Contrat première embauche - Pourquoi Villepin doit tenir bon

Par Jean-François Cloutier

2006 textes seuls

Depuis quelques semaines, la France connaît des manifestations anti-CPE toujours plus considérables. Le «contrat première embauche», emmené par le premier ministre Dominique de Villepin et dont on avait d'abord cru qu'il serait adopté sans trop de heurts -- même les socialistes songeaient au départ à l'accepter alors que la population, en novembre, y était favorable -- comme l'avait été quelques mois auparavant le CNE (contrat nouvelle embauche), semble finalement être l'étincelle qui met le feu au baril de poudre.

En ciblant tout particulièrement les jeunes, Villepin a réveillé une hydre -- le plus puissant lobby du pays, comme chez nous -- dont les divers malaises face à l'avenir se font jour à travers la crise. Le CPE devient le prétexte à la réédition du moment révolutionnaire qui fascine la France depuis 1789.
Mai-68 décati
Beaucoup de commentateurs l'ont souligné : il y a du Mai-68 dans la révolte estudiantine actuelle. Un Mai-68 décati, cependant, comme joué une seconde fois sur un mode plus comique que tragique (Mai-68, au demeurant, par rapport à la Révolution française et aux coups d'État divers qui jalonnèrent le XIXe siècle, apparaît déjà lui-même comme tel).
Les mêmes slogans utopiques sont utilisés («Sous les pavés, la plage»... ) mais les enjeux ont bien changé. Si le mouvement de 2006 conserve un peu de l'intransigeance de son prédécesseur en refusant tout dialogue avec Dominique de Villepin avant qu'il n'ait retiré sa loi, pourtant déjà adoptée, il est essentiellement défensif, dénué de tout projet alternatif consistant; paradoxalement, il est conservateur.
C'est une révolte qui vise à conserver des acquis et prône l'immobilité. D'ailleurs, aucun leader éloquent et original n'en émerge : il est le fait d'une université prolétarisée, gagnée aux idées égalitaristes (si elle en a), allergique à toute hiérarchie ou autorité.
Comme les étudiants ici...

À l'observateur québécois, ce mouvement rappelle celui provoqué par la décision du gouvernement Charest de transformer en prêts les bourses de certains étudiants du deuxième cycle pour réaliser des économies de 103 millions de dollars. Même boursouflure difficilement explicable pour une décision finalement pas si importante, mêmes manifestations monstres qui enjoignent au gouvernement de ne toucher à rien, au moment où la participation politique n'a jamais été aussi faible et où on entend si peu les jeunes sur la place publique. On a les révoltes qu'on peut...
Or, si nous pouvions nous réjouir de voir le gouvernement Charest ébranlé, fût-ce dans une cause avec laquelle nous ne faisions pas tout à fait corps, et croire que la crise du printemps dernier aurait le mérite indirect de ramener le Québec vers ses intérêts vitaux, qui passent nécessairement pour nous par le Parti québécois et son option indépendantiste, peut-on en faire autant, mutatis mutandis, dans la crise du CPE ? Rien n'est moins sûr.
... mais sur fond de déclin
Ceux qui visitent aujourd'hui la France découvrent un pays en pleine remise en question, manquant cruellement de confiance en lui dans un contexte de mondialisation où les valeurs traditionnellement anglo-saxonnes du libéralisme, du multiculturalisme, de l'individualisme protestant et de la concurrence exacerbée triomphent, sans parler de la langue dans laquelle elles se développèrent.
Les élites parisiennes glosent abondamment du déclin de la France qui, de fait, offre une performance économique fort modeste ces dernières années : croissance poussive, taux de chômage élevé, déficits chroniques, exportations en faible hausse, alors qu'elles explosent ailleurs (la natalité et la productivité excellentes des Français offrent cependant un contrepoint).
Mais plus grave et plus prononcé encore est le déclin intellectuel du pays : les universités françaises n'attirent plus les étrangers alors que penseurs, écrivains et artistes français ne trouvent plus guère d'écho en dehors de la Francophonie, peut-être en raison d'un protectionnisme indu. Un climat de dépression s'installe, aggravé par l'impuissance apparente des politiques et par le sentiment, vécu si intensément dans la partie de Descartes, férue de plans, de théorie, de clarté, d'une cassure profonde, irréparable, entre le présent et le passé. En effet, le Français a besoin de comprendre, de savoir où il est, avant d'agir.
Le volontarisme de Villepin
Dominique de Villepin (dont il faut absolument lire Le Cri de la gargouille, essai d'une profondeur à l'aune de laquelle l'insignifiance de nos dirigeants paraît abyssale), par une politique volontariste forte et en se posant en héritier de De Gaulle, s'est attelé à la tâche de faire entrer la France dans le XXIe siècle tout en cherchant à conserver le meilleur du modèle français et à inscrire l'aventure de la mondialisation dans le temps long de l'histoire nationale.
Conscient de l'urgence de sa mission à une époque où tout va très vite et où il s'agit de conquérir des parts de marché et de développer de nouvelles technologies comme on conquérait jadis des colonies et se munissait de frégates, il a voulu restaurer l'autorité de l'État face à la rue et imposer un mode de gouvernement plus dirigiste qu'il y a 20 ans, ce qui constitue par ailleurs une réponse aux cyniques qui croient tous les politiciens veules et bassement opportunistes.
Le CPE se voulait la première étape d'un long train de réformes vitales qui permettrait à la France de franchir avec succès le pas de la mondialisation. Son échec éventuel, devant une pression insoutenable nourrie par un appareil médiatique toujours favorable à la jeunesse, et le retour d'une geste socialiste d'un autre temps sont-ils aussi de bon augure ?
D'un point de vue québécois, un déclassement accru de la France, compte tenu de son incapacité à adapter l'État-providence d'après-guerre à la conjoncture actuelle, une excursion plus poussée vers les mirages de l'«autre politique», opium des impuissants très prisé après la victoire du non «social» au référendum de juin 2005, n'apparaît pas souhaitable. Alors que la spécificité française poindrait dans toute son ampleur, paradoxalement, elle sonnerait peut-être le glas de toute mondialisation viable en français et d'esprit français. Elle laisserait croire qu'il n'y a pas de francisation possible des valeurs anglo-saxonnes qui la régissent.
Il faut donc souhaiter le maintien du CPE.
Jean-François Cloutier
_ Collaborateur à L'Action nationale et journaliste-stagiaire chez Bref Rhône-Alpes (Lyon)


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