Clause dérogatoire: les préjugés d’une élite

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Le Québec n'a aucune raison de se soumettre à la Charte canadienne des droits et libertés


 Depuis que le gouvernement Legault prévoit l’utilisation de la clause dérogatoire pour protéger son projet de loi sur la laïcité des tribunaux, plusieurs juristes s’insurgent en disant que cela viole gravement les droits des minorités. Certains parlent même de se tourner vers l’ONU. Ces juristes disent défendre les droits, mais, en réalité, ils affichent les préjugés d’une élite envers les élus.  


 Le Parlement défend les droits 


 Aux yeux des gens de loi, l’affaire est manichéenne. D’un côté les méchants parlementaires, élus par la majorité, prêts à empiéter sur les droits des minorités. De l’autre, les preux juges qui, tels des chevaliers, défendent la veuve et l’orphelin. Pourtant, comme en témoigne l’exemple de l’Australie ou de la Grande-Bretagne, où les magistrats ne peuvent invalider les lois des élus, la primauté du droit est respectée.   


 En réalité le parlementarisme britannique est un système qui défend les droits. Si le Parlement n’était pas souverain et que d’autres centres de pouvoirs pouvaient exister, ce serait l’anarchie. Le droit à la sécurité de chacun serait compromis. Le Parlement est aussi le garant de la liberté d’expression. Tout le monde peut s’y exprimer à loisir, les partis politiques se critiquant les uns les autres. Cette parole libre constitue la base du régime. À coup d’arguments et de contre-arguments, avec ses débats vigoureux, le Parlement permet à l’opposition d’attaquer le gouvernement et laisse les électeurs décider, au moment des élections, qui est le meilleur protecteur de leurs droits.   


 Le bilan de ce système est bon, même si, à l’instar de son créateur, l’homme, il est imparfait. Il arrive que l’opposition et le gouvernement fassent cause commune pour museler les droits des minorités. Ce fut le cas par exemple lors de l’internement des Japonais au Canada durant la Deuxième Guerre mondiale. Mais le système chartiste n’est pas mieux. Suite au 11 septembre, alors que le pays était en pleine guerre au terrorisme, Ottawa a partagé des informations avec Washington sur un de ses citoyens, Maher Arar. Ce dernier a été arrêté alors qu’il était aux États-Unis, envoyé en Syrie et torturé. La charte n’a rien changé à cela. Les choses ont bougé quand l’opposition en Chambre a dénoncé le gouvernement. C’est ce qui a amené le fédéral à rapatrier l’intéressé, s’excuser et lui verser 10 millions de dollars.    


 Les juristes nous présentent la clause dérogatoire comme une innommable atteinte aux droits. Pourquoi? Parce que les dispositions de la future loi caquiste seraient jugées incompatibles avec la charte, telle qu’interprétée par les juges fédéraux. Ce raisonnement est fautif. D’abord les droits ne sont pas absolus. En l’absence d’un incendie, on ne peut crier au feu dans un cinéma bondé en invoquant sa liberté d’expression. Dans ce genre de question, il s’agit toujours de savoir ce qui est raisonnable. Or les juges ne sont pas mieux placés que les élus pour s’acquitter de ce rôle. D’abord, ce sont des experts du droit, ils n’ont pas une expertise sur les grandes questions sociétales. Deuxièmement, ils proviennent en général des classes aisées. Leur vision est celle d’une élite bien pensante. Par opposition les parlementaires représentent toutes les classes. Ils doivent constamment interagir avec leurs commettants et sont nécessairement plus en phase avec la société.  


 Une charte illégitime 


 Pour les juristes, la politique est une activité qui ne sera jamais aussi noble que celle de la pratique du droit. Ces politiciens qui se chamaillent et qui reflètent les préjugés du peuple ne sont pas à la hauteur des juges et des avocats qui, eux, défendraient la justice.    


 Ce genre de raisonnement est en vogue partout au Canada, mais le cas du Québec est particulier en raison de la charte canadienne. Celle-ci est difficilement amendable, contrairement à la charte québécoise, modifiée à plusieurs reprises déjà et qui le sera à nouveau avec le projet de loi actuel. Sa jurisprudence assujettit le droit québécois et elle nous a été imposée contre notre volonté lors du rapatriement constitutionnel. On peut virer ça dans tous les sens, la charte fédérale est illégitime. Le Québec n’a donc aucune raison de s’y soumettre.   


 Frédéric Bastien est professeur d'histoire au Collège Dawson et auteur de La Bataille de Londres, dessous, secrets et coulisses du rapatriement constitutionnel.



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Frédéric Bastien167 articles

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Titulaire d'un doctorat en relations internationales de l'Institut universitaire des hautes études internationales de Genève, Frédéric Bastien se spécialise dans l'histoire et la politique internationale. Chargé de cours au département d'histoire de l'Université du Québec à Montréal, il est l'auteur de Relations particulières, la France face au Québec après de Gaulle et collabore avec plusieurs médias tels que l'Agence France Presse, L'actualité, Le Devoir et La Presse à titre de journaliste. Depuis 2004, il poursuit aussi des recherches sur le développement des relations internationales de la Ville de Montréal en plus d'être chercheur affilié à la Chaire Hector-Fabre en histoire du Québec.