Comment se préparer à un débat

Débat des chefs - Québec 2007



On a proposé à Jean Charest de revoir les enregistrements des récents débats des chefs à la télévision. Mais hier, le chef libéral n'était pas d'humeur à ressasser ces heures d'intensité. «Chaque débat est différent», a-t-il expliqué à son porte-parole, Hugo D'Amours.
Repris après 30 ans de silence, par un face-à-face entre Daniel Johnson et Jacques Parizeau en 1994, ces duels télévisés en campagne électorale furent effectivement tous très différents. Parfois une réplique bien sentie emporte l'adhésion, ou un mot malheureux frappe, pour longtemps, l'esprit des auditeurs. Plus rarement un politicien paraît carrément désarçonné ou furieux.
Le dernier affrontement, par exemple, nageait dans l'inédit. Quatre ans après son face-à-face de 2003 avec Jean Charest, Bernard Landry reconnaît que le débat a pu être un tournant de la campagne électorale où il a perdu le pouvoir. «Les sondages nous donnaient encore victorieux, mais au moment du débat, cela avait commencé à se modifier. Mais je n'avais pas une si grande pression sur les épaules ce jour-là», se souvient l'ancien premier ministre dans une entrevue à La Presse. Le film À hauteur d'homme montre toutefois un chef de parti visiblement fatigué, stressé, devant une poignée de stratèges qui le mitraillent de conseils.
L'histoire est connue. Sans crier gare, Jean Charest a brandi sous le nez de l'adversaire que Jacques Parizeau venait de répéter sa sortie controversée de 1995 sur «le vote ethnique et l'argent». M. Landry fut à l'évidence déstabilisé, n'ayant pas la moindre idée de ce que M. Parizeau avait dit à Shawinigan. Jean Charest non plus, a-t-on appris par la suite. Pour Bernard Landry, ce coup fourré reste «très inélégant de la part de Jean Charest».
«Il a ramené de façon inopinée quelque chose qui était arrivé 10 ans plus tôt, qui n'avait rien à voir avec la campagne. Parizeau n'avait pas redit ce qu'il avait dit en 1995, Charest a joué là-dessus habilement. Raison de plus pour qu'il paye pour aujourd'hui!» lance Bernard Landry.
Si Bernard Landry admet une erreur, c'est plutôt d'avoir lu ses interventions d'ouverture, à la différence de Jean Charest. On le voit dans À hauteur d'homme spéculer sur ce que fera Jean Charest. Ce dernier avait lu ses notes au débat de 1998, «il va lire encore cette fois», avait trop rapidement tranché M. Landry.
Mario Dumont n'avait guère marqué de points en 2003 - sa déclaration d'ouverture, empesée, manquait d'assurance. Au précédent débat, en 1998, il avait piqué au vif Lucien Bouchard et Jean Charest. Comme dimanche à Tout le monde en parle, M. Dumont avait mis en doute la fidélité de Jean Charest au Québec. Un «terrain très glissant», avait répliqué le chef libéral. Lucien Bouchard, qui avait le vent dans les voiles, lui avait servi : «Pour un jeune homme comme vous, je vous trouve très à droite!»
Le naturel revient au galop
Au Québec, les débats entre les chefs ont connu une très longue pause entre celui de 1962, où Daniel Johnson père était apparu bien moins préparé que Jean Lesage, et les plus récents. Pour la petite histoire, le chef unioniste n'avait pas jugé bon de se reposer avant l'affrontement - il avait maintenu ses activités publiques le jour du débat. Décontracté, Jean Lesage l'avait emporté.
Trente ans plus tard, on l'oublie souvent, un débat télévisé avait eu lieu entre Robert Bourassa et Jacques Parizeau durant la campagne référendaire de Charlottetown. M. Bourassa aurait préféré un face-à-face à l'Assemblée nationale. Un match sans mise hors de combat. L'échange fut même qualifié de «hautement technique», Robert Bourassa s'en remettant à la doctrine de la «subsidiarité» pour le partage des responsabilités.
Arrive 1994, la véritable reprise des débats en campagne électorale. Cette fois, Daniel Johnson affronte Jacques Parizeau. Mario Dumont est absent - il a demandé sans succès aux tribunaux d'intervenir. Le chef péquiste sortira de sa poche la liste d'attente de Sainte-Justine, où l'on retrouvait 3000 enfants. L'échange restera celui des «maux de femmes», la formule malheureuse utilisée par M. Johnson qui cherchait en vain le mot «hystérectomie».
Les préparatifs sont utiles, mais ils ont leurs limites. En 1994, les conseillers de Jacques Parizeau l'avaient convaincu de se prêter à une simulation filmée, pour lui permettre de prendre conscience de son langage corporel. L'ancien premier ministre se prête au jeu, et convient vite après le visionnement: «Je ne voterais pas pour moi!» Mais le soir du débat, le naturel était revenu au galop.


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