Avec l’élection de la CAQ et son intention de faire adopter une nouvelle charte de la laïcité, le Québec est la cible d’une énième campagne de dénigrement, menée cette fois par nul autre que le premier ministre fédéral. L’argument de Justin Trudeau est simple. Si le Québec utilise la clause dérogatoire pour protéger sa future législation des tribunaux fédéraux, il commettra le geste inqualifiable de fouler aux pieds les droits de la charte canadienne. Rien n’est plus faux.
La première chose qu’il faut comprendre est que les droits ne sont pas absolus dans une société, sans quoi ce serait l’anarchie. Pour prendre un exemple célèbre, on ne peut crier au feu dans un cinéma bondé en l’absence d’un incendie et invoquer ensuite sa liberté d’expression pour se justifier. La question est donc de savoir quelle est la limite de ce qui est raisonnable.
Avant le rapatriement constitutionnel de 1982, c’était les parlementaires au Canada qui décidaient en la matière. Depuis, les juges fédéraux ont hérité en bonne partie de ce pouvoir.
Ils peuvent invalider des lois en invoquant la charte et imposer ainsi leur conception de la raisonnabilité aux dépens de celle des élus.
Une charte imposée
Les pères de la constitution de 82 ont toutefois prévu que les élus pouvaient, en certaines circonstances, faire prévaloir leur vision des limites aux droits, plutôt que de s’en remettre à celle de juges non élus. Tel est le sens de la clause dérogatoire.
Son utilisation par l’Assemblée nationale ne constitue donc nullement une grave atteinte aux droits. Après tout, il n’est écrit nulle part dans la charte qu’un policier ou un juge a le droit de porter des signes religieux ostentatoires au travail. Ce sont les juges fédéraux, en particulier ceux de la Cour suprême, qui ont décrété qu’on ne pouvait imposer de telles limites.
Ajoutons à cela que la charte nous a été imposée contre notre volonté. Cette disposition constitutionnelle n’a aucune légitimité au Québec. Par conséquent, on devrait se sentir encore plus libre de passer outre aux diktats de juges nommés par Ottawa, et dont la mission est de nous imposer le multiculturalisme canadien.
Accusations grossières
Pour revenir à Trudeau, celui-ci est particulièrement mal placé pour nous faire la morale aujourd’hui. En 2013, lorsque l’ancien gouvernement Marois avait proposé sa propre version d’une charte de la laïcité, le chef libéral avait comparé ce projet à la ségrégation raciale américaine.
Suivant les plus récentes recherches des historiens, cette période sombre de l’histoire américaine a mené notamment à 4075 lynchages entre 1877 et 1950. Comment des événements aussi dramatiques pourraient-ils avoir le moindre rapport avec la laïcité au Québec ?
Le bon sens commande à un leader politique de prêcher par l’exemple. Quand on donne des leçons de tolérance aux autres, on évite de se placer en situation d’en recevoir en lançant des accusations grossières et outrancières.
Depuis son élection, Justin Trudeau s’est excusé à plusieurs reprises à différents groupes pour des injustices commises à leur endroit sous d’anciens premiers ministres à certains moments de l’histoire du pays. S’il souhaite avoir la moindre crédibilité dans le nouveau débat qui s’amorce sur la laïcité au Québec, qu’il commence par s’excuser pour les propos qu’il a lui-même tenus il y a cinq en comparant les Québécois aux ségrégationnistes américains.
Frédéric Bastien est professeur au Collège Dawson en histoire, et auteur de La Bataille de Londres, livre sur le rapatriement constitutionnel