Comparaison boiteuse

L'injustice dénoncée par les «indignés» de Wall Street n'a rien à voir avec la réalité au Québec.

Les indignés - au Québec


L'injustice dénoncée par les «indignés» de Wall Street n'a rien à voir avec la réalité au Québec.
La société américaine est attachée aux valeurs de l'effort et du mérite individuels. C'est pourquoi elle est généralement tolérante de l'existence d'importantes disparités de revenus entre les personnes. Cette tolérance a cependant des limites. En particulier, les écarts de richesse doivent reposer sur le mérite et les obstacles à la mobilité sociale ne doivent jamais être insurmontables.
Si les banquiers de Wall Street n'ont pas la cote en ce moment, c'est parce que l'Américain moyen juge que leur train de vie princier n'est nullement mérité et que leur comportement est en partie responsable des difficultés actuelles vécues par lui et sa famille. C'est dans ce terreau fertile que s'inscrit la légitimité du mouvement Occupy Wall Street.
Si cette légitimité ne fait aucun doute dans son berceau américain natal, il en va tout autrement de son exportation à l'étranger. En particulier, l'occupation de Bay Street à Toronto ou celle du square Victoria à Montréal ne peut se réclamer des motifs qui animent les «indignés» américains qu'au prix d'une sérieuse distorsion de la réalité canadienne.
D'abord, il n'y a pas eu de crise bancaire et financière au Canada. Les banquiers canadiens n'ont tout simplement pas adopté au cours des années «folles» de l'expansion du crédit les pratiques risquées qui constituaient la norme aux États-Unis. Cette attitude doit tout autant au conservatisme traditionnel des banques canadiennes qu'à leur réglementation plus stricte. Comptant sur des banques plus solides, le Canada a donc pu s'extirper rapidement de la récession, la baisse des taux d'intérêt y stimulant davantage qu'aux États-Unis de nouveaux prêts aux entreprises et aux particuliers. On pourrait même se demander si cette expansion des prêts n'a pas été un peu excessive, compte tenu des prix élevés affichés dans le secteur immobilier et du niveau d'endettement des ménages canadiens. Néanmoins, les résultats sont là.
Le chômage affecte une proportion beaucoup plus faible de Canadiens que d'Américains, dans un contexte où par ailleurs les Canadiens participent davantage que les Américains au marché du travail.
Ensuite, la stagnation des revenus et la croissance des inégalités observées aux États-Unis n'ont pas traversé la frontière. Aux États-Unis, on assiste depuis le début des années 2000 à une stagnation des revenus gagnés par les 20% les plus riches et à un déclin des revenus des 80% restants. En outre, ce déclin des revenus est nettement plus prononcé au milieu et au bas de l'échelle sociale qu'au dessus.
Au Canada, il n'y a pas eu de telle stagnation des revenus et encore moins de déclin, sauf brièvement, au cours de la dernière récession. Depuis 1993, date du début de la dernière grande expansion, ce sont même les revenus gagnés par les 20% les plus pauvres qui ont le plus progressé. En fait, les revenus qui ont le moins progressé au Canada sont ceux des classes moyenne et moyenne supérieure, les revenus des 20% les plus riches et ceux des 40% les plus pauvres faisant nettement mieux.
Cette situation est même encore plus vraie au Québec que dans le reste du Canada. La classe moyenne québécoise n'y verra peut-être pas là une bonne nouvelle, mais les statistiques illustrent néanmoins que l'injustice dénoncée par les occupants de Wall Street n'a rien à voir avec notre réalité.
Déjà, le mouvement des «indignés» de Wall Street a beaucoup à faire pour éviter d'effaroucher l'Américain typique de la classe moyenne qui en a certes contre les banques mais ne veut pas pour autant renverser le capitalisme. Les Canadiens sympathiques au mouvement lui rendront service en évitant de se présenter en victimes des mêmes injustices.
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Martin Coiteux
L'auteur est professeur au Service de l'enseignement des affaires internationales à HEC Montréal.


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