Pour la première fois diffusée il y a 50 ans, l’émission de Radio-Canada Point de mire, devenue mythique parce qu’animée par René Lévesque alors ancien journaliste de guerre, avait pour objectif de rendre compréhensible au grand public les événements de l’actualité nationale et internationale. Depuis lors, cette émission populaire de grande qualité a été élevée au rang de symbole de l’ouverture du Québec sur le monde, alors que cédaient les gonds de la société traditionnelle.
Ouverture sur le monde
L’émission, qui couvrira la période effervescente de 1956 à 1959, proposait en toute humilité de «jeter un coup d’œil sur les principaux événements de chez nous et d’ailleurs, en faisant de son mieux à tout au moins pour ne pas les obscurcir davantage». Dans un langage clair et précis, René Lévesque expliquait simplement les tenants et les aboutissants des grandes crises internationales marquant son temps, de la crise de Suez à la guerre d’Algérie. Cette ouverture sur le monde allait correspondre au grand bouleversement politique des années 1960 et 1970 qui mettra fin à l’époque de la grande noirceur. L’inspiration fournie par l’actualité internationale contribuera à l’émergence de nouveaux points de vue, définissant ainsi de nouvelles normes pour la société québécoise. Comme le démontre Magali Deleuze, l’appropriation des luttes anticoloniales, particulièrement celle de l’Algérie, agira comme un catalyseur des clivages idéologiques et un révélateur des tensions au Québec. (L’une et l’autre indépendance 1954-1964 : les médias au Québec et la guerre d’Algérie, Montréal, Éditions Point de fuite, 2001).
Il a ainsi été pris conscience que l’évolution des sociétés québécoises et canadiennes s’inscrivait dans un cadre plus large; un contexte susceptible d’influencer les variables et paramètres du débat national. Le rapport d’une société au monde, sa perception des enjeux internationaux déterminent partiellement son identité et surtout la façon dont elle se perçoit en comparaison avec l’autre. Les médias — particulièrement les médias de masse — jouent un rôle déterminant dans ce processus en entretenant cette vision du monde et en la structurant.
Alors que de plus en plus de Québécois s’engagent dans des luttes transnationales, s’investissent dans les filières du commerce international ou du commerce équitable, participent à des échanges culturels internationaux ou tout simplement voyagent à travers le monde, quelle information internationale leur est offerte? Cette ouverture de plus en plus grande et diversifiée ne devrait-elle pas avoir comme corollaire une nouvelle représentation plus complète, plus complexe du monde?
Les médias n'ont pas suivi
Malgré l’abondance d’information offerte, la multiplication des sources de renseignement, les médias de masse ne semblent pas avoir été fondamentalement influencés par ces transformations sociales. Certes, le lectorat et l’auditoire québécois ont pu assister à la guerre en direct, sympathiser avec les victimes des attentats du World Trade Center et voir les vagues du tsunami déferler sur les côtes thaïlandaises, mais n’ont pas obtenu un plus grand accès à des analyses de fond et à des informations susceptibles de rendre compréhensible la dynamique des conflits contemporains et les mécanismes des relations internationales.
Ce domaine de connaissance est considéré comme «spécialisé», souvent réservé aux médias alternatifs ciblant des clientèles particulières. Ainsi, l’accessibilité des analyses des événements internationaux est réduite, fragmentée; un lecteur persévérant trouvera des recherches intéressantes et vulgarisées dans les journaux à faible tirage et à diffusion restreinte, tels qu’Alternatives, ou alors sur Internet.
Un traitement de l’information favorisant le détachement
En règle générale (mais il y a des exceptions notables), la couverture de l’information internationale faite par les grands médias favorise le désengagement du spectateur ou du lecteur en encourageant sa passivité. Celui-ci peut, non sans soulagement, passer à la pause publicitaire après avoir été informé du massacre de milliers de femmes et d’enfants au Darfour. Elle encourage le fatalisme et soutient une vision simpliste des événements internationaux en entretenant des représentations du type «le jour de la marmotte», qui a comme corollaire le cynisme et la lassitude de l’auditoire. Ainsi, les bombes dans les rues de Bagdad, les attaques ciblées israéliennes dans les territoires palestiniens se banalisent et ne se distinguent que par le nombre de victimes enregistrées ; les massacres interethniques en Afrique et les conflits minoritaires au Sri Lanka ou en Thaïlande deviennent des indices de l’agressivité intrinsèque de l’homme et de l’inépuisable réserve de haine ancestrale dans ce monde «non civilisé».
Le traitement de l’information internationale est considéré comme un luxe et la vulgarisation des grands événements internationaux non pas comme un exercice incontournable, une tâche essentielle à l’information publique, mais comme une fonction confiée aux «experts» disponibles pour commenter l’actualité.
Vivement un nouveau Point de mire offrant au grand public l’accès, au-delà des clichés habituels, à des analyses de qualité de l’actualité internationale!
Kathia Légaré
Étudiante au doctorat en science politique à l’Université Laval
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