais que son leadership est sérieusement contesté à l'intérieur de son parti, dit-il. Il y a une grogne de la part de certains de ses ministres et de députés qui ont déjà été ministres. On le tient responsable des mauvais résultats des dernières élections. Vous savez, il y a encore des libéraux qui le voient comme un conservateur.»
À partir du moment où le gouvernement tombe, deux options sont possibles. «Dans un premier temps, le lieutenant-gouverneur peut inviter le parti arrivé deuxième par le nombre de sièges, dans ce cas-ci l'ADQ, à former un gouvernement minoritaire, explique Réjean Pelletier. Mais, pour cela, le parti doit obtenir une garantie.»
Là-dessus, le politologue cite l'exemple de l'Ontario, où, en 1985, les libéraux s'étaient alliés aux néo-démocrates. «Le Parti libéral s'était assuré de l'appui du NPD sans pour autant lui offrir de sièges, précise M. Pelletier. Il faudrait que Mario Dumont obtienne une garantie semblable. Sans cela, il sera défait rapidement.»
Christian Rouillard ne croit pas que le lieutenant-gouverneur en arrivera à cette solution. «Ça me semble intolérable pour notre sens démocratique, dit-il. De plus, je ne crois que ce soit séduisant pour Mario Dumont. L'ADQ n'est pas prête à former un gouvernement minoritaire, et ses membres le savent très bien. Le parti devrait profiter encore pendant un ou deux ans de l'expérience de l'Assemblée nationale avant de se lancer dans une telle aventure.»
L'autre possibilité est la création d'un gouvernement de coalition. «Deux partis, comme l'ADQ et le PQ, pourraient s'allier et former un seul gouvernement, explique Christian Rouillard. Il y aurait alors des ministres dans les deux camps. Cette possibilité est absolument hypothétique, mais ça pourrait se faire.»
Quelle que soit l'issue du vote de vendredi, certains observateurs de la scène politique n'en reviennent pas de l'attitude insouciante du gouvernement de Jean Charest, qui semble avoir sous-estimé la précarité de son gouvernement. «La grande conclusion de tout cela, c'est qu'il y a eu ici un manque flagrant de précaution, dit Réjean Pelletier. Il aurait été tellement facile de résoudre cette crise si au départ tout le monde s'était réservé une marge de manoeuvre. Tout cela relève de la négociation. Or, pour négocier, il faut se garder quelques cartes en réserve. Mais comme personne n'y a pensé, nous en subirons les conséquences.»
Le rapport qui tombe... encore mal
Le rapport Grenier sur le rôle de l'organisme Option Canada lors du référendum de 1995 sera rendu public cette semaine. Son contenu pourrait avoir un impact important sur le cours des choses à l'Assemblée nationale.
«Si M. Charest ou des membres de son entourage sont visés ou sont nommés, c'est sûr que ça pourrait changer beaucoup de choses, dit le politologue de l'Université Laval Réjean Pelletier. Tout dépendra du ton du rapport et de la portée des blâmes. Ce que le rapport devra montrer, c'est si ces gens savaient ou pas. Si les accusations sont claires, M. Charest est cuit.»
Christian Rouillard, professeur à l'École d'études politiques de l'Université d'Ottawa, se fait prudent: «Il faudrait que ce rapport varlope sérieusement le PLQ pour qu'il y ait des effets. Je serais étonné que ce soit le cas. Il y aura sans doute des éléments qui vont souligner des ambiguïtés ou des erreurs, mais je ne crois pas que ce document aura des effets très dommageables.»
Alors que le gouvernement Charest dispose encore de quelques moyens pour sortir de l'impasse actuelle, Réjean Pelletier croit que le rapport Grenier pourrait irrémédiablement marquer sa chute. «Le PLQ se fera alors un devoir de rappeler que l'ADQ et le PQ étaient ensemble dans le camp du Oui au moment du référendum».
Option Canada, créé peu avant le référendum de 1995, est soupçonné d'avoir financé le camp fédéraliste malgré les dispositions de la loi référendaire québécoise.
Plusieurs dirigeants du camp du Non en 1995, dont l'actuel premier ministre du Québec, Jean Charest, ont été appelés à témoigner à huis clos devant le juge Bernard Grenier.


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