Charte de La laïcité - Que faire?

Passer à autre chose ? Vraiment ?

Deux jours avant la parution du rapport Bouchard-Taylor, le 20 mai 2008, The Gazette provoquait stupeur et émoi en publiant des extraits-chocs du document tant attendu, après des mois de commission itinérante ayant sondé l’âme des Québécois à propos de leurs valeurs. « Enough about the hidjab », disait la manchette (Assez discuté du hidjab), avec un sous-titre pointant le fait que les « Québécois devraient accepter le foulard musulman et passer à autre chose ».

L’article en une détaillait ensuite l’une des conclusions du rapport, dont le quotidien avait obtenu des extraits. Le hidjab, porté par des femmes musulmanes pour différentes raisons, ne menace en rien les valeurs des Québécois, et le Québec aurait bien davantage à perdre qu’à gagner s’il en restreignait le port.

C’est l’émoi causé par cette nouvelle avant la nouvelle. Lorsqu’ils prennent place enfin le 22 mai à Montréal devant une meute de journalistes venus décortiquer leur grand oeuvre, Gérard Bouchard et Charles Taylor s’adressent à des Québécois qui savent déjà un brin quoi penser de leur travail.

Avons-nous droit, cinq ans plus tard, à une reprise de ce scénario, version Parti québécois, Charte des valeurs québécoises et Journal de Québec ? La nouvelle publiée mardi dans le quotidien sous le titre « Québec bannit les signes religieux » n’a fait l’objet d’aucun commentaire immédiat de la part du ministre responsable, Bernard Drainville, ni non plus de son gouvernement. Ni démenti ni confirmation de la véracité des grandes lignes fournies de « sources sûres » au journal. Nous voilà dans une voie autre que celle de la « tolérance » silencieuse.

Vendredi dans Le Devoir, on apprenait les quatre grands principes auxquels les demandes d’accommodements devront répondre.

Ces pans d’information, dont on ne saura qu’à la rentrée parlementaire s’ils font partie d’un projet véritable, vont dans le sens contraire des propos rapportés jadis par TheGazette. Les signes religieux ostentatoires seraient bannis non seulement de la fonction publique et des tribunaux, mais aussi des écoles - hormis les privées ! -, des hôpitaux et des centres de la petite enfance. Quels signes ? Les croix chrétiennes apparentes, la burqa, le niqab, le hidjab et la kippa. Rebelote : devant cette nouvelle avant la nouvelle, c’est à nouveau l’émoi.

Ballon d’essai ?

« Ça va demander beaucoup de pédagogie, ce débat-là, beaucoup de doigté. » Dans un long entretien accordé en mai dernier au Devoir, Bernard Drainville parlait en ces termes de sa future charte, un projet qu’il juge incontournable pour assurer l’égalité entre hommes et femmes. « C’est [un dossier] très complexe, très délicat ; ça touche les gens dans leurs convictions profondes et tout le monde a une opinion là-dessus. »

Le ministre fut sans doute conforté dans cette impression devant le flot de commentaires et de réactions ayant suivi la fuite. Ce scoop prendrait-il d’ailleurs la forme d’un ballon d’essai ? Qu’elle soit calculée ou non, la fuite permet dans les faits à l’entourage politique de la première ministre Marois de mesurer l’inconfort de la population, de jauger son enthousiasme, quitte à accoucher à l’automne d’une version édulcorée par rapport au menu initial. L’histoire le dira.

En attendant les contours de cette nouvelle charte, un exercice pédagogique commande de retourner aux enseignements de la Commission de consultation sur les pratiques d’accommodements reliées aux différences culturelles qui, avant de formuler ses conclusions, avait fait la tournée du Québec, tracé l’historique des accommodements raisonnables dans divers secteurs à teneur sensible, comme les milieux de l’éducation et de la santé, pour finalement en arriver à formuler des recommandations destinées à « fonder l’avenir ».

Situation maîtrisée

En scrutant à la loupe les pratiques des milieux de la santé et de l’éducation, les commissaires ont conclu : que les demandes d’accommodements raisonnables au sens juridique du terme étaient rarissimes, en regard de toutes les formes « d’ajustement concerté » qui surviennent, dans la discrétion la plus totale ; que ces demandes sont très variées ; que « la situation est maîtrisée ».

En santé, où les situations d’exception abondent sans toutefois mener au chaos, les personnes interrogées s’étonnent du tumulte médiatique. « Pourquoi cette insistance démesurée ? », demande-t-on, tout en évoquant des questions « qui leur semblent infiniment plus graves », comme le risque de déshumanisation de leur profession, la réflexion éthique sur l’euthanasie, le pouvoir des pharmaceutiques, etc.

Les demandes acheminées exigent pourtant doigté et réflexion. On parle par exemple de « tourner le lit d’un patient musulman vers La Mecque, aux derniers instants de sa vie ». De laisser les parents d’un enfant hassidique décédé le jour du sabbat descendre le corps eux-mêmes à la morgue, sans passer par l’ascenseur, un interdit en cette journée.

Certaines demandes essuient un refus immédiat, il faut le dire : prolonger la période de repos auprès du corps d’un défunt, autoriser une femme accouchant à porter son foulard.

« Le plus souvent, comme dans le monde de l’éducation, on trouve un compromis honorable qui respecte les règles essentielles de la médecine ou des soins de la santé tout en tenant compte des attentes des bénéficiaires », écrivent MM. Bouchard et Taylor.

Que faire ?

Des situations problématiques subsistent toutefois. Après son accouchement, une femme de confession juive est normalement autorisée à retourner chez elle, mais si c’est le jour du sabbat, elle ne peut pas partir. Or une unité engorgée commande qu’on libère sa chambre. Que faire ? Une enfant diabétique dont les parents sont musulmans ne peut prendre le sucre dont elle a besoin en période de ramadan. Que faire ? Un médecin catholique refuse de prescrire des pilules anticonceptionnelles. Un autre refuse de faire des échographies endovaginales, pour raison religieuse. Comment trancher ?

« Ces situations complexes, dont la plupart interfèrent peu avec le fonctionnement des établissements, alimentent néanmoins une réflexion constante chez les gestionnaires et le personnel soignant », concluent les auteurs, qui prennent soin de noter que, malgré l’absence dans les réseaux scolaire et médical de « problèmes majeurs », des interrogations persistent sur les effets à long terme de ces pratiques d’ajustement, en plus d’une certaine exaspération chez le personnel combinée au sentiment que les accommodements se font « à sens unique ».

En entrevue vendredi, le ministre Bernard Drainville a insisté sur l’importance de rappeler à l’ensemble des Québécois l’aspect primordial de valeurs fondamentales, dont l’égalité entre les hommes et les femmes.

Tout en martelant ce message, le ministre sait toutefois qu’il compose avec une opposition au Parlement dont l’aval est nécessaire pour toute réforme. « C’est là un des grands points d’interrogation », concédait M. Drainville en mai quant à la faisabilité d’un projet de loi, étant donné la situation minoritaire du gouvernement. Cette charte dont on parle déjà beaucoup sans en avoir vu la couleur est donc dans les faits encore bien loin de sa mise au monde véritable.


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