Les indignes

La rémunération moyenne de cette élite est en progression constante depuis deux décennies maintenant.

Les indignés - au Québec


S'il y a des indignés — ces 99 % —, c'est qu'il doit y avoir aussi des indignes! Selon un rapport préparant le terrain au prochain Forum économique mondial de Davos, les inégalités croissantes figurent parmi les plus grands risques mondiaux. Loin devant la corruption généralisée, le terrorisme ou encore l'éclatement de la zone euro, la grande disparité des revenus et la concentration de la richesse constituent désormais les principales menaces, dont les grands mouvements sociaux de l'an dernier (printemps arabe, indignés et Occupons Wall Street) ne sont que les premiers symboles.
On ne doit pas sous-estimer le pouvoir des symboles. Et ce qui se passe présentement dans la zone euro, avec ces gouvernements quémandant la clémence des marchés en troquant l'austérité budgétaire pour des conditions de financement plus favorables, devient un autre de ces symboles qui attisent le ras-le-bol généralisé. La crise de 2008-2009, d'abord financière, a contraint les États à sauver leurs grandes institutions au prix d'une détérioration accélérée des finances publiques déjà en déséquilibre. Aujourd'hui, ces mêmes institutions se financent à un coût du crédit en définitive nul auprès de leur banque centrale alors que ces États, soumis à des taux de financement parfois usuraires sur les marchés, condamnent leur population à l'austérité. Tout cela sans que les hauts dirigeants de la finance soient inquiétés ou interpellés. Même dans leur rémunération.
Le directeur général du Forum économique mondial, Lee Howell, a résumé cette déconnexion entre l'économie réelle et les mondes de la haute finance et de la grande entreprise en disant craindre une remontée du nationalisme et du protectionnisme face aux «germes de la dystopie» que renferment la montée du chômage, davantage chez les jeunes, et la crise anticipée des régimes de retraite. On constate un creusement des écarts de richesse, mais on préfère s'en remettre à la classique lamentation exhortant les dirigeants politiques à se préoccuper immédiatement de la rupture sociale plutôt que de continuellement remettre le problème à plus tard.
On décrie ce surendettement des États, alimenté par des déficits budgétaires déjà chroniques exacerbés par les effets d'une crise 2008 d'abord financière, devenu pourtant l'illustration la plus criante des inégalités croissantes. Une autre illustration marquante vient de cette dislocation de la classe moyenne dans nombre de pays industrialisés, notamment aux États-Unis, une polarisation riches-pauvres provoquée par la montée du chômage et la chute tant des revenus que de la valeur du patrimoine des ménages. Pas étonnant que la montée d'une nouvelle classe moyenne, surtout dans les économies émergentes, vienne remplacer des valeurs occidentales jugées décadentes, et inféodées aux marchés, par une montée du nationalisme et du protectionnisme.
Une troisième illustration de la fracture sociale grandissante trouve sa pleine mesure dans cet écart croissant de la rémunération entre les hauts dirigeants et le travailleur moyen. Le Centre canadien des politiques alternatives a ouvert l'année 2012 avec cette statistique frappant toujours l'imaginaire. Alors qu'un écart de 20 paraît socialement acceptable, en 2010 les 100 p.-d.g. les mieux payés dirigeant des entreprises composant l'indice S&P/TSX de la Bourse de Toronto affichaient un revenu annuel supérieur de 189 fois à la moyenne canadienne.
La rémunération moyenne de cette élite est en progression constante depuis deux décennies maintenant. Malgré la crise de 2008-2009, bien que la Bourse n'ait, en définitive, produit aucun rendement sur plus d'une décennie pour le Canadien et pour la caisse de retraite moyenne, leur rémunération est en progression exponentielle. Elle atteignait 8,38 millions, en moyenne, par individu en 2010, contre une rémunération de 44 366 $ pour la moyenne des Canadiens.
En 2008, année de récession, leur comité de rémunération leur avait accordé une rétribution moyenne de 7,4 millions, soit 174 fois le salaire du travailleur canadien moyen à temps plein, et ce, malgré une chute de 40 % de l'indice boursier, ce qui n'a pas été sans affecter la valeur de leurs options d'achat d'actions. Le Centre canadien des politiques alternatives a déjà calculé que la hausse a été de 70 % entre 1998 et 2008 en tenant compte de l'inflation, contre un recul net de 6 % pour l'ensemble des travailleurs dans l'intervalle.
Selon d'autres observations, à la fin de 2007 ces hauts dirigeants étaient 259 fois mieux payés que le travailleur moyen. Ce rapport était de 115 à la fin de 2006, contre 24 en 1996. «Faible consolation», aux États-Unis, où l'on se fait plus généreux encore en matière d'options d'achat d'actions, on est passé de quelque 40 fois à 411 fois pour les dirigeants d'entreprise composant l'indice boursier S&P 500.
De toute évidence, à Davos, comme dans le capitalisme du laissez-faire ou du «tout pour la finance», on ne mesure pas toute la puissance des symboles.


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